Tranzat – Hellish Psychedelia

Avec Hellish PsychedeliaTranzat, un jeune trio brestois récemment devenu quatuor, nous propose son premier album auto-produit et sorti en septembre 2016. Le titre de l'album et le fait qu'il soit régulièrement catégorisé "stoner" par les médias spécialisés pourraient laisser imaginer qu'on a affaire ici à un adorateur du Sabbath de plus, n'ayant rien d'autre à proposer que les mêmes riffs pentatoniques et le même fuzz que ses innombrables clones et ses illustres aînés. Nous allons voir qu'il n'en est rien.

Si ces Bretons s'y entendent, à l'évidence, pour pondre des riffs stoner/doom d'un groove et d'une efficacité redoutables (il suffit d'écouter la première minute de "In & Out Asylum" ou de "Smuggler Joe" pour s'en convaincre), leur musique se révèle infiniment plus complexe et innovante que celle qu'on retrouve en général classée sous cette étiquette. Se définissant eux-mêmes comme un groupe de "heavy rock", leurs influences recouvrent aussi bien les gros riffs fuzzy précités que les classiques du doom traditionnel, le prog, ou encore le death, pour un résultat intelligent, éloigné des clichés et somme toute très difficile à catégoriser.

Tranzat, Groupe, Band

Côté doom et sludge, et outre l'inévitable influence Black Sabbath, Tranzat se réclame de Yob et de Mastodon, dont on retrouve effectivement la science du riff couillu mais subtil, plus complexe qu'il n'y paraît à première vue. On note également des sonorités plus traditionnelles, notamment dans le chant qui peut évoquer The Obsessed ou Reverend Bizarre, mais ces influences - toutes très cohérentes - laissent régulièrement place à des sonorités plus inattendues dans ce contexte.

Un growl typé death fait des apparitions régulières, en contrepoint à un chant clair mélodique entièrement maîtrisé, capable de monter assez haut dans les aigüs (comme sur "Smuggler Joe" ou le final de "Enter The Freaks"), rappelant en cela Opeth, dont Tranzat se réclame ouvertement. L'utilisation parcimonieuse mais pertinente que le batteur fait de sa double pédale y participe également.

Le troisième titre, "Crystal Ball", marque l'arrivée en force d'influences prog très marquées - il n'est pas ridicule d'évoquer Dream Theater - avec son cortège de riffs fouillés, de structures rythmiques complexes, d'arpèges introspectifs et de soli de guitare en tapping supersonique, mais également - et c'est tout aussi inattendu - des refrains mélodiques avec voix harmonisées qui évoquent à coup sûr l’œuvre à nulle autre pareille de Devin Townsend (comme sur le refrain de "Enter The Freaks").
On peut également citer l'étrange riff d'intro - quasi math-rock - de "Enter The Freaks", dont on a du mal à distinguer la tonalité de prime abord, et pour lequel on se demande s'il va pouvoir faire fonctionner le morceau...avant d'en avoir la démonstration.

Tranzat nous propose ainsi sept mocreaux, dont la durée varie entre cinq et sept minutes, mêlant habilement les sonorités évoquée plus haut dans des compositions intelligentes et plaisantes à l'écoute. Leur durée permet de développer des structures complexes, bien plus intéressantes que le bête modèle couplet/refrain, sans pour autant s'étirer de trop - au risque d'ennuyer l'auditeur.
Elles sont servies par d'excellents musiciens, dont le niveau technique dépasse visiblement celui du tout-venant des groupes de stoner/doom, mais qui préfèrent se mettre au service des compositions, plutôt que de se mettre en valeur. A ce titre, décernons une mention spéciale au chanteur-guitariste, qui réussit à fournir une prestation instrumentale de grande qualité, tout en assurant un chant aussi varié que maîtrisé. Un second guitariste a d'ailleurs rejoint la formation brestoise depuis l'enregistrement de cet album, ce qui devrait leur donner plus de confort pour défendre leurs titres sur scène d'une part, et plus de puissance de feu et de latitude créative pour la suite. Il semblerait également qu'un claviériste soit en cours d'incorporation: wait and see.

Tranzat, Groupe, Band, Répétition, Rehearsal

Bien entendu, tout n'est pas parfait sur Hellish Psychedelia, qui souffre de quelques faiblesses.
Tout d'abord, on peut remarquer que, si les influences du groupe sont maîtrisées, elles ne sont pas toutes également digérées. A titre d'exemple, sur "Hide & Seek", à partir de 3:10, l'influence Devin Townsend est si flagrante que l'on a l'impression d'écouter le Canadien fou, et non plus Tranzat. Même si c'est bien imité, on aurait préféré que l'influence - difficile à dissimuler, il est vrai - se fonde de manière plus tempérée et subtile dans la composition. On peut également regretter que certaines sonorités ne soient abordées que sur quelques titres, alors que l'on aurait aimé les retrouver sur l'ensemble de l'album. Par exemple, les influences prog de Tranzat, très appréciables, ne sont jamais aussi présentes que sur "Crystall Ball", et prennent un peu - dans ce titre - le pas sur les autres sonorités qui composent l'identité musicale du groupe; c'est un peu dommage.

Mais gageons que ce manque - relatif - d'homogénéité dans le style n'est qu'un symptôme de la jeunesse du groupe, qui se résoudra donc sans doute bien rapidement. Le seul point réellement faible, au point de vue composition, semble être la dernière minute de "In & Out Asylum" et son étrange cavalcade psychédélique typée 70's, avec ses sonorités majeures soutenues par une double pédale. Non qu'elle ne soit pas bien écrite, ou jouée, mais elle paraît relativement incongrue dans la musique du groupe. Enfin, la sonorité très medium appliquée en production à la caisse claire de la batterie détonne parfois un peu dans le spectre sonore qu'elle occupe. C'est d'autant plus dommage que le reste de la production est assez irréprochable, et que cela ne met pas idéalement en valeur le jeu du batteur, très intéressant au demeurant.

Tranzat, Band, Groupe, Live, Concert

Les Bretons nous proposent donc avec Hellish Psychedelia un premier album dense, agréable et tout à fait remarquable d'innovation et de maturité, dont chaque écoute révèle de nouvelles découvertes.
Il n'est pas exempts de défauts, mais aucun n'est rédhibitoire à l'écoute, et tous semblent pouvoir être corrigés facilement. Le groupe a l'immense mérite de sortir le stoner rock de l'espace ultra-balisé dans lequel il évolue aujourd'hui - occupé essentiellement par des adorateurs du Sabbath occupés à faire la course au son de fuzz le plus gras à grands renforts de riffs pentatoniques - pour le métisser avec des éléments qu'on ne lui associe que très peu habituellement, et y parvient avec brio. Tranzat démarre très fort, et possède le potentiel pour aller très loin: espérons qu'ils y parviennent!

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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