Un groupe de metal tchèque qui sort un album, cela ne court pas les rues, mais un groupe de metal tchèque qui pratique le doom death comme on aimait l'entendre au milieu des années quatre-vingt-dix c'est encore plus inattendu. Self-Hatred avec Theia n'invente rien, il se contente de remettre au goût du jour un metal très lourd aux contours mélancoliques. Et il le fait bien.
Vous êtes nostalgiques de cette époque où le death metal ralentissait le tempo, s'acoquinait avec le doom et s'enrichissait d'atmosphères gothiques ? Vous ne vous êtes jamais remis de la tournure plus mainstream prise par Paradise Lost ou Anathema ? Vous attendez comme le Messie chaque nouvelle sortie de My Dying Bride ou de Draconian mais êtes prêts à donner quelques deniers pour soutenir des formations plus obscures qui pourraient épancher votre soif de frissons doom métalliques ? Self-Hatred est pour vous. Ce groupe tchèque (de Plzen plus exactement) formé en 2012 propose avec son premier album Theia, disponible sur le label russe Solitude Productions depuis le 5 septembre 2016, une musique qui sonne comme un véritable hommage aux débuts héroïques des pionniers du doom death.
Self-Hatred a été fondé par Aleš Vilingr (guitariste officiant aussi dans Et Moriemur, autre bonne formation doom originaire de Prague) dans le but de rendre hommage à la scène doom tchèque, très prolifique lors des années quatre-vingt-dix et de rester dans sa continuité, sa rencontre avec la vocaliste Felis (qui a depuis quitté le groupe) lui permettant de donner naissance à ses propres idées musicales. Le temps de s'entourer d'autres personnes, notamment Datel, le batteur des déjà cités Et Moriemur, et d'un chanteur, Kat'as, qui va partager le micro avec Felis, et les musiciens vont s'enfermer au studio Hellsound (qui a aussi accueilli Master's Hammer, autres Tchèques bien connus) pour y enregistrer Theia.
Le groupe a voulu privilégier un enregistrement proche des conditions live, cet aspect donne à sa musique la spontanéité et la fraîcheur qui la caractérisent entre autres.
Le titre de l'album fait à la fois référence à la déesse de la lumière issue de la mythologie grecque représentée sur la pochette (à l'esthétique rappelant les gravures de Gustave Moreau) avec sa fille Séléné, déesse de la Lune, mais aussi à la planète baptisée du même nom qui aurait donné naissance à l'astre lunaire lors d'une collision avec la Terre.
Si au niveau thématique, Self-Hatred prétend s'inspirer « des douleurs et expériences personnelles ainsi que des muses », les afflictions étant comparées à l'infinité de l'Univers, les textes se veulent être avant-tout des allégories auxquelles chacun peut se reconnaître selon la volonté du groupe.
Le combo cite comme influences musicales des artistes aussi divers que Iron Maiden, Accept, Judas Priest, Anathema, Therion, Moonspell, Opeth, Camel, Ozric Tentacles ou Steven Wilson mais nous sommes surtout dans un doom death metal nimbé d'interventions vocales féminines et d'arrangements gothiques.
S'il n'invente rien dans un genre finalement assez codifié, Self-Hatred apporte une certaine fraîcheur exprimée par le feeling qui ressort de son interprétation déjà. Les riffs sont morbides, on rugit de désespoir, cela dès l'introductif « Guilt » qui nous plonge au coeur d'un enfer de tristesse avec des guitares qui crissent ou se veulent aériennes.
Du doom apocalyptique, on en entend aussi sur « Slither », la tempête qui arrive après le calme interlude instrumental « Theia » (nous ramenant lui à Tiamat ou aux vieux Anathema), avec ses larsens dissonants et son riff ultra lourd, ou sur « No Judgement », un morceau très très pesant en abandon.
Si le doom death de Self-Hatred est donc de facture plutôt classique, quelques détails viennent briser la linéarité : déjà, il y a cette alternance chant death/vocalises féminines, constance que l'on retrouve assez souvent dans le style mais qui est ici utilisée de façon particulière. Ainsi si le chant de Kat'as est typique du growl asthénique, les interventions de Felis, quant à elles, sont mixées un peu en retrait, ce qui leur donne parfois un aspect fantomatique comme sur « Slither » ou « Self-Reflection ». Ce chant de sirène rappelle un peu des formations ayant parfaitement réussi le mariage « belle et la bête » bien sûr comme Theatre Of Tragedy ou Tristania par exemple mais nous sommes cependant loin de la copie carbone. De même quelques cris black metal apparaissent parfois par moments et apportent une couleur colérique à la musique des Tchèques.
Les parties de clavier de Michal Šanda, quant à elles, sont bien dosées et pas trop envahissantes, notamment sur le déjà cité « Theia », morceau entièrement composé par Michal. Nous pouvons entendre une utilisation efficace de l'orgue parfois, sur « Slither » ou au milieu de « Attraction » par exemple. Citons aussi les arpèges rêveurs introductifs de « Attraction » et le tempo un peu plus rapide et épique de « Self-reflection » qui donnent un peu de variation à la musique de Self- Hatred.
C'est d'ailleurs une des qualités de ce premier album, il n'est pas lassant sur sa longueur, Self-Hatred propose sept pistes de qualité sans remplissage. Même un titre comme « Memories » avec ses neuf minutes trente de durée ne lasse pas et témoigne au contraire d'une richesse d'écriture avec sa structure labyrinthique. Peut-être pourrions-nous chipoter en affirmant que « No Judgement » avec son assemblage de parties sonne un peu fouillis et a tendance à s'étirer mais cela n'en fait pas pour autant un morceau médiocre.
Ce premier effort de Self-Hatred est donc tout à fait recommandable pour tous les fans de doom-death « traditionnel ». Sachant que le groupe est déjà en phase de composition et compte entrer en studio au printemps prochain, nous pouvons espérer que le potentiel exposé sur Theia devienne confirmation d'un réel talent. Pas de quoi sombrer dans la haine de soi-même dans ce cas.
Liste des titres :
1.« Guilt »
2.« Theia »
3.« Slither »
4.« Attraction »
5.« No Judgement »
6.« Self-reflection »
7.« Memories »