Petit retour en arrière, de 4 ans précisément, pour se rappeler du premier album des français d'Akphaezya : Anthology II. Et quelle claque, n'est-ce pas ? Une petite perle d'avant-gardisme aux mélodies barrées, qui nous perdent mais dans un endroit que l'on souhaiterait ne plus quitter, et surtout cette voix, ce chant, une Nehl Aëlin (dont le très bon Le Monde Saha est paru cette année) qui nous évoquerait presque Mike Patton par son registre vocal tout bonnement impressionnant, déjanté, incroyable. Alors imaginez tous les espoirs que la formation porte sur ses épaules au moment d'arriver avec son second bébé, du nom d'Anthology IV (The Tragedy of Nerak) sur Code 666/Aural Music, concept-album basant une intrigue autour de plusieurs personnages, et conçu telle une tragédie grecque. Il suffit de jeter un coup d’œil sur la très belle pochette pour s'en rendre compte. Nos espoirs seront-ils trahis, ou au contraire, la confirmation est-elle là ?
Et ce que l'on peut dire d'entrée de jeu, c'est que le groupe n'est pas du genre à aimer se reposer sur ses lauriers, et tente déjà quelque chose de plutôt honorable : changer de chemin, emprunter voir tracer une nouvelle voie, au risque de dérouter les fans de la première heure, ceux qui étaient habitués à entendre des mélodies loufoques et partant dans tous les sens. Ainsi, Akphaezya décide de se ranger, d'être plus posé, moins explosif. Il suffit d'entendre le premier vrai morceau, un « Slow Vertigo » plutôt convaincant, où s’entremêlent des sonorités electro, un violon qui apporte un superbe soutien à une belle mélodie et des guitares, même si un peu en retrait, qui nous délivrent une performance honorable. Quant à Nell, les retrouvailles se font en douceur : ses lignes semblent également moins exubérantes, bien plus calmes mais toujours aussi belles (la voix de la jeune femme est sensationnelle, décidément !). Seulement, on peut entrevoir aussi quelques craintes : si tout l'opus reste dans cette veine, l'ennui viendrait-il sonner à notre porte et nous emporter dans son royaume ? C'est une crainte que l'on espère dissipée …
Malheureusement, on n'y échappe pas toujours. Si Anthology IV est définitivement très travaillé, il lui manque cette spontanéité qui faisait d'Akphaezya un groupe à la fraîcheur et à l'entrain plus que communicatif. Ainsi, cette façon de se poser, cette accalmie s'accompagne également d'une plus grande part de conformisme et de risques semblant bien moindre, alors que le combo nous avait prouvé qu'il était capable d'être innovant. On retrouve toujours quelques éléments propres à la formation française, comme des lignes de chant expressives et décalées (« Utopia » ou encore « The Harsh Verdict ») ou des sonorités typiquement jazz, mais la trop faible profusion de ces dernières peine à faire rêver et à emporter. Dans un sens, on peut se dire que le quatuor a décidé de prendre artistiquement un risque en chamboulant ses habitudes, mais de l'autre côté, musicalement, les expérimentations sont moindres, et trop calmes. Tout semble parfois trop calculé et, c'est regrettable, prévisible.
Pourtant, on retrouvera parfois un Akphaezya au meilleur de sa forme, qui sait encore produire d'excellentes pistes : « Slow Vertigo », « Utopia » ou « The Harsh Verdict » sont de très grande qualité, et font plaisir à entendre. « Utopia » renoue même avec l'aspect décalé un peu laissé en retrait sur d'autres morceaux, et le mélange des sonorités et des ambiances est plus que positif. Rien que les passages de clavier, les riffs tirant vers le progressif et, surtout, des lignes de chant à la variété spectaculaire sont du plus bel effet. D'ailleurs, question variété, on ne pourra pas reprocher à la formation de s'être affranchie de toute sa personnalité, et d'être totalement entré dans les conventions musicales actuelles : tout reste très diversifié, et chaque titre a le mérite de ne pas ressembler au précédent, le tout sans tomber dans l'incohérence, ni le fourre-tout. On ne s'étonnera donc nullement de se retrouver d'une piste aux guitares tranchantes à des ambiances lorgnant presque vers le doom (comme sur « Hubris »), ou de passages jazz à des lignes plus pop ou enfantines. Ainsi, encore une fois, le groupe décide de toucher à tout, et si tout ne devient pas de l'or quand ils posent le doigt dessus, on peut au moins dire qu'on trouve pour tous les goûts sur Anthology IV. Mais il faut bien reconnaître que c'est surtout dans les trips délurés et les tendances à vouloir nous perdre tout en captivant l'attention que les français excellent, et s'élèvent au même rang qu'un Pin-Up Went Down ou qu'un Unexpect.
