Max Otero, leader de Mercyless

"Faire de la musique, c'est avant tout humain et relationnel !"

Quelques jours avant la sortie de Pathetic Divinity, le nouvel album de Mercyless, la Grosse Radio a pu discuter avec Max Otero, fondateur et tête pensante de la formation death metal. Nous avons bien entendu abordé ensemble le processus de composition de l'album, mais également la scène death metal française dont le chanteur/guitariste est l'un des piliers depuis ses débuts avec Mercyless. Max Otero nous a répondu avec son franc-parler et toute sa passion pour ce style musical près de trente ans après la formation du groupe.

Salut Max et merci de nous accorder cet entretien.

Merci à toi !

Nous sommes ensemble pour parler de Pathetic Divinity, le nouvel album de Mercyless. Alors qu'Unholy Black Splendor, l'album de la reformation, avait été très bien accueilli par la critique et par les fans, avez-vous ressenti une pression supplémentaire au moment de composer celui-ci?

Non ! Franchement non, parce que la pression on l'a lorsque l'on a quelque chose à prouver auprès des gens. J'estime qu'au fur et à mesure des années nous avons déjà montré de quoi on était capable.  On a déjà fait nos preuves par le passé dans plein de domaines. Nous voulions juste nous atteler à quelque chose d'encore meilleur qu'Unholy Black Splendor. Mais si nous n'avions pas la pression, nous avons quand même pris notre temps pour créer quelque chose qui nous représente bien et qui soit dans l'optique que nous avions définis.

A la fois dans les textes et dans l'artwork, on fait face à une critique virulente des dogmes en place. On te sent particulièrement en colère, à la fois dans les paroles et dans la façon de les interpréter. Penses-tu que cette colère est nécessaire lorsque l'on fait du death metal ?

Oui complètement ! J'estime que c'est une musique qui a besoin de cela, qui est directe et intense. On ne cherche pas à faire de fioriture, en tout cas c'est comme cela que je la conçois personnellement. Quand j'étais jeune et que j'écoutais un album de Morbid Angel, il y avait tous ces éléments, c'est un ensemble de choses. Le death metal c'est un tout et l'imagerie et les codes de la religion vont tellement bien avec cette musique, que l'expression en est presque facile. En même temps, cela nous demande tout de même un certain travail, on n'écrit pas tout et n'importe quoi. Quand on écrit un texte, il faut savoir de quoi on parle, ce que l'on va mettre dedans, comment va s'exprimer la musique par rapport au texte. Chez nous, on essaye de mettre à la fois un côté épique et un côté brutal  car c'est ce que demande cette musique.

Est-ce que les sujets d'actualité t'inspirent également pour écrire tes textes ?

Oui, cela a toujours été le cas bien sûr ! Il ne faut pas se fermer au monde social qui nous entoure, on vit dedans tous les jours. Autant il y a des choses qui me révoltent mais dont je ne vais pas parler au sein du groupe car j'estime que ça ne collerait pas avec l'imagerie du groupe, autant je trouve qu'à partir du moment où les dogmes et la foi prennent de plus en plus des chemins détournés et dangereux, j'estime qu'il faut le dénoncer. Cette musique et la colère qui peut s'en dégager sont les meilleurs moyens d'expression pour faire comprendre ce genre de sentiment. A mon avis, c'est d'ailleurs quelque chose que je cultive depuis les débuts du groupe. C'est dû à mes influences, ma façon de voir le monde, à la façon d'interpréter les choses. Mais tout cela va dans le sens que j'ai envie de donner pour Mercyless.

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Sur ce nouvel album, votre approche sonore est toujours basée sur le côté old school et sur le riffing, là où d'autres groupes gonflent la production et misent beaucoup sur la technique. Est-ce que tu t'y retrouves encore aujourd'hui lorsque tu te penches sur la scène death metal ?

Pour les formations modernes, j'avoue avoir du mal. Pas pour tout, car il y a toujours des points très positifs. Il peut s'agir de son, d'approche, de façon de composer, des textures, des riffs ou de plans techniques qui sont intéressants. Mais ce qui me gêne, c'est la production. Actuellement, elles ont tendance à me souler très vite ! (sourire). C'est surproduit, on fait du reamping en mettant six guitares d'un côté, six de l'autre. On met des infrabasses et on essaye de donner le maximum de volume sonore pour écraser les autres productions. C'est une espèce de concours et du coup c'est impossible à écouter ! C'est con, car on parle de musique extrême et dans le cas de beaucoup de compositions on perd ce côté extrême. Tu as beau avoir un batteur qui blast à 250 BPM, un guitariste qui envoie des solos où tu ne comprends rien, au final, on ne sait pas où l'on est. Alors je ne veux pas la jouer vieux-jeu et ne pas chercher à comprendre ce style de musique, car je sais de quoi je parle, j'en ai écouté beaucoup. Il y a plein de groupes que l'on a appelé au départ brutal death, notamment les premiers Suffocation et Cannibal Corpse qui étaient déjà basés là-dessus. Mais ils le faisaient avec cet esprit "musique vivante". Tout ne reposait pas sur la production. Et c'est vrai qu'avec ce point là j'ai beaucoup de mal.

