C’est déjà le cinquième album pour Alcest qui vient de passer tranquillement le cap des quinze ans de carrière. Après avoir sorti le décrié Shelter, Neige et Winterhalter ont fait machine arrière pour revenir à ce son si particulier qui a fait l’essence du groupe sur ses trois premiers albums. Une régression? Plutôt un nouveau départ pour les Français qui parviennent à intégrer leurs influences dream pop et shoegaze dans des compositions matures et apaisées.
Une chose est sûre : les fans frustrés et nostalgiques de l’époque Ecailles de Lune devraient pouvoir sans problème renouer avec Alcest. Dès les premières accélérations de « Kodama », on en a la certitude et la confirmation vient dès l’apparition du chant black de Neige sur « Eclosion » : le projet a replongé de plein pied dans le blackgaze qui a fait son succès. Le choix artistique fera une nouvelle fois parler, mais force est de constater qu’avec des compositions de ce niveau, le groupe devrait faire taire tout le monde. Il suffit d’écouter le riff d’introduction d’« Eclosion » pour se rendre compte qu’Alcest est toujours au top du genre. Avec cinq réels titres approchant souvent les dix minutes, on est revenu dans la configuration d’Ecailles de Lune et les 40 minutes d’écoute passent à la vitesse de la lumière.
Certains diront qu’Alcest ne se réinvente pas et joue la sécurité sur Kodama, mais l’atmosphère qui se dégage de l’album est totalement différente de ses prédécesseurs. On est loin d’écouter une pâle copie d’Ecailles de Lune. Certes, les mélodies distillées par la guitare restent dans l’ensemble assez classique, mais c’est bien la section rythmique qui prend une nouvelle dimension et change du tout au tout. Winterhalter et Indria ont travaillé d’arrache-pied en studio pour proposer une batterie et une basse plus dynamique que par le passé et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela s’entend ! Que ce soit sur le break groovy de « Untouched » ou sur la tubesque « Oiseaux de Proie », la rythmique est fouillée et la retranscription en live devrait faire des étincelles.
« Kodama » le morceau titre bénéficie lui aussi de ces arrangements heureux, que ce soit côté rythmique ou côté vocal avec Sylvaine, invitée pour l'occasion qui reprend la mélodie de guitare de fort belle manière. On a l’impression d’entendre des riffs secs et désertiques tout droit sortis d’un album de Sólstafir et la composition est propice aux changements d’ambiance sans jamais perdre son fil conducteur.
Neige et Winterhalter sont assez habiles pour éviter la plupart du temps les redondances avec le passé, bien qu’on croie entendre à deux reprises le riff d’introduction de « Nous Sommes l’Emeraude ». Le scream torturé du frontman fait toujours autant plaisir à entendre et sublime des compositions comme « Oiseaux de Proie » par son côté plaintif. Sur ce titre on atteint un niveau de mélancolie et d’intensité rarement vu chez Alcest et cette fougue renvoie encore à ce travail fait sur la rythmique. Mais globalement, on distingue bien moins les paroles que sur Shelter, sûrement une volonté de Neige de se concentrer sur la musique.
La thématique japonaise annoncée par le titre et la pochette est au final assez peu présente, mis à part quelques gammes bien inspirées au milieu d’« Untouched » ou du morceau titre. Sur « Je Suis d’Ailleurs », des petites touches électroniques font également leur apparition, le tout bonifiant la musique sans jamais la dénaturer. On remarque aussi ici et là des petits interludes acoustiques inédits concluant les chansons, lesquels ne sont pas sans rappeler ce qu’a pu faire Deafheaven dans Sunbather par exemple. Pour terminer l’opus on a droit à « Onyx », composition à part car très ambiante et cinématographique, un peu à la manière d’un « Abysses » et que l’on verrait vraiment bien s’intégrer à une bande originale de film un jour.
Le retour d’Alcest à son style de prédilection se solde donc cette fois encore par une franche réussite. L’album a tout ce qu’il faut pour réconcilier les fans de Shelter aux autres et prouve que les Français parviennent à bonifier leur formule avec le temps en reprenant des éléments des quatre précédentes sorties. Nul doute que certains y trouveront encore à redire mais le constat est là : le groupe de Neige n’a toujours pas sorti un mauvais album et s’affirme encore une fois comme un exemple de régularité, ainsi qu’un pilier indéboulonnable de la scène française.
