Astral Tears – Hypnotic

En 2012, le metal moderne à chanteuse se porte mal. Lacuna Coil, le représentant du genre, porte-étendard italien mené de front par Andrea Ferro et Cristina Scabbia, nous livre Dark Adrenaline. Déjà que Shallow Life sentait le roussi, le groupe fossilisé jusqu'à la moelle, incapable de se renouveler et d'apporter un peu de qualité musicale, ayant cédé à la facilité, on attendait que leur nouveau brûlot soit inspiré, aux mélodies efficaces et prenantes. Ben non. Encore une fois, c'était répétitif, plat, facile, et on en fait très vite le tour. Sans parler de la reprise abominable de « Losing My Religion ». Si on retrouvait les musiciens égorgés, et les membres de R.E.M comme principaux suspects de l'affaire, j'étais pas loin d'aller témoigner en leur faveur, qu'on leur accorde des circonstances atténuantes. En même temps, se faire massacrer une chanson connue de tous, c'est clair que ça doit te rendre vert.

Et sinon, d'autres noms ? Eths, eux, divisent avec III. Les fans aiment, ou n'aiment pas. On reproche un côté trop Mylène Farmer, une utilisation abusive du chant clair, tandis que les autres crient au génie, à l'expérimentation. Bref, dans ce clivage, difficile de concilier. Donc le metal moderne à chanteuse, il ne va pas très bien, le pauvre, il pleure dans son coin, et se demande qui pourra, enfin, lui faire relever la tête ? Toc toc toc, on frappe à sa porte. « Qui est-ce ? », voilà la question qu'il se pose. Il arrive à sa porte, et finalement, il n'y a personne. Juste un CD, déposé devant, avec une pochette qui l'intrigue. « Astral Tears ? Jamais entendu parler ... ». Il pose le disque sur sa table basse, il hésitait à le mettre au feu dans un grand élan de désespoir, faut le comprendre lui aussi, il est désespéré, ce pauvre metal moderne à chanteuse. Finalement, dans son sommeil, la fée de la curiosité vint à son épaule, et lui susurra ce doux nom : Hypnotic, premier brûlot d'Astral Tears. Alors, il décida d'enfiler le CD dans sa platine, non seulement car il avait quand même envie, dans une vague d'espoir, de savoir ce qu'il en était, mais aussi parce qu'il n'avait pas encore écouté le dernier Exilia.

En fait, on se demande avec quoi ça se cuisine, le Astral Tears ? C'est une recette bien compliquée, mais très bien ficelée, qui regroupe plein de petites choses, qui va piquer chez un peu tous les styles, pour aller concocter sa bonne tambouille, qui est plutôt goûteuse, par ailleurs, et loin de toucher au plagiat de tel ou tel groupe. En gros, tout se ficelle autour d'un metal mélodique énergique, frais et moderne, très, très moderne. Sauf que si vous suivez bien l'histoire, tout se passe chez le metal moderne à donzelle, donc, c'est normal. Rien de choquant jusque là, mais il va falloir ajouter un peu de neo (pas trop non plus) par-ci pour l'énergie et le côté direct, de prog pour certaines structures mélodiques et parties musicales, de metalcore dans certains breaks (« Hate the Enemy », « Awake »), de djent, ce genre à la mode, dans « Awake » par exemple, mais, surtout, un ensemble mâtiné de teintes orientales, doucement portées par un chant qui vous transporte à la fois en Orient, tout en gardant des sonorités assez américaines. Le mélange est osé, original, et très bien conçu, car le charme que cela confère à Astral Tears est décuplé. Que les touches soient minimes (« My Reality »), ou au contraire très assumées (« Desire », « Behind the Curtains », « Awake »), jamais la formation n'en fait des couches. En clair, c'est comme si Myrath, Textures et Lacuna Coil allaient dans le même bar et que, bourrés, les membres s'échangeaient. Mais avouez que vous rêvez de Cristina Scabbia chez Myrath, petits coquins.

Donc, tout cela c'est bien beau, et on voit que sur la forme, le tout est travaillé. Mais parfois, c'est pour mieux cacher un fond définitivement vide, un peu comme Lacuna Coil en ce moment. Mais ici, ce ne sera pas le cas. Heureusement, d'ailleurs, car sinon, le metal moderne à chanteuse, il aurait préféré se pendre plutôt que d'avoir à subir une autre humiliation. Plutôt que d'aller dans des structures hyper répétitives, de s'auto-plagier sur toute la longueur et de se dire « bon les gars, autant ne pas se fouler, on a fait un morceau, on peut le décliner onze fois d'affilées, vous en pensez quoi ? » (propos recueillis dans le QG de Lacuna Coil, avec exagérations), on a vraiment de quoi se mettre un peu de tout sous la dent. Parfois, Astral Tears n'hésite pas à se dire qu'il faut prendre le taureau par les cornes, et que bastonner, c'est le bien. Et de l'union de guitares aiguisés, d'une batterie folle et d'une rythmique à l'épreuve des chocs, on accouche de pistes du calibre de « Hate the Enemy », ou encore « End of My Story », qui envoient la sauce et se font rentre-dedans, tout en restant mélodique. Tout cela, bien sûr, sans renier les petits éléments exotiques, notamment dans la deuxième nommée. Ils se retrouvent donc un peu partout, et ne sont pas un cache-misère, loin de là. Si tout n'est pas aussi poussé que chez Orphaned Land ou Arkan, et que l'on ne peut attribuer l'étiquette de metal oriental au groupe, force est de constater que tout cela n'est donc pas superficiel. Un réel travail y est apporté, avec soin, élaboration, et inventivité. Les lignes de chant semblent donc parfois en décalage, mais c'est au final pour apporter plus d'ambiances et d'émotions. Car des atmosphères, il y en a, et c'est une grande force que la formation exploite à merveille. Plutôt que de ne se reposer que sur des bases « in your face », ils ont aussi décidés de soigner un aspect trop souvent délaissé dans le style. Donc ça cogne, mais ça fait aussi voyager. Et ça, c'est un point à souligner, digne d'applaudissements. Là où certains pensent que se reposer sur ses lauriers et sa renommée est suffisant, Astral Tears viennent leur faire un pied de nez, et montrer que même dans ce genre, on peut apporter sa touche personnelle, et son identité. Une voie sur laquelle, on l'espère, ils vont continuer à nous bluffer.

