Parfois, le monde du metal nous réserve bien des surprises, surtout dans un domaine particulier : les reconversions. Si certains préfèrent rester dans le style qu'ils ont pratiqués avec leurs groupes d'antan, d'autres vont plus loin et s'éloignent de leurs origines. Dans la proximité, Floor Jansen ne s'éloignera pas tant que ça d'After Forever en allant faire sa musique avec ReVamp, pour un résultat ô combien plus mitigé, ou encore Martijn Westerholt qui formera Delain (dont on reparlera très bientôt) après avoir quitté Within Temptation. Mike Portnoy, lui, il fait carrément entre les deux : après son départ du groupe de prog Dream Theater, on l'a retrouvé un temps derrière les fûts d'Avenged Sevenfold, et désormais de deux nouvelles formations : Flying Colors, pop/rock prog pas si éloignée du genre de ses anciens partenaires stylistiquement parlant, et Adrenaline Mob dans le genre hard rock/heavy américain, où il va entraîner Russell Allen, même si là encore, le final n'est pas à la hauteur des ambitions. Mais s'ils ne sont que des exemples, aucun d'eux ne nous intéresse aujourd'hui. Pourtant, le musicien en question a, lui aussi, fait un grand écart.
Tommy Vetterli, membre de Coroner, ancien musicien de Kreator, est un habitué du thrash metal, et sa réputation n'est donc plus à faire. Pour autant, il va s'engouffrer dans un style très différent. Du metal … pas trop metal non plus, on donnera à tout cela des accents rock. Donc on va dire du rock metal, pour faire plus clair. Ah oui, et c'est une demoiselle au micro.
Une fuite de public plus tard, plaçons les choses dans leur contexte : en réalité, c'est le premier brûlot sur lequel Vetterli va jouer, mais le second de ce trio en provenance de Suisse, baptisé 69 Chambers. Et le line-up a évolué. Le guitariste bien connu vient remplacer la bassiste Maddy Madarasz, mais il ne jouera pas de la basse … ça, c'est Nina Treml, la chanteuse/guitariste, qui s'en occupe désormais. Vous suivez toujours ? Après War on the Inside, premier jet tout à fait convaincant, Massacre Records nous dévoile le second : Torque.
Donc, comme on parlait de reconversion, on s'en doute déjà, c'est pas du thrash 69 Chambers. Et c'est pas complètement du metal non plus, enfin si, quand même, on sent quand même que ça en est. Mais c'est couplé à du bon vieux rock des familles, pas le côté pop/rock de minettes, mais au contraire celui qu'on aime écouter sans avoir à se cacher. Notre trio ne s’embarrasse pas de conventions, et ne s'impose pas d'étiquettes : ils font une musique cohérente, restant dans les carcans de certains styles, tout en allant naviguer à droite, à gauche, piocher ici et là ce dont ils ont besoin pour faire ce va leur plaire, et vous plaire : allier l'efficacité et la fraîcheur de moments presque pop, catchy, à la lourdeur de riffs puissants tirés du metal. Rock metal alternatif heavy aux accents popisants, c'est pas mal comme description. Et encore ça ne regrouperait pas tout tant leur musique est hétérogène : dur de trouver un rapport entre « Cause and Effect » ou « Ring a Bell », si ce n'est la voix, qui est le fil conducteur sur tout le long. Et tout cela reste carré, solide et droit. Aucun débordement mal venu n'est toléré, tout est propre, sans être lisse, et la guitare n'est pas écrasée par le goût du miel.
Donc, comme c'est si bien dit au-dessus, et comme vous avez dévoré ce passage de texte, la musique délivrée par 69 Chambers est tout ce qu'il y a de plus diversifiée, au point même de parfois se demander : à quel public iront-ils donner leur musique ? Car les moments résolument metal, puissants et faisant secours de la tête (« Cause and Effect », « Anhedonia » ou « And Then There Was Silence ») s'opposent littéralement à ceux qui sont plus doux, tirant carrément vers le rock et s'affranchissant des pourtours metal, avec une guitare adoucie, pour une rythmique plus légère et beaucoup moins soutenue, délestée également des petites parties extrêmes (« Ring a Bell », « Burn Some Gasoline », « Your Fool »). Ainsi, les musiciens de Suisse vont ratisser un peu plus large, et auront des chances de faire plaisir à plus de monde, tout en, bien sûr, s'attirant les foudres également de ce même public : les uns trouveront la musique parfois trop brut de décoffrage (parties de guitare puissantes et growls), d'autres, au contraire, éviteront soigneusement les moments de pause rock un peu plus sensuels et moins agressifs. Et les uns comme les autres auraient torts, car il est certain que le groupe a franchement son talent pour composer des régals pour chacun. C'est ce qui rendra difficile la tâche à 69 Chambers : qui ira sonner à leur porte pour écouter Torque ?
