"si j'avais dû jouer du Jester Race toute ma vie, j'aurais eu l'impression d'être un ado dans un groupe de reprises"
Dix albums avec In Flames plus tard, Björn Gelotte est un artiste plus que confirmé: excellent guitariste, bête de scène et très bon en termes de communication. C'est avec beaucoup d'humour et de passion que le Suédois s'est entretenu avec La Grosse Radio dans un hôtel parisien à l'occasion de la sortie de Battles, douzième album du combo. Fier, direct, taquin mais jamais désinvolte ou irrespectueux Björn présente son nouveau bébé mais aussi sa passion pour la pop culture.
Bonjour Björn et merci pour cette interview... Pourquoi prends-tu mon enregistreur?
Cela t'embête si je te pose les questions et que c'est toi qui réponds? Comment-vas tu ? (rires)
Je vais très bien merci, par contre je ne vais pas avoir grand chose à te dire...
Je plaisante bien sûr, tiens je te rends ton enregistreur. Excuse-moi mais depuis quelques jours j'enchaîne les interviews et je suis épuisé. Mais c'est normal, j'aime parler de ce nouvel album et j'aime parler, donc tout va bien ! (rires)
Eh bien parfait! Je te propose de parler d'abord de ton line-up avec un nouveau batteur: Joe Rickard que vous avez officialisé il y a quelques jours (NDLR: l'interview a été réalisée fin septembre), peux-tu nous le présenter?
Oui c'est le capitaine du vaisseau spatial de Star Trek, Jean-Luc Picard ! (rires)
Je te demande pardon?
Je plaisante, c'est parce que le gars juste avant toi m'as dit qu'il s'appelait "John Picard", cela m'a fait rire et j'ai pensé au personnage joué par Patrick Stewart dans des films de Stark Trek, Jean-Luc Picard ! Désolé, j'adore Star Trek!
Moi aussi, mais je suis plus fan de Kirk joué par William Shatner.
Le mec de Boston Legal ? Putain oui! J'adore cet acteur et cette série, j'ai tous les DVD.
Un peu plus bas, Björn!
J'en suis très heureux pour toi mais peut-être pourrions nous parler de ton groupe? J'adore les séries mais je ne suis pas sûr que cela intéresse nos lecteurs.
Oui, excuse moi. C'est cool de parler d'autre chose que de l'album parfois. Donc, Howard Benson, le producteur avec qui nous avons travaillé aux Etats Unis, est un très gros producteur qui connait énormément de musicien et il a l'habitude de travailler avec des musiciens indépendants, Joe en était un. Il était vraiment heureux de s'occuper de la batterie. J'ai pour habitude de toujours programmer la batterie sur nos démos, je le faisais déjà avant Daniel (Svensson), mais j'ai toujours fait quelque chose de très simple. Ce que j'avais fait a plu à Joe et il a dit "ok je vais jouer ça", il était très motivé. je ne m'attendais évidemment pas à une autre réponse puisque quand tu travailles avec Howard tu sais que tu vas travailler avec des pros. Il a le bon rythme, la bonne attitude, il sait vraiment interpréter nos titres, il aime son instrument. Il est un fan de notre groupe depuis longtemps et il nous comprend. Tu sais, nous avons vraiment de la chance d'être tombé sur lui, personne n'a vraiment vu venir le départ de Daniel et personne ne pensait qu'on le remplacerait si facilement. C'est vraiment un mec bien.
Je suppose qu'il n'est pas Suédois?
Non il est Texan et habite à Los Angeles depuis plusieurs années, il a 28 ans, le bon âge pour rentrer dans un groupe. (rires)
Question de fan: as-tu pensé t'occuper de la batterie, au moins pour l'enregistrement?
Non. Honnêtement ça n'aurait pas été beau et je ne peux pas pu m'occuper de la guitare et de la batterie en même temps en studio. Et puis je n'ai plus vraiment le niveau. (rires)
Finalement Battles est arrivé assez vite après Siren Charms, mais deux années entre deux albums n'est pas inhabituel pour In Flames, cela a toujours été votre rythme de croisière jusqu'en 2011, je te laisse donc nous présenter Battles, en commençant par sa genèse.
