Huntress – Spell Eater

Il y a quelques temps, Lullacry arrivait dans notre bac à promos. Et pour mes pauvres oreilles, c'était la déconvenue. Saignements des tympans, grincements de dents, il me fallait quelque chose, un pansement pour soigner ces innocentes victimes, rapidement. Un peu de Moonspell, et les choses rentrent dans l'ordre. Où voulais-je en venir avec cette introduction ? C'est très simple, voyons. Imaginez mes craintes, la peur qui arrive au ventre quand, en guise de photo promo pour le groupe du jour, je vois ça :

Jill Janus
Le petit chaperon rouge, après avoir mangé le loup

Oui donc vous comprenez tout de suite ce que ça veut dire : encore un groupe qui mise tout sur le physique de sa frontwoman au dépend d'un quelconque talent, et ça va repartir dans un schéma Lullacry consternant, qui fait perdre toute confiance en l'humanité, et te donne envie d'aller dégommer l'ours en peluche de ta petite sœur, juste par instinct de vengeance pour lui montrer que la vie elle n'est pas belle. Problème, je n'ai pas de petite sœur. Donc, fallait bien se défouler sur quelque chose d'autre … Pourquoi pas la formation du jour, tiens ? Oui après tout, on dirait que tous les éléments sont réunis pour taper sur les doigts de ces messieurs et de la jolie demoiselle qui leur sert de frontwoman en mode cachez ce sein que je ne saurais quitter du regard.

Sauf que voilà, les moult écoutes accordées au quintet américain, Huntress de son petit nom, ont balayé tous les préjugés possibles et inimaginables qui se forgeaient. Les miracles existeraient-ils ? Il faut croire que c'est bien le cas. Car à la place du rock/metal alternatif neo-punk gnangnan pseudo-rebelle kikoolol du groupe finlandais dont le nom est évoqué tout au dessus, là, en haut, voilà une autre formule appliquée, une soupe bien plus agréable pour le palais, et quel régal ! Pas originale, bien sûr, traditionnelle, concoctée dans les vieilles marmites de grand-maman. De toute façon, le dicton populaire veut que ce soit dans les vieux pots que l'on fait les meilleures confitures, mais comme on parlait de soupe, autant rester dans ce domaine. Les légumes, eux, sont sélectionnés sur un marché qui préfère la qualité à la quantité, ainsi, les dix morceaux seront plutôt équilibrés et sains, avec des produits frais de saison, s'il vous plaît. Donc, pour un bouillon de heavy metal traditionnel à l'américaine, c'est le choix idéal, même si peu original, mais la saveur reste intacte, comme dans les soupes à l'ancienne. Sauf qu'en plus, vous ajoutez vos bouillons de cube thrash, des épices power et même, pour la fantaisie, mais aussi l'efficacité, une préparation à base de riffs black metal, qui amplifient toute la saveur et donnent ce petit goût épicé à une piste comme « Spell Eater ». Miam miam, ça semble alléchant sur le papier, et, rassurez-vous, ça reste toujours aussi bon. Teintez les paroles d'occultisme, de magie et de sorcellerie, et vous vous assurerez de retrouver cette formation sur une vague à la mode, au même titre que The Devil's Blood, Ghost ou Christian Mistress.

Reprenons le parallèle avec les finlandais de Lullacry, et leur sachet en poudre dégueulasse, sous-produit pas cher mais à la saveur détestable. Pourquoi ce n'était pas bon ? Car les guitares sonnaient faussement agressives mais restaient à l'arrière-plan, exprès, pour ne pas choquer la fan de base d'Avril Lavigne. Et chez Huntress, on ne vise pas du tout le même public. Eux, ils vont chercher les fans de heavy, les nostalgiques de sonorités qu'on retrouve un peu moins, sans tomber dans le bête revival, cliché qui apparaît aussi de plus en plus. Ils sont malins, et en plus, on sent que dans le breuvage, il y a quelque chose qui s'appelle la passion. Pas un vulgaire coup de marketing comme on pourrait initialement le croire, donc. Non, un vrai talent, et des compositions qui sont quand même bien ficelées, avec des riffs franchement ravageurs et qui sonnent bien. Il suffit d'aller prendre « Spell Eater », le titre qui a donné son nom à l'opus, et on se rend compte du gros travail sur la guitare, qui semble sortie d'une formation de black metal. Au départ, ça surprend, mais finalement, le rendu est plus que positif, même si les influences sont un peu ressenties. Tout le goût est bien préservé du début à la fin, et cette mise en bouche n'est là que pour nous montrer qu'ils en ont dans le ventre, et pas seulement dans la poitrine de la chanteuse. Et entendre que le taureau est pris par les cornes et que la rythmique énergique est une constante tout au long de la traversée, c'est une force qui devrait servir d'exemple à certains.