Regarde-nous dans les yeux
Hé bien finalement, du monde quand même. Car on aime malgré tout la spontanéité qui se dégage de l’ouvre, en dépit de l'aspect plus soigné et travaillé, qui démontre tout un professionnalisme derrière, et une machine bien huilée (en même temps, quand on sait qui joue dedans, difficile d'en douter). Même si, bien évidemment, inhérent à tout cela ressurgit un défaut que moult combos connaissent également. En effet, avec tellement de pistes au sein de Torque, il est naturel que certaines soient en-dessous des autres, et ne marquent pas les esprits. Bonne nouvelle cependant : pas de chute d'inspiration, ni de mauvais. Juste du moins bon, à côté de bien meilleur. Ainsi, on oubliera plutôt vite « Ring a Bell », « Closure » et « Temple Down », trio du traînage de patte. Elles manquent cruellement de quelque chose, d'un refrain accrocheur, d'une énergie communicative, d'émotion, enfin d'âme tout simplement. Ils compensent tout cela avec quelques belles choses, qui rehausseront fortement le niveau.
Et question talent, il est impossible de ne pas mentionner l'excellente performance vocale de Nina Treml, comme d'habitude. Cette femme tire la musique vers le haut, même si elle ne sera pas au goût de tout le monde, la faute à un timbre de voix très pop, mais drôlement sensuel. Pas le genre de demoiselle qu'on imagine faire du play-back sur une musique aseptisée, mais plutôt dans une ambiance cabaret, avec tout l'aspect légèrement mystérieux qui va avec, ou en piano-bar, mais celui plus chic, où la chanteuse met le feu aux cœurs de ces messieurs rien qu'en bougeant les lèvres. Sur la ballade « Elegy », qui reprend très bien justement cette atmosphère piano-voix, le morceau devient intéressant uniquement par sa prestation vocale, qui captive et envoûte. On se croirait presque en train d'écouter du Tori Amos, et le refrain, avec la montée des violons, ira arracher quelques larmes aux plus sensibles, sans parler de l'arrivée finale de la partie rythmique, le must. Notre vocaliste de talent réussit aussi à faire honneur à Jeff Buckley sur la cover de « Grace », où la barque est bien menée par le trio. Mais réduire Nina à une voix uniquement sensuelle et pop, ce serait lui faire une sacrée insulte. Parce que la belle blonde, quand elle prend le taureau par les cornes, elle vient prouver aux sceptiques qu'elle a plus d'un tour dans son sac. Ainsi, ses intonations énervées et ses growls, comme sur « The Doom of Her Power » convainquent. Voilà un atout sur lequel 69 Chambers sait qu'il peut compter, et tant mieux !
D'autant plus que la difficulté de les ranger dans une case bien précise donne une autre conséquence : des influences plutôt brouillées, et donc une musique qui possède également sa propre identité. Pas d'originalité à proprement parler, car parfois, on pourra se dire que tel ou tel air est déjà vu et revu, ou entendu. Certains diront qu'il y a des faux airs de Skunk Anansie, alors que d'autres verront autre chose. Mais la musique sonne comme du 69 Chambers : le groupe n'a pas vraiment changé, et a évolué sans l'avoir fait. Compliqué, comme position, et les suisses prennent quand même quelques risques en combinant tellement les styles. Payante ou non, c'est un effort qui reste louable. Mais ils ne perdent pas en qualité.
On ne dira pas non à l'écoute de « The Doom of Her Power », parfait exemple des capacités de notre trio, et qui combine à la fois la douceur et la sensualité de Nina, et une rythmique incisive et de bonne tenue. La voix est cristalline, en contraste avec un fond inquiétant et massif. C'est dans ces moments-là qu'on apprécie pleinement leur musique, mais pas que. « Cause and Effect », où Chrigel d'Eluveitie vient pousser la chansonnette (et ne vient pas tout ruiner, miracle), est dans le genre plutôt agressive mais tout de même avec des relents pop. Force est de constater néanmoins que ça se marie très bien, et que l'union fait la force. Dans le registre tubesque, un peu comme « The Day of The Locust » du précédent brûlot donc. Et dans ces pistes qui restent en tête, applaudissons tous « Anhedonia », entêtante, qui a vraiment tout ce que l'on attendait de 69 Chambers, réunissant toutes les qualités déjà énumérées. Les aspects pop, rock et metal sont tous mixés dans un cocktail délectable. Et c'est vraiment dans ces situations que les suisses font des merveilles. L'OVNI de la galette, cette fois-ci, ce sera « Naughty Naughty Naughty », aux influences tirant davantage vers le stoner, qui n'est pas sans nous rappeler « Judas Goat » de War on the Inside. Et comme la première étant déjà très bien, la seconde l'est tout autant. Quand la formation s'aventure vers ces terrains moins fréquentés, ils savent ramener des trésors.
Torque n'est ni moins bon, ni meilleur que War on the Inside. Il est tout aussi inspiré, mais ne dépasse pas son prédécesseur. On ne peut cependant pas parler d'une régression, ni même d'une stagnation. 69 Chambers continue son petit chemin qu'il trace comme un grand, et grand, c'est exactement ce que l'on peut souhaiter à ce trio de devenir. Car le potentiel, il est plus que là, il a déjà éclaté au grand jour. Tout ce que l'on espère à présent, c'est que les petits défauts restants soient totalement corrigés, et là ce sera la claque magistrale. Et on en est pas si loin que ça. A surveiller, car le coup Treml et Vetterli savent où mener leur barque.