Nous avons d'abord hésité à sortir un album deux ans après Siren Charms. Ce rythme impose également pas mal de concerts et ce n'est pas facile de composer en si peu de temps. Mais après tout, nous n'avons pas fait trop de concert après Siren Charms; même si on avait déjà pensé se laisser trois ou quatre ans avant de sortir un nouvel album. Et à la fin de la tournée, Daniel nous a annoncé qu'il ne continuait pas avec nous pour se consacrer à sa famille. Mais nous nous sommes quand même dit "commençons à parler, voyons ce que ça donne musicalement".
Nous avons changé de maison de disque et on savait que cela allait nous ouvrir des portes plus grandes.
Tu vois, nous n'avons jamais vraiment travaillé directement avec un producteur, je considère que nous avons toujours coproduit nos albums. Mais cette fois, nous voulions être encadré. Mais nous ne voulions pas non plus perdre du temps à choisir notre producteur et faire du name droping. Howard Benson nous suivait depuis quelques années. Il a su quoi nous dire, il nous a compris, il ne voulait pas changer qui nous étions. Nous ne parlions que de lui "Howard Benson, Howard Benson", ce mec nous a vraiment impressionné, c'est un vrai professionnel qui travaille avec une équipe professionnelle. Le processus d'écriture a été complètement différent cette fois. Howard s'est vraiment impliqué dans l'écriture mais sans jamais nous mettre de contrainte. Il insistait vraiment pour que nous travaillions longtemps sur les mélodies que nous pouvions composer. Nous avons enregistré la démo à la maison dans un tout petit studio puis nous lui avons envoyée. Il a écouté et a dit "Ok ça me plait". Mais oui, l'écriture a vraiment été différente pour Battles.
D'ailleurs Battles est un album très différent...(il ne me laisse pas finir)
Mais comme toujours, mec. Comme toujours! Nous avons toujours élargi notre public et nos univers musicaux. Je pense que chaque artiste ou groupe fait ça. Peut-être que oui, ce n'est pas aussi agressif dans le chant, peut-être que ce n'est pas aussi lourd dans les riffs comme au début. Oui Jester Race est un putain d'album de death, mais oui Battles est aussi quelque chose de lourd. Bien sûr que des gens ne vont pas l'aimer, c'est un putain de fait. Et non nous ne sommes pas d'accord avec ceux qui nous disent "S'il vous plait, ne changez pas", c'est impossible. Même si tu me disais "voilà exactement ce qu'est un bon morceau" je ne pourrais pas le faire. Quand nous avons fait Clayman les gens disaient qu'on faisait du commercial! Il n'y a aucun moyen pour qu'un album puisse satisfaire tout le monde. La seule chose qui finalement satisfait tout le monde c'est le groupe.
Alors nous suivons notre instinct, nous faisons ce qui nous semble juste et nous sommes heureux d'avoir fait Battles. Je m'en fous du temps passé en studio, je m'en fous de la manière, je suis triste de le dire mais je m'en fous des avis extérieurs. Imagine, tu penses avoir produit un album que tout le monde va aimer mais au final personne ne l'aime? Alors tu perds toute confiance en toi et tu ne crois plus en toi, c'est la pire chose qui puisse t'arriver quand tu es dans un groupe. J'ai besoin de sentir un challenge, j'ai besoin de prendre du plaisir, j'ai besoin de me sentir bien. Les gens voient ce plaisir lorsque nous sommes sur scène, si j'avais du jouer du Jester Race toute ma vie je serais comme ça (il mime un guitariste ultra stoïque au regard vide) et j'aurais eu l'impression d'être un ado dans un groupe de reprise. Ce n'est pas moi, ce n'est pas In Flames. Je sais que c'est triste de dire ça, mais c'est comme ça, c'est nous et je sais que c'est le meilleur pour nous.