Ainsi, on regrettera parfois une qualité un peu en dent de scie. Si l'excellent est bien présent, on côtoie parfois du plus moyen, voir dispensable. « Hubris » est sympathique, mais n'est pas très rayonnante non plus. En dépit d'une chanteuse à la prestation de très haute volée, la piste, elle, peine à décoller et à emporter, semblant presque banale comparée au reste, et même si la guitare est inspirée, la composition a quelques difficultés à faire monter la mayonnaise, et scotcher au plafond l'auditeur, ce qui est bien dommage car les bonnes idées sont là. De même, « Dystopia » est déroutante, mais pas dans le bon sens, c'est à dire celui d'Akphaezya. Un titre si classique de la part du combo était plutôt inattendu, mais cela aurait pu ne pas être désagréable. Et il ne l'est pas spécialement, mais l'ensemble est encore bien trop banal, et sans la chanteuse, la piste n'aurait que trop peu d'intérêt.
D'ailleurs on en parle beaucoup de cette demoiselle, mais qui est-elle ? Nehl Aëlin est prodigieuse, et s'impose comme l'une des références dans les voix du metal (et hors-metal par sa carrière solo) en France. Si vous appréciez la voix unique et versatile d'Asphodel (Pin-Up Went Down), alors celle de Nehl vous fera tout autant d'effet. Capable de growls puissants (« Nemesis », « The Harsh Verdict »), de chants très aigus, de voix d'enfant, elle est tout aussi géniale dans son ton naturel, avec un timbre vraiment envoûtant. Elle s'impose comme l'arme ultime d'Akphaezya, et dans ce nouveau brûlot, chaque personnage est incarné à merveille par la délicieuse Nehl.
S'il manque donc de l'audace au combo, il ne leur manque pas d'inspiration. Même dans le calme, ils trouvent moyen de pondre, de manière générale, des mélodies plutôt accrocheuses qui retiennent l'attention, et, même si on se sentira détaché lors des moments moins agréables, l'univers proposé cette fois-ci reste assez captivant. Et il n'est point à douter que la formation s'attirera certainement un nouveau public grâce à cet aspect bien moins déjanté, et Anthology IV pourrait, dans un sens, constituer une porte d'accès pour quelques auditeurs vers les styles progressifs et avant-gardistes. Se faire moins loufoque, sans vendre son âme, c'est un défi que les français ont réussis, même si cette réussite s'accompagne donc d'une perte d'originalité, tout en conservant une certaine personnalité. Ce brûlot n'est pas décevant à proprement parler, il reste surtout différent, et doté de nombreuses qualité. Seulement, face à la vague d'albums sortant ces temps-ci, il peinera davantage à se démarquer du lot. Si c'est vers cette voie que le quatuor souhaite s'orienter, il va leur falloir trouver un compromis : établir de nouvelles bases sur cette musique, tout en trouvant le petit quelque chose qui va faire la différence.
De ce fait, Anthology IV (The Tragedy of Nerak) reste une galette satisfaisante, mais dont le goût n'est pas aussi prononcé et puissant que celui de la précédente. Néanmoins, on peut toujours compter sur un talent musical réel, sur une identité qui, en dépit des changements, ne vacille (presque) pas, et sur quelques morceaux vraiment bons, que l'on réécoute toujours avec beaucoup de plaisir et d'envie. Une fois les petits défauts corrigés, la prochaine sera la bonne. Akphaezya ne trahit donc pas les promesses, et, même s'il n'impressionne pas, nous apporte quand même de nouveaux espoirs, et éveille la curiosité quant à un futur brûlot. La suite est donc attendue de pied ferme.
Note finale : 7,5/10