Justement, ce son que vous avez développé sur Pathetic Divinity rappelle la scène death metal du début des années 90, au moment où vous débutiez. Ce retour aux sources du point de vue de la production s'est-il effectué de façon naturelle où l'aviez-vous envisagé en amont ?

Non, nous n'avons jamais réfléchi à cela car cela fait partie de nos gènes et de notre identité sonore. C'est une musique qui coule un peu dans nos veines. On a commencé en faisant du thrash car le death metal n'était pas totalement implanté chez nous. Et je pense qu'on a toujours gardé cette identité thrash quelque part. Le thrash c'est un peu les origines du death metal. Mais on ne s'est jamais posé cette question car j'estime que c'est la musique qui nous convient le mieux, c'est celle que l'on sait faire et c'est notre façon de nous exprimer. Après, c'est vrai que le nom que l'on met dessus c'est "death old school", car on date des années 90, on développe un schéma et des riffs que l'on entend plus de nos jours. On cherche plus à être dans l'intensité que dans la brutalité, même si quelque part, les deux vont bien ensemble. Et de mon côté, la voix c'est un peu comme un instrument, là où actuellement j'ai l'impression que c'est quelque chose de noyé dans le mix. Pour moi, des gens comme Chuck Schuldiner ou le mec d'Obituary, ça reste des chanteurs, même s'ils font du death.

Pathetic Divinity contient dix titres dont une intro et l'album dure 34 minutes tout comme Abject Offering qui reste votre album de référence. Etait-ce un choix délibéré ?

Non, c'est logique pour nous. Cela correspond à ma façon d'appréhender un album. J'ai toujours été marqué par ses albums qui sont à la fois courts et intenses, et je n'ai pas envie que les gens s'emmerdent au bout du troisième morceau. C'est mon but en tout cas. Je ne peux pas dire si j'y arrive ou pas, ce n'est pas à moi d'en juger. Mais on essaye de créer une musique qui fait que les gens restent ancrés dans une sorte de continuité, du premier au dernier morceau. Contrairement à la révolution des Cds qui a poussé les labels à en mettre toujours plus, j'estime qu'un bon album c'est un peu comme un vinyle. Tu as deux faces, mais tu essayes de les écouter du début à la fin. J'espère que c'est ce qu'il se passe avec nos albums. En tout cas, on n'a pas besoin d'en mettre trop si on veut garder cette intensité tout du long.

Justement, penses-tu que les artistes aujourd'hui ont plus intérêt à sortir des albums courts ou des formats type EP, sachant que le public ne prend plus tellement le temps d'écouter un cd et se pose parfois en "consommateur"?

De mon point de vue, une durée d'album de trente minutes, c'est déjà pas mal. Je sais que par rapport au prix des Cds, cela peut paraître peu à l'acheteur. Mais avec les réseaux sociaux, on se rend vite compte que souvent les gens ne connaissent qu'un ou deux morceaux d'un album. Il vaut mieux attirer l'attention sur sept ou huit titres d'une trentaine de minutes que de tenter le diable à en faire des tonnes sans savoir pourquoi.

Unholy Black Splendor est sorti chez Trendkill Recording, avant que Great Dane ne réédite Abject Offering il y a trois ans. Désormais, Pathetic Divinity sort sur un troisième label, Kaotoxin. Est-ce si difficile que cela pour un groupe comme Mercyless de trouver le bon label ?

