Vrtra, tout récent groupe californien de blackened doom/sludge nous propose avec My Bones Hold A Stillness son tout premier album autoproduit, qui plus est sur cassette (oui, oui, ces cassettes-là...).
Très peu d'informations ont filtré sur la composition du groupe, qui semble entretenir savamment le mystère à ce sujet; tout au plus sait-on que ses membres viennent de la région de San Francisco et Sacramento, et que son nom mélodieux dérive de celui d'un démon de la mythologie védique associé à la sécheresse, la résistance et l'inertie, et dont le nom Sanskrit signifie "l'Obstructeur". Fichtre.
Le groupe nous propose donc trois titres (sans toutefois préciser s'il s'agit là d'un EP ou d'un full-length) d'une dizaine de minutes chacun, d'un blackened doom/sludge à la fois dense, varié et remarquablement riche.
Il s'inscrit parfaitement en cela dans la tendance de la nouvelle scène extrême du nord-ouest des États-Unis, dont une bonne partie s'efforce depuis quelques années de métisser les genres traditionnels du metal extrême (black, death) avec des structures plus complexes, et des influences moins traditionnelles, telles que l'ambient, le prog, le doom/sludge, le drone ou encore le hardcore.
On retrouve ainsi tout au long de My Bones Hold A Stillness, des compositions longues et variées, où s’entremêlent arpèges menaçants et dissonants, gros riffs sludge pachydermiques, accélérations typiquement black metal, passages plus mélodiques rappelant le post-hardcore, agrémentés de leads planants.
On trouve également des passages noise où tous les instruments se fondent en un éreintant tourbillon de magma sonore, suivis de breaks libérateurs et apaisants, calme éphémère et fragile au milieu de la tempête de noirceur et de mal-être qui se déchaîne autour de nous. Tout dans la musique de VRTRA contribue à nous faire ressentir la douleur et le désespoir exprimés dans les textes, d'une grande noirceur.
Personnellement, je ne peux pas m'empêcher de penser à la musique du one-man-band Altar of Plagues, qui, même s'il œuvre dans un genre beaucoup plus clairement post-black, maitrise tout autant la dynamique des émotions dans de longues compositions introspectives.
Les trois titres proposent chacun une variation intéressante autour de ce modèle, sans pour autant (et de loin) que l'on ait l'impression d’écouter trois fois le même titre; par exemple, le troisième et dernier morceau fait la part belle aux passages plus lents et aériens en arpèges, dans un esprit assez prog.
Le(s) chanteur(s) module(nt) admirablement leur(s) voix, passant avec aisance du growl caverneux au hurlement black en passant par des chœurs en chant clair, à la fois aériens et mélancoliques, exprimant ainsi une grande variété d'émotions. Les guitaristes (au moins au nombre de deux, et épaulés par un bassiste discret mais efficace) construisent ensemble des atmosphères complexes, traduisant toute la palette d'émotions associées à la musique du groupe, aussi bien à travers des riffs bien sentis qu'un travail subtil sur les textures, nappes de sons empilées soigneusement dans le but d'envelopper l'auditeur. Ils savent également jouer habilement avec la justesse de certaines notes dans le but d'entretenir une tension palpable, sans pour autant que cela devienne un gimmick envahissant, comme on a pu le voir chez certains groupes.
Enfin, il convient de préciser combien le jeu riche et subtil du batteur apporte aux compositions: il est rare qu'il se passe plus de quelques mesures sans que n'intervienne un changement, une inflexion dans son jeu, soit changement radical de tempo, roulements pachydermiques ou blast-beats effrénés, soit un changement subtil mais appréciable dans les motifs rythmiques employés. Toute cette maitrise instrumentale est toujours au service de la musique, jamais démonstrative, avec pour résultat des compositions dynamiques et intéressantes, qui vous captivent comme le feraient les rebondissements d'un scénario de cinéma très réussi.
La production est irréprochable, et a su tempérer habilement les sons très brut de décoffrage des instruments - sans pour autant les dénaturer - pour en faire un ensemble cohérent et pensé dans ses moindres détails (réverbs, delays, notamment sur les voix). Il est rare de rencontrer sur un premier album un tel niveau de maitrise, à la fois instrumentale et dans la composition, surtout quand on considère la variété des influences intervenant dans la musique de VRTRA.
Là où de nombreux groupes se seraient contentés d'enchaîner des passages décousus, en convoquant des influences un peu trop évidentes, VRTRA livre un premier effort remarquablement abouti et cohérent.
Il mériterait donc entièrement une place dans le peloton de tête des groupes de la scène dite Pacific North-West, dont bon nombre s'appliquent à renouveler des genres aux codes souvent très rigides, défendus par de zélés gardiens du temple, ainsi qu'un public pas toujours ouvert au changement.
Ces efforts se retrouvent du coup souvent regroupés un peu vite sous l'étiquette "post-machin", parfois valable, mais qui ne s'embarrasse pas de nuances lorsqu'il s'agit de qualifier la grande variété dans les sensibilités et les styles abordés, alors même qu'ils comptent sans doute parmi eux de futurs géants, sur lesquels nous serions bien avisés de garder une oreille.
En tout cas, je garderai une des miennes sur VRTRA, qui me fait espérer de grandes choses pour l'avenir.