Entretien avec Ded, guitariste d’Aggressive Agricultor


"Quand on a débuté en 1986, c'était ouvert. La question était : comment faire pour se différencier des autres groupes, hormis le fait qu'on soit des branleurs et qu'on n'ait pas de matos?"

Ded (guitare), nous a gentiment accordé cette interview pour nous parler de leur dernier et excellent album en date ainsi que du groupe et sa carrière qui atteint le bel âge de 30 ans cette année.

Pour commencer vous avez un nouvel album qui s’appelle 2016 avec une pochette rappelant nos chers Motörhead, pourquoi ce choix et qui l’a réalisée ?

C'est très simple. On est des fans de la première heure, même si ça ne se ressent pas spécialement dans notre musique. Personnellement (DD - guitare) j'ai découvert ça en 1982 avec le live No Sleep Till Hammersmith et ça m'a bien plu à l'époque. Je trouvais leurs pochettes très agressives, avec un air guerrier et bad boy, et leur emblématique Snaggletooth du premier album, qui a été exploité tout au long de leur carrière... Bref tout ce qui pouvait plaire à un gamin de 15 ans fan de BD et de flims d'horreur. J'avais même dessiné le Snaggletooth sur mon sac "US" pour le customiser (c'était la mode en 82). Par contre, je ne comprenais strictement rien à leur musique ! Trop bordélique, comparé à Metallica, par exemple. En fait, c'était du rock'n roll, mais je le savais pas encore. J'étais trop jeune.

Quand on s'est posé la question de la pochette du nouvel album, ça m'est venu comme ça par l'opération du Saint Lemmy. On était en 2015, Lemmy était encore vivant, et on n'avait encore rien enregistré, bien que les morceaux fussent déjà écrits. Donc j'ai dit à Stef : "Puisque l'album sortira en 2016, pourquoi ne pas rendre un hommage au 50ème degré à Motörhead ? On l'appelle 2016 (1916 + un siècle) et on fait un dessin de monstre à la Snaggletooth, mais en mouton car on est dans l'année du mouton. Pour les drapeaux, je mettrai les écussons des 7 provinces basques..." Stef a répondu : "Que t'es con, mon DD ! OK si tu peux le faire, juste fais-le." Et donc voilà le résultat. Le mouton final est devenu un bélier croisé avec un ours des cavernes et un bouledogue, les écussons n'ont pas été retenus, mais j'ai mis les chaînes de la Navarre pour compenser.
Je signale également qu'on vient juste d'arrêter de reprendre "Ace Of Spades" à nos concerts, morceau qu'on jouait à chaque fois depuis plus de 20 ans. On a essayé d'autres reprises, mais ce morceau-là, je sais pas pourquoi, on le tenait bien. Du coup, maintenant que Lemmy est mort, on arrête car c'est un peu téléphoné.

Sur cet album vous êtes allés sur des sujets plus politiques et engagés semblerait-il en particulier sur "Aux Armes Paysans". La détresse grandissante des agriculteurs la voyez-vous personnellement au Pays-Basque ?

Non, pas spécialement au Pays Basque, mais le thème de la manif paysanne est rarement abordé dans le monde musical. Jamais ? Ah bon, t'es sûr ? Il y a bien Alexandre Astier qui s'y est attaqué dans Kaamelott, et avec beaucoup de réussite, je trouve. Guethenoc et Roparzh me font hurler de rire. Je sais que le sujet est délicat car il y a quand même tout d'un tas de suicides, donc on reste respectueux mais notre fond de commerce, c'est l'humour à deux balles. Pour l'anecdote, je signale que cette chanson a été écrite par Lolo notre ancien batteur (de 1986 à 1994), avec qui nous sommes toujours amis. Simplement, il n'était pas attentif, et donc il n'a pas remarqué que j'avais déjà écrit un morceau sur le sujet ("OGM Lacrymogène") dans l'album Pigs Not Dead. Pour info, il a aussi fait le coup avec "Cochon, quelle vie de chien" (voir "Mon cochon c'est mon copain"). Il est pas attentif, je te dis.

Le monde paysan et la ruralité sont vos thèmes depuis vos débuts, pourquoi ce choix ?