Quand nous sommes revenus (en 2011, après un hiatus de dix ans NDLR), ce n'était pas évident. Mais du coup on ne s'était pas trop posé de questions non plus, on a eu quelques propositions. Mais je pense que ce n'est jamais évident. On peut croire qu'on a réussi à gravir les échelons, mais on n'arrive jamais tout en haut dans ce milieu. Surtout en faisant ce genre de musique, quand on est dans ce milieu là, il faut se remettre en question tout le temps. Parce que sinon on plonge vite et on n'y arrive jamais. On est parti et on est revenu avec un vrai projet, une vraie passion et une envie d'en découdre et de montrer de quoi on était encore capable près de trente ans après. Mais il faut que cela reste un défi et que l'on se prouve que l'on est encore capable de le faire. Alors nous sommes repartis avec Trendkill qui n'était pas le meilleur label du monde, mais c'était pour un album de reformation. On a surtout essayé de mettre tous les atouts de notre côté pour intéresser à nouveau le public. Ensuite il y a eu l'album chez Great Dane, mais c'était juste une réédition pour faire patienter les gens.Enfin je ne sais pas si on peut dire cela, vu qu'on n'a pas cette prétention à faire patienter quiconque (sourire). Mais depuis le temps, on a pu tout de même le rééditer en vinyle avec la vraie pochette. Par contre pour Pathetic Divinity, vu que l'on approchait des trente ans du groupe, je voulais réaliser quelque chose de vraiment sympa et Kaotoxin a été là au bon moment pour nous épauler dans notre projet.

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Ces derniers mois, ton nom s'est retrouvé associé à un projet encore mystérieux, aux côtés de grands noms de la scène française, comme Arno Strobl, les frères Loez de SUP et d'autres encore. Je parle de Kozh Dall Division. Peux-tu nous en dire plus ?

C'est le projet de trois musiciens que je connais, dont l'un est issu de Kristendom et les autres de Grazed, un groupe du sud basé près de Nîmes. Ils ont écrit un album dans un style un peu différent de ce qu'ils font d'habitude. Ils ont proposé à plusieurs chanteurs d'y participer et beaucoup ont accepté, dont moi car j'étais assez pote avec l'un d'eux. Je me suis impliqué sur deux morceaux en tant que guest, ça m'a fait plaisir de le faire et de retravailler un peu en studio.

A propos de guest, tu as récemment participé au premier EP du groupe Dawohl, en compagnie de Matthieu Merklen, bassiste de Mercyless. Est-ce important pour toi de prendre des risques comme cela et de te retrouver dans la position du jeune groupe qui démarre sur ces projets ?

Ce n'est pas vraiment prendre des risques, car ce sont avant tout des amis. Dawohl est un groupe de Mulhouse, ils m'avaient proposé de faire des choeurs sur un morceau car ils avaient beaucoup de respect pour Mercyless. Matthieu les a dépannés au départ car ils n'avaient pas de bassiste, mais ça s'est fait tout simplement. Ça reste une question d'amitié avant de parler de "projet". Ils avaient également Kevin Foley à la batterie. Dans le style, c'est pas tout à fait mon style, ils jouent plus du brutal death, avec une voix qui n'est pas tout à fait la mienne, mais ça reste de super gars, vraiment cool. Nous ça nous a fait plaisir avant tout ! Je reste toujours ouvert à ce genre de propositions tant que le projet me plait. J'avais fait également quelques voix sur un album de Carcariass. J'aime bien, je fais ça avec plaisir, comme c'est pour des amis, cela ne me pose aucun problème.

Mercyless fait aujourd'hui partie des vétérans du death français, au même titre que Loudblast, Massacra ou Agressor. Trente ans après, quels souvenirs gardes-tu de l'émulsion qui animait la scène en France ?

C'était une sacrée époque, car il y avait tout à faire, tout à construire. Et puis nous sommes arrivés, on s'est jeté à l'eau dans un style de musique qui ne parlait pas à beaucoup de monde. C'était très compliqué au début. Nous faisions du thrash à la Slayer puis notre musique s'est assombrie et nous sommes passés au death metal. Au début, il n'y avait pas de scène death metal en France. On était invité sur des concerts dans des festoches, mais c'était avec des groupes de heavy metal, de progressif. A un moment donné, il y a eu un peu de bouche à oreille et au début des années 90 la scène death a commencé à se développer en France. Mais ce n'était pas évident pour tous les groupes. Les premiers c'était effectivement Loudblast, puis Massacra et Agressor. Ça se construisait petit à petit et nous avons suivi le même wagon. C'était assez marrant car aucun de ces groupes ne se ressemblait alors qu'à la même époque en Floride tout le monde faisait la même chose ! Chacun de nous avait une patte différente, et on a vécu de sacrés moments tous ensemble.

As-tu l'impression qu'aujourd'hui il y a toujours cette entraide au sein de la scène française ?

Oui, mais de façon un peu différente. Parce que les choses vont plus vite aujourd'hui. Avant, il n'y avait pas ce monde de communications, de réseaux sociaux, cette façon de procéder. Internet a changé la donne. Si on avait continué comme on faisait avant, 60 % de ce que l'on connait n'existerait même pas ! J'en suis presque sûr ! (sourire). Car le monde moderne a apporté l'aspect immédiat. Avant on construisait lentement les choses, on faisait des maquettes, des démos. Aujourd'hui, tu fais ton album chez toi, sans forcément rencontrer les musiciens qui jouent dessus. Souvent les albums n'ont pas de personnalité à cause de cela. Car faire de la musique, c'est avant tout humain et relationnel. Ça marche comme ça, tout démarre dans une salle de répète.