Seulement, cela peut également se retourner contre eux. Non pas par un manque de diversité, car les titres, eux (et pas qu'eux mais on y reviendra), sont suffisamment variés pour contenter le plus de monde possible. Ainsi, la répétitivité et la linéarité ne trouvent pas leur place dans la folle cadence imposée par les grattes d'Huntress, qui martèlent et filent en cavalcade. Mais quand l'accalmie arrive comme sur « Aradia », cela donne lieu à des morceaux qui sont loin d'être mauvais, mais un peu plus oubliables, et qui semblent en-dessous des autres. Sentiment étrange, d'autant que l'on dirait que pour composer des pistes plus typées mid-tempo, le groupe semble un peu moins inspiré, et ses qualités se révèlent surtout lorsqu'il s'agit de se faire puissant et véloce. Un exercice auquel, heureusement, les américains décideront de ne pas trop se confronter. Et la seconde de ce type, « The Tower », est, elle, bien plus efficace, grâce à un refrain presque entièrement porté par sa chanteuse, qui décidément sait y faire, même si, bien sûr, elle ne bénéficiera pas de l'amour de tous.

Huntress

Car Jill Janus, elle aime en faire beaucoup, parfois jouer sur la limite, et sa grandiloquence pourra agacer autant qu'être admirée. Qu'on se le dise, la jeune femme n'a pas besoin de jouer sur son physique pour être remarquable, et remarquée, car sa voix est un point qui pourra permettre à Huntress de se démarquer. Bien sûr, à cause de ses manières pas toujours très distinguées, sa voix bien heavy un peu brut de pomme, sa versatilité qui n'est pas sans évoquer un certain King Diamond (tiendrait-on notre réplique du chanteur danois en version féminine ? Tout porte à croire que oui), ce sera amour, ou haine envers la frontwoman, qui pourtant n'a pas à rougir de sa performance, qui tire l'album bien souvent vers le haut, quand parfois l'accompagnent ou la partition peuvent sembler un peu léger. Son timbre est particulier, et ça vient donner son petit cachet à la musique. Et ses tentatives de chant extrême ? Convaincantes. Pas encore géniales, mais c'est en bonne voie. Et le niveau général est élevé. Si Jill est bien dotée de quelque chose, c'est de talent, et pas seulement d'attributs avantageux. Oui je vous voyais venir à des kilomètres, bande de petits malins.

Et en plus, dans le potage, un ingrédient s'immisce : l'expressivité. C'est très simple, les morceaux semblent vivants, et parviennent directement à nous transporter dans un univers sombre et dessiné par le groupe à coup de ligne de chant. C'est le cas de « Children », où Jill Janus est tout simplement hystérique, et on se met dans la peau de cet enfant qui court, court et court pour échapper au danger, avec bien sûr notre charmante vocaliste pour nous prévenir. C'est une constante dans la musique du combo, et on a comme l'impression que la demoiselle vit les morceaux, qu'elle nous raconterait presque une histoire parfois. Huntress ne joue pas dans l'immédiateté, ils préfèrent laisser une ambiance s'installer, en plus de parvenir à nous dévorer par leurs refrains acérés. Ils mettent donc plusieurs atouts de leur côté, et c'est un pari gagnant. Là où ils auraient pu se casser la gueule, les américains réussissent au contraire à laisser une trace de leur passage, avec une dextérité à l'épreuve des chocs. En même temps, quand on voit que le bassiste Eric Harris compte dans son CV une expérience chez Skeletonwitch, on était en droit de ne pas s'attendre à un niveau débutant.

Donc, question pistes, c'est le ravissement. Ce son thrashy-heavy-power, croisement entre un Iced Earth ou des groupes de la vague NwoBHM fait mouche, et va conquérir le cœur des auditeurs, à coup de glaive et de pied de micro. Le combo de la poupée hantée qu'est Jill Janus peut compter sur le talent de celle-ci pour rendre hypnotisant des titres comme « Children » ou « The Tower », là où mademoiselle va chercher soit dans le très aigu (premier morceau), soit au contraire dans le plus grave (second morceau), tout en gardant cet aspect déchaîné. On retiendra aussi un « Spell Eater » qui est un titre introductif idéal à cet opus du même nom, ou encore « Terror », qui porte bien son nom. Les moutons noirs, « Eight of Swords » et « Aradia », ne seront pas complètement exclus, mais force est de constater qu'en fait, on ne revient pas souvent dessus, surtout par rapport à d'autres morceaux qui valent le détour. En plus de cela, Huntress est accompagné d'une production qui ne sonne pas trop moderne ou proprette, pour garder justement cet esprit d'authenticité qui fait le charme du heavy metal. Et en plus, le mixage est bien fait. Que demande le peuple ? Ce groupe américain devrait donner l'adresse de son studio de mixage à Lullacry, ça pourrait leur être profitable.

En dépit de tous les clichés, contre vents et marées, Huntress ne sera pas un Lullacry bis. Au contraire, voilà un groupe hautement prometteur, qui réalise avec Spell Eater un premier brûlot de très bonne facture, et qui devrait se faire sa place au soleil, surtout qu'il semblerait qu'un petit buzz soit en train de se faire autour de notre quintet. Mais si une chose est certaine, c'est que du talent, ils en ont à revendre ! Alors ne passez pas à côté de ce breuvage, si vous avez soif et que vos tympans ont été agressés par des formations aussi méchantes que les finlandais dont on a déjà trop cité le nom, c'est la boisson idéale. Et puis, si en plus, ça peut embêter votre petite sœur, pourquoi vous en priver ? Enfin, si bien sûr, on en a une …

Une question se pose maintenant, chers lecteurs : vous croyez que les membres de Lullacry poseront une oreille là-dessus ? On va croiser les doigts pour que ce soit le cas.

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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