Astral Tears

Regardez comme on est pas gentil

Alors, si pour le moment, tout semble parfait, un petit point noir viendra quand même pointer le bout de son nez. En effet, l'ensemble est hétérogène, puissant ou envoûtant, ravageur ou sensuel, bref, les atouts ne manquent certainement pas, c'est sûr. En plus, la production est surprenante pour une auto-production, avec un son que l'on croirait tout droit venu des plus grands studios. Mais alors, qu'est-ce qui ne va pas ? Où est le problème ? Rassurez-vous, il est assez minime. En effet, on regrettera l'absence d'un hymne fédérateur, mais également la présence de l'un ou l'autre titre à l'inspiration un peu défaillante. « Hate the Enemy » et « Sinner » sont loin d'être mauvaises, mais semblent un peu en-dessous du lot, surtout la seconde. Elle semble un peu bateau par rapport à un ensemble bien plus inventif, et ne marquera donc pas les esprits, affublée de quelques longueurs. Quant à la première, on lui reprochera peut-être plus quelques plans qui relèvent du déjà vu, et des petites fautes de goût, mais elles aussi discrètes (le chant masculin, notamment, qui n'apporte pas grand chose). Ces deux « erreurs » (car c'est un bien grand mot) pardonnées, il nous sera possible de se délecter à nouveau de l'offrande, mais également de la très jolie voix d'une frontwoman accomplie, la jeune Beyza.

Car s'il faut donner à peu près une fourchette, la belle n'est pas si éloignée d'une fameuse Diana Serra, chanteuse d'Aghora (dont on espère un nouvel album). Les lignes de chant sont sensuelles, et son timbre s'y prête parfaitement. Sur « Behind the Curtains », par exemple, elle est en adéquation totale avec la musique, et sa voix se fond majestueusement dans l'ensemble. Elle nous fait rêver, nous transporte, son exotisme et sa pureté sont des points essentiels dans la réussite d'Hypnotic. Car s'il n'y a aucun instrument traditionnel oriental à proprement parler, sa voix fait tout le boulot, et ne sera pas sans nous évoquer aussi Sarah Layssac, du groupe Arkan. Mais Beyza, elle a quand même sa propre empreinte vocale, tout comme la musique a son identité, et la réunion des deux est une clé importante pour permettre à Astral Tears de se faire connaître sur la scène (inter)nationale. La combinaison de la musique et de la voix est subtilement négociée, et très judicieusement exploitée. Preuve, encore une fois, de la maturité du propos.

Mentionnons quand même quelques petites pistes digne du plus grand intérêt. Même si elles ne sont pas représentatives de l'opus, « Desire » et « Behind the Curtains » sont des pauses de douceur plus qu'agréable, qui, le temps de quelques minutes, nous laissent entrevoir un univers tout à fait différent, même si la frappe puissante d'un « My Reality » nous ramène à la … réalité, enfin, pas tant que ça, car la charmante frontwoman n'abandonne pas pour autant ses petites touches arabisantes, du plus bel effet. En plus, la progression amenée sur ce morceau est très bien vue, de l'accalmie jusqu'à la tempête au moment du refrain. Les petits ajouts ici et là confèrent au titre tout ce que l'on recherche, le plaçant dans le haut du panier, au côté de « Awake », pour des raisons à peu près identiques, avec une guitare qui fait, elle aussi, un boulot exemplaire. Et en plus, ça ne ressemble pas à un bête exercice scolaire, appliqué dans « le metal moderne pour les nuls ». L'émotion est décelable, et ça fait toute la différence. A mentionner également, « Back to Life », où le refrain fonctionne, avec une Beyza au chant un peu plus aigu qu'à l'accoutumée, mais qui montre également une maîtrise dans ce registre.

Le metal moderne à chanteuse est tout content, et trépigne de joie dans sa maison. Enfin, aurait-il trouvé un nouveau prétendant pour reprendre le flambeau, et pouvoir enterrer ses reliques de Lacuna Coil qui prennent la poussière sur sa cheminée ? Il se dit que c'est à vérifier dans l'avenir, mais il ne perd pas espoir. Rêveur, il s'en va dormir, et pense bien, le lendemain, montrer sa trouvaille au metal moderne tout court, plein d'ambition, fier de serrer contre son cœur ce Hypnotic. Et croyez bien qu'il a fait de beaux rêves, cette nuit-là, en allant se recoucher.

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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