Quand on a débuté en 1986, c'était ouvert. La question était : "Comment faire pour se différencier des autres groupes, hormis le fait qu'on soit des branleurs et qu'on n'ait pas de matos?" On voulait faire du thrash, du hardcore, du black bétail, de la valse gothique, et quoi que ce soit. Mais pas comme tout le monde. Alors Stef notre premier chanteur qui s'appelait déjà Stef (tous nos chanteurs s'appellent Stef, c'est obligatoire) a déclaré : "On a qu'à s'appeler Aggressive Agricultor, en rapport avec le morceau de Slayer ("Aggressive Perfector") et notre première chanson qui s'intitule "Vive la campagne". On a répondu : "Putaing ! T'es complètemeng cabournasse, oui !! OK c'est bon." Fallait pas le gonfler, il était très costaud et il courait plus vite que Speedy Gonzalès.
 


D’ailleurs aucun d’entre vous n’est agriculteur si les infos sont bonnes, quelles sont vos activités en dehors de la musique ?

Nous nous sommes rencontrés au Lycée agricole d'Hasparren, d'après notre biographie semi-authentique. Actuellement, nous exerçons diverses activités à but lucratif, bien que partiellement légales. A part moi qui suis fonctionnaire. Enfin au moins jusqu'en 2017, car ensuite je devrais être supprimé comme 499.999 collègues à moi, et envoyé dans un camp par le nouveau gouvernement à venir. Les trains sont déjà prêts. Sinon, détrompe-toi car je t'informe que Stef travaille sur une exploitation viticole de renommée intercommunale. Une cuvée Aggressive Agricultor 2016 est prévue pour 2018 (attention, cette dernière info est parfaitement officielle).

Dans cet album, mais aussi dans les précédents, on sent aussi une empathie pour les animaux de la ferme et, comme pour les paysans, un intérêt pour leur condition de vie comme dans les titres "La Cochonnaille" ou "Poulet Rôti", est-ce également un sujet qui vous tient à cœur ?

C'est notre cœur d'activité. Par ailleurs, je m'étonne toujours que, malgré les 30 ans passés à creuser le sujet, on ait encore des trucs à écrire. Donc je suis confiant pour la suite. On pense "ferme", on vit "tracteur", on mange "paysan". A côté de ça c'est vrai que les animaux sont une mine d'or pour trouver des thèmes. Et encore, là on a fait que la basse cour. En 2050, on attaque les insectes et les mammifères marins. De plus, on peut écrire ce qu'on veut sur un cochon ou une vache, sans craindre les procès en diffamation.

On a parlé de votre coté défense des animaux mais il y a aussi de "l’amour" pour eux. Lequel d’entre vous vit à Iraty avec une brebis ?

C'était Jojo (guitare bis) mais cette histoire remonte à 1994. Il a déménagé plusieurs fois, depuis. Et sa brebis est partie avec une chèvre.

Continuons sur un autre sujet difficile et dont vous avez intitulé votre précédent album/compile "la consanguinité". Comment vivez-vous cela personnellement ?

C'est un problème. Quand tu rencontres une fille dans une fête de village, tu te demandes toujours "Est-ce ma cousine ? Je la drague ou pas ? Bon allez tant pis, je la drague." Et voilà, faudra pas venir se plaindre, après, hein ? Des générations d'ADN dégradé, aboutissant à la stérilité et à la trisomie 21. Le futur de l'humanité.

Dans les films de Sam Raimi, il y a toujours une voiture beige. Vous c'est un tracteur. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce véhicule peu connu des citadins ?

Je préfère les flims de John Carpenter, mais allez je fais un effort, je m'intéresse. Oh, bien sûr, je peux citer quelques marques en passant : John Deere, Lamborghini, International, Renault, McCormick, Fiat, New Holland, Lenz, Massey Ferguson, Harley Davidson, après, je ne reconnais plus personne. Si, on n'oublie pas le fameux Vierzon vert et jaune d'Aimé Lacapelle (une BD hilarante de Ferri, chez Fluide Glacial, à lire absolument si vous êtes dans le trip Aggressive Agricultor NDLR). Le tracteur est un marqueur social chez les paysans, dans l'imaginaire populaire. C'est un peu comme la BMW chez les dealers de crack. Ça va moins vite, mais ça fait autant peur aux flics. On peut s'en servir pour labourer, comme pour descendre au village chercher le pain, ou aller en boîte le samedi soir. Un véhicule multi-tâches.
 