Eh bien quelle démonstration. Au moins les fans connaissent ton point de vue maintenant. Tu parles de challenge, alors quel est-il pour In Flames avec Battles?
Quand tu es musicien, je crois que le côté le plus évident d'un challenge c'est d'être plus technique et meilleur à chaque album, sur les solo bien sûr et par exemple, mais aussi sur scène. Et je pense que nous avons relevé de nombreux défis quand je vois les derniers concerts que nous avons fait. Après, il y a un autre challenge mais je n'ai pas trop de mot pour le décrire. Mais je pense que c'est la possibilité de produire quelque chose qui te satisfait dans un environnement totalement différent.
Pour Siren Charms nous avons enregistré dans un studio légendaire en Allemagne (ndlr: le Hansa studio) et il faisait froid, putain il faisait si froid à cette période. Alors pour Battles nous nou sommes dit "pourquoi ne pas faire l'inverse? Enregistrer au soleil en buvant des bières fraiches". (rires) Nous avons enregistré dans pas mal de studios et aller aux USA a été une expérience totalement nouvelle. Ils ne travaillent vraiment pas pareil qu'en Europe. Les conditions de travail, la façon de travailler, les équipes avec lesquelles tu enregistres, la façon dont nous avons écris les compositions, il y a vraiment un grand fossé entre les studios d'Europe et ceux des USA . Et quand tu regardes notre discographie je crois que Battles apporte un son vraiment nouveau, tu sens quelque chose de frais et d'unique.
Rappelons donc que vous avez enregistré Battles à Los Angeles. Et il est vrai qu'il sonne très différemment de vos autres productions. On dirait souvent du metalcore, serais tu d'accord pour dire qu'il y a une ressemblance avec Bring Me The Horizon, même s'ils sont britanniques?
Bring Me The Horizon? Hmmm j'aime ce qu'ils font mais je ne pourrais pas dire qu'il m'ont inspiré. Je crois que les inspirations ne changent jamais quand tu composes. J'adore Black Sabbath, Deep Purple, Queen, Maiden, Slayer... Tous ces groupes m'ont façonné. C'était surement plus évident aux débuts d'In Flames. (rires) Je pense que tu serais aussi surpris si tu savais tout ce qu'écoute Anders ! (rires)
Serais-tu d'accord pour dire que le fait qu'Anders ne fait pratiquement plus de growl influe sur votre façon de composer?
Non. Notre façon de composer est classique, je pense. Nous composons notre musique et il chante dessus. (rires) Cela fait plusieurs années qu'il utilise du chant clair tu sais. Cela n'a jamais changé et je pense que le contraste entre son chant clair et des guitares percutantes est intéressant, pour nous bien sûr. Non, je crois que nous n'avons jamais adapté la musique au chant d'Anders, je fais de la musique que j'aime et Anders chante comme il aime. Et puis tu sais, il aime beaucoup faire des screams sur du chant clair en live.
Mais je ne suis pas tout à fait honnête quand je te dis que nous n'avons jamais changé le processus d'écriture, désolé. Avec Battles nous avons vraiment eu le temps de travailler sur le chant, ses mélodies, les sujets, les lignes de chant, plus longues, plus courtes etc... Et c'est peut-être vrai que lors de l'enregistrement, nous avons adapté certaines lignes de guitares à la façon dont il chantait pour appuyer son message. Mais Anders a aussi fait l'inverse et s'est parfois dit "merde je devrais hurler sur cette partie". Donc si, je pense que quelques compositions ont été adaptées par rapport à Anders.
Eh bien cela sera tout pour Battles, je te remercie. Vous avez donc réalisé deux clips sortis quasi simultanément. J'aimerais parler plus particulièrement de "The End" qui ressemble beaucoup à un jeu vidéo...
