öOoOoOoOoOo – Samen

La Musique est un monstre difforme, résultat de milliers de croisements divers et de variations multiples. C'est ainsi qu'on la fait évoluer : en mariant ses sous-genres, en incitant la fusion et l'avant garde pour engendrer des bâtards qui lui donneront de nouvelles couleurs, de nouvelles difformités. L'art ne change et ne prend de l'ampleur qu'en empruntant de nouveaux chemins, et en bafouant l'intégrité d'un style pour justement en montrer sa réelle richesse. Et c'est exactement là que les français de Chenille se situent, aux confins des styles.

Mike Patton est animé d'une jalousie intense : il aurait adoré prendre place dans ce projet faisant penser aux grandes heures de Mr Bungle, du moins sur le papier. Ajoutons au mixeur nos compatriotes de 6:33, Diablo Swing Orchestra ou encore Zimmers Hole, on obtiendra un mélange bien étrange, et surtout bien unique. Vous l'aurez compris, Chenille (en réalité öOoOoOoOoOo -ajoutez autant de voyelles rondes et de trémas que vous le souhaitez-, ce qui d'ailleurs offre un plus à l'aspect comique de la formation) fait dans l'incomprehensible, dans un brouhaha désordonné qui nous emmène partout à la fois.

Mais cet amas de non-sens en apparence cache évidemment beaucoup de richesses. Samen est avant tout l'œuvre de musiciens à la technicité sans faille, capable d'enchaîner et de mêler les genres avec virtuosité et intelligence. Au final, les structures gagnent en cohérence, et chaque morceau est d'une construction irréprochable. La vocaliste, nous faisant quelquefois penser au timbre soul et chaleureux de Joss Stone, apportera des touches pop, qui iront flirter avec des nuances r'n'b modernes le temps d'un morceau, pour tout à coup tomber dans du gros metal gras et violent, un élément hurlant masculin alors aux manettes.

C'est cette capacité à nous faire passer d'une humeur à l'autre qui demeure la force de l'album, et à chaque fois, on esquisse un sourire : tout cela est diablement efficace. On se surprend à chantonner un petit refrain pour soudain se démonter la nuque à coup de headbang déterminé. D'un flow saccadé, limite rappé sur "Fucking Freaking Futile Freddy", notre esprit étourdi est frappé de plein fouet par des rythmiques assassines.

Et, pourtant, ce méandre musical reste aussi le fruit de notre imagination, lorsque cette dernière décrit Chenille tel que l'on voudrait que le groupe soit. Car aussi brillant Samen soit-il, il n'évite pas certains écueils redondants. Aussi, même si l'atout et le descriptif joue avec l'insolite, on se retrouvera à être moins surpris devant la répétition des structures, et une tendance à la simplicité dans les refrains et certaines mélodies. La tendance du groupe à s'approcher d'un metal symphonique assez simple peut se laisser ressentir par moment. Mais tout cela n'est qu'un léger défaut, une petite redondance dans ce qui, en matière de ressenti, ne laissera personne indifférent.

Car Chenille n'est pas entre deux feux, et se dénote par sa qualité. On s'amuse volontiers avec un groupe qui sait jouer avec ce qu'il aime, essaie de mixer des influences improbables et nous offre une sacrée bouffée d'air frais. La route est pavée, et on s'apprête à faire un pas vers un nouvel embranchement musical. Foncez, écoutez öOoOoOoOoOo, soutenez la différence et l'identité musicale, et la relève est assurée.

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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