Pourriez-vous nous dire ce qu’est le Joko garbi ?

Le joko garbi est un jeu de pelote basque qui se joue à la chistera, un genre de gant en osier et en cuir (le petit gant) avec lequel on attrape la balle (pilota), et on la renvoie en "hougnant" (comme un bourrin) sur le mur d'en face (le fronton), où elle rebondit et ensuite c'est à l'équipe adverse de faire pareil jusqu'à ce qu'un joueur "se chie" (rate la balle, ou l'expédie dans le champ derrière l'église, auquel cas elle est "falta"). C'est extrêmement ennuyeux. Quand on tape "Joko garbi" dans Google, tout de suite il vous propose "Joko garbi chanson". Eh oui c'est nous ! C'est pas énorme, ça ? On la joue parfois en concert, quand l'ambiance s'y prête. Ça fait danser les vieilles.

2016 est très travaillé musicalement comme "La Chasse au Champignon" et le très long "Scarecrow" (très rare dans votre discographie), qu’elle a été le processus d’écriture pour ces morceaux et cet album en général ?

Sans dévoiler tous nos petits secrets, disons que pour 2016, j'ai composé 66,666 % des musiques, et quatre chansons. Stef en a fait deux et Nico une en entier plus deux paroles. On a aussi embauché notre ancien batteur Lolo pour quelques paroles bien débiles, comme il en avait l'habitude au siècle dernier. En général (je parle pour moi), je compose une musique, et Stef se démerde comme il peut pour caser des paroles dessus avec ce qu'on a en stock. J'avoue que c'est peu orthodoxe et vraiment pas facile pour lui ! Mais avec les années, il a bien compris comment je fonctionnais, et au final ça passe. En tant que fan inconditionnel de Carnivore et Type O Negative, qui ont fait ça de temps à autre, j'ai réussi à caser un bout de classique ("Moussorgski") dans "La Chasse aux Champignons". Désolé, Peter, j'ai même pas honte, c'est trop beau. Le morceau de 12 minutes avec un solo de 10 minutes ("Scarecrow") c'est une idée que j'ai carrément pompée aux Hard-Ons, morceau "Test" version single. Je plaide coupable, encore une fois. Pardon. Je suis un escroc. Pardonne-moi, Duc. Mais on a bien rigolé à l'enregistrement, ce qui est primordial pour nous. Imagine un guitariste ou un bassiste, en train de taper un mi sur sa gratte sans bouger la main gauche pendant 10 minutes. Et plusieurs fois, s'te plaît. Fallait que ce soit en stéréo.

C’est votre premier album avec votre nouveau batteur Nico, qu’a t-il apporté dans vos compositions ?

Déjà, il a composé un morceau entier "Pépé Jeloux" et écrit des paroles, ce qui nous a bien dépanné, et qui a également officialisé et concrétisé son mariage agricole avec nous, les anciens. Oui, il est plus jeune, plus rapide, plus puissant, en un mot : le meilleur. Il a beaucoup aidé à la mise en place des paroles sur les morceaux, ainsi qu'à certaines harmonisations. Quoi ? J'ai dit un gros mot ? Après, il fait les chœurs, dessine les backdrops, prépare les nouilles, fait le café, la vaisselle, donne à manger au chat, et balaye la terrasse. De plus, il a un local de répète digne de Cenon, mais qui se trouve à Peujard, aussi dans le 33. Pour finir, il joue dans un autre groupe : les Bearded Basterds (guitare + chant). Je sais pas quand il dort.

Quelles ont été vos principales influences passées et présentes dans vos albums ?