Stéphane Viard, votre guitariste depuis les débuts de la formation, a été contraint de quitter le groupe en 2014 pour cause d'acouphènes. Comment as-tu réagi à cette nouvelle et as-tu songé à un moment à dissoudre le groupe ?

Non, car je savais depuis longtemps que Stéphane avait ces problèmes d'acouphènes. Cela a dû commencer en 1993, après un concert à Marseille. Avec l'âge et les concerts, cela a empiré. Au début ça allait puis au fur et à mesure il a eu plus de mal à supporter cela. Pourtant humainement il n'y a pas eu de soucis, il peut nous dépanner de temps en temps pour des concerts si on a un problème. Aujourd'hui, je compose encore comme s'il était à mes côtés.

D'ailleurs, il a signé deux morceaux sur le nouvel album...

Oui, et il joue aussi un solo, car ce sont des titres qu'on avait composé ensemble. Mais Stéphane reste mon ami d'enfance, on était à l'école ensemble, on a toujours fait de la musique ensemble. Ma façon de composer lui doit beaucoup, même s'il a toujours été meilleur guitariste que moi. Il sait comment doit sonner un album de Mercyless.

Avais-tu songé à le garder dans le line-up en studio et lui trouver un remplaçant uniquement sur scène ?

J'estime qu'un groupe c'est un groupe. Tu peux faire comme cela, mais il faut que tout le monde s'implique en studio comme en live. C'est important pour moi, on le disait tout à l'heure concernant l'aspect humain. Si le remplaçant est super bon à la guitare, c'est bien, mais il faut qu'humainement ça passe. Ça fait partie du jeu.

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Votre nouvel album est sorti en version digipack limitée à 1000, une box limitée à 100 exemplaire, en vinyle... ça montre votre attachement au format physique. Cependant vos anciens albums sont toujours difficile à trouver. Penses-tu les rééditer un jour comme cela a été fait avec Abject Offering?

Abject Offering, on voulait vraiment le faire en vinyle. Mais pour rééditer les choses en CD, Kaotoxin attend le feu vert du label qui nous avait signé à l'époque. C'est toujours un peu compliqué et on ne sait pas qui possède réellement les droits. Dans l'absolu on va essayer de faire la réédition de Colored Funeral en vinyl et peut-être Abject Offering en CD.

Quels sont les projets live pour la suite ?

On finalise une tournée avec Putrid Offal en novembre en France et en Espagne. Après, on jouera en 2017, certainement pour une tournée avec les Espagnols d'Avulsed. En mai on partira sans doute en Angleterre. On va essayer de jouer au maximum sur les deux trois ans à venir.

Quels sont les groupes avec qui tu aimerais tourner ?

Asphyx, Grave, j'adorerais jouer avec des groupes comme ça. Après pour les nouveaux groupes, il y en a de très bons, comme Affliction Gate avec qui nous avons déjà tourné. On essaye de proposer de plus en plus des affiches qui tiennent la route pour attirer le plus de monde.

Vous avez joué au Hellfest en 2014, quel souvenir gardes-tu de ce concert ?

C'était hallucinant. On a joué dans de super conditions. C'est juste dommage qu'ils fassent jouer les groupes français à 10h. Mais bon, au moins ils nous font jouer. C'est une forme de reconnaissance puisque c'est un super festival avec des groupes géniaux. C'est bien organisé et tout le monde peut y trouver son compte, un peu comme le Wacken. Il faut juste espérer que cela dure car aujourd'hui il y a tellement de concerts et de festivals que les fans ont du mal à suivre étant donné le budget que cela représente. Les prix augmentent, la vie est de plus en plus chère et les tournées prennent parfois des proportions exagérées. Certains groupes tournent tellement qu'on les retrouve tous les six mois en Europe, comme ils ne gagnent plus de sous avec les albums. Mais avec Mercyless on ne se plaint pas, on fait ce qu'on a à faire et on attend notre heure, cela fait trente ans qu'on l'attend (rires).

Merci à toi pour l'inteview, je te laisse le mot de la fin !

Merci à tous ceux qui vont écouter notre album. J'espère qu'il va leur plaire. En tout cas, il est représentatif de notre état d'esprit en ce moment et de notre façon dont on perçoit le monde. On donne rendez-vous à tout le monde, sur scène !

Interview réalisée le 29 septembre à Paris.
Un grand merci à Roger Wessier.
Photos promotionnelles : DR



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