Avec plaisir (ndlr: Björn a vraiment des étoiles dans les yeux)! J'adore les jeux vidéo et Peter Iwers aussi ! Nous travaillons toujours avec Patrick Ulleaus pour "The End" et aussi pour "The Truth". "The End" a vraiment été réalisé comme un FPS (ndlr: jeu de tir à la première personne) et l'on voulait vraiment que celui qui la regarde se sente à la place du personnage, qu'il se sente derrière ses mains. Le message est simple: à la fin que se passe-t-il quand tu perds totalement le contrôle? On s'est vraiment éclaté à travailler sur ce clip et je trouve son message et son déroulement vraiment intéressant. Patrick a fait un travail remarquable.
A propos de jeu vidéo, Peters et toi avez été invités à un événement organisé par Activision , l'éditeur du jeu de tir Call Of Duty. Y a t-il un lien entre cette vidéo et Call of Duty?
En fait la vidéo a été réalisée avant cet événement. Donc non, désolé ! (rires) Mais Peters et moi sommes des énormes joueurs et je crois que les metal heads sont aussi des très gros joueurs, surtout les plus jeunes. J'aime beaucoup voir ces deux passions se rencontrer. Après je peux te dire que nous avons vu des opportunités lors de cette invitation d'Activision, s'ils veulent qu'on leur joue un morceau pour un nouveau jeu ou du contenu supplémentaire pour le nouveau Call Of je dis oui immédiatement (rires) (ndlr: Björn a des galaxies dans les yeux). Je suis un nerd et c'est parfait pour moi ! (rires)
Tu n'es pas fan de Battlefield? C'est développé par le studio suédois DICE.
Bien sûr que oui! J'attends le nouveau Battlefield qui se passera pendant la première guerre mondiale !
Bon, j'ai une dernière question concernant le death metal mélodique. Cette année, In Flames et Dark Tranquillity, deux pionners du genre, vont sortir un album au mois de novembre. Je pense que cela peut être intéressant de te demander ton avis sur la carrière de DT. Surtout que Anders a été leur chanteur il ya plus de 20 ans...
... Et Mikael Stanne a été le chanteur d'In Flames au même moment. C'est une très belle question. Eh bien, il y a quelques années nous étions des amis très proches, aussi longtemps que je me souviens. Nous avons partagé tellement de scènes avec eux et nous étions si jeunes. J'ai un respect immense pour ces gars. Pour ce qui est de créer des atmosphères, il seront toujours les meilleurs. Je crois que cette époque où nous avancions jours après jours avec eux, où nous parlions tous les jours avec eux, ça a été une véritable chance. Et puis le temps a fait que nous nous sommes éloignés les uns des autres. Mais tu sais, le fait que nous sortions un album en même temps est peut-être la dernière chance pour que nous fassions une tournée ensemble, j'adorerais ça! Je crois qu'ils resteront toujours des amis proches peu importe le temps, je les adore. Et tu sais ce que a complètement du sens? C'est que nous avons un Iwers comme bassiste (ndlr: Peter Iwers, nouveau bassiste de DT)!
Et puis quand je repense à cette époque je me dis que la Suède a quand même des putains de bons groupes. Nous avons Evergrey, Meshuggah, Hammerfall... Tous ces groupes sont des amis. Tu imagine si un jour tous ces groupes se retrouvent sur scène?
Cela ferait un sacré beau festival, je pense. Je me souviens, lors d'une interview avec toi, il y a deux ans, tu me disais que tu attendais le nouvel album des "créateurs du death mélodique", At the Gates. Qu'as-tu pensé d'At War With Reality?
Vraiment, vraiment génial. Je suis un immense fan d'At the Gates, de Slaughter Of The Soul, bien sûr. Mais 18 ans après, sortir un truc aussi énorme et qui sonne comme cet album légendaire et juste incroyable. Ils ont vraiment réussi leur coup et ni In Flames ni Dark Tranquillity n'auraient existé sans At The Gates. Ils sont vraiment grands, très grands.
Les derniers mots sont pour toi et pour les fans français...
Nous vous aimons vraiment beaucoup et nous adorons Paris, nous avons de très grands souvenirs dans cette belle ville. Nous viendrons vous voir bientôt avec j'espère une date au Hellfest, c'est vraiment un festival génial et je garde un très bon souvenir de notre dernier passage.
Photos
Arnaud Malassé
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