Alors, je distinguerais les influences qu'on aimerait pouvoir restituer, et celles qu'on restitue effectivement. Par exemple, musicalement, on adore Slayer, mais en tant que groupe, on a un peu de mal à faire des morceaux dans leur style. C'est pas notre truc de jouer ça, et honnêtement on en a pas les capacités (dû au peu de temps qu'on peut passer à répéter ensemble). Pourtant, à nos débuts on en reprenait allègrement sans se poser de questions "Black Magic", "Die By The Sword", "Innagada Da Vida"). Cependant, j'aime bien leurs solos, qui sont quand même bien frelatés. Pour mes compos, je m'inspire de Carnivore, Poison Idea, Madball, Type O Negative, les Ramones, Motörhead, les Dead Kennedys, Ratos de Porão, et tant de musiques sur lesquelles je tombe comme ça. Ce qui nous plaît aussi, c'est d'intercaler des citations en plein milieu d'un solo, ou carrément un générique de série télé en intro, ça c'est notre truc depuis le début. On est des enfants de "La 5". L'ensemble est un peu disparate, surtout quand c'est Stef qui compose, car il est plus "punk rock" que moi dans les influences. En fait, chacun apporte son feeling, et comme globalement on a des goûts musicaux assez différents, ça donne un gloubi-boulga qui plaira bien à Casimir. Voici venu le temps des rires et des champs.

Il y a une sorte de fil rouge dans votre dernier album avec l’histoire du chasseur, son chien, son voisin et même les poules, vouliez-vous faire un concept album ?

Oh non, loin de là. Juste un album. On a déjà un concept en tant que groupe, tu vois. C'est Lolo notre ancien batteur qui a écrit tout ces trucs pour nous. A part "Poulet Rôti", qui est de moi et qui n'a pas de rapport avec le chien, le chasseur, et le voisin. Comme la première nous a bien fait rire, on lui a laissé carte blanche pour en faire d'autres. Du coup, il a fait une mini-série avec flashbacks, spin-offs et crossover. C'est génial comme idée. Après ça, Nico a fait une suite avec "La Chasse Aux Champignons". C'est toute une histoire répartie sur plusieurs chansons, et dans le désordre pour tromper l'ennemi. L'ennemi est bête : il croit que c'est nous l'ennemi, alors qu'en fait c'est lui.
 


Comme la question des Inconnus : et un bon chasseur c’est quoi alors ?

Je dirais : un chasseur myope sans lunettes. Ou aveugle.

Vous fêtez vos 30 ans d’existence cette année, une longévité assez rare en musique, que retenez-vous de toute cette aventure et êtes vous repartis pour 30 ans ? Quels sont vos prochains projets ?

J'avoue qu'on est assez fiers d'avoir passé le cap des 30 ans, celui du millénaire, et le bug de l'an 2000, heureux d'être toujours sur la brèche, grâce au soutien de tous ceux qui nous ont suivis depuis le début, ou qui nous ont connus en cours de route. On a commencé dans le portnawak, et en y repensant, on s'est encore dit l'autre jour, qu'en mars 1986, on ne pensait pas durer plus de 6 mois. Nos parents nous encourageaient en nous disant qu'on était "nuls" et ils regrettaient de nous avoir payé des cours de musique. Maintenant, on est devenu des potes de 30 ans, une famille, et ça nous empêche pas de continuer dans la débilité, mais avec du meilleur matériel et un meilleur son. Ce qui a amené cette longévité, c'est de pas se prendre au sérieux, et de faire sérieusement (la plupart du temps) quelque chose de pas du tout sérieux. C'est beaucoup d'autodérision, et encore plus de moquerie. C'est d'avoir fait une croix sur l'ambition, mais pas sur l'amusement.
Pour la suite, on va continuer nos activités avec un nouveau site internet (merci à Cloé pour le boulot), toujours des concerts en one-shot, de nouvelles rencontres, des retrouvailles, un nouvel album d'ici deux ou trois ans, j'espère, et peut-être quelques festivals, ça serait bien de penser à nous avant qu'on tombe en ruine. Rendez-vous en 2046.

Peut-on espérer votre passage à la capitale, même en tracteur, pour un concert ?

La capitale ? Tu veux dire : Pau ? Quoi ? Paris ? Ben oui, on peut toujours espérer. Après tout, en 2013, on y a joué 2 fois. Comme en 1988. C'est un peu chaud pour garer la R12, mais une fois la place trouvée, c'est la fête du slip !

Merci pour cette interview, on vous laisse conclure à votre guise !

C'est nous qui te remercions. Agricole attitude forever !

 



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