Deux ans sont écoulés depuis que Deadly Sins a dévasté nos tympans. On a eu le temps de l'écouter en boucle, de l'apprendre par cœur et le vivre à foison, et surtout de toujours être en mesure d'affirmer qu'il est l'une des productions les plus ambitieuses et intéressantes de 2015. Chaque nouvelle des français étant un Graal que les fans attendent patiemment, l'excitation est à son comble lorsque tombent coup à coup le clip de "I'm A Nerd" et l'annonce d'un concert au Divan Du Monde qui marquera le début d'un nouveau show conceptuel, le Asylum Picture Show 2.0. Au vu de la salle remplie, on n'est pas les seuls à être venu attester du nouveau délire proposé par l'un des groupes hexagonaux les plus ambitieux et originaux qui soit.
Malemort
L'heure n'est pourtant pas à l'avant-garde masquée de 6:33, et le groupe s'est entouré de deux autres formations choisies pour leur capacité à rechercher avant tout la richesse d'une musique sans limites. Malemort sera de celles-ci, et n'aura que peu de mal à convaincre. Le public est dans une envie de partage et de fête, et Malemort se greffe totalement à l'ambiance de par un jeu de scène énergique et un frontman plus qu'adapté à ce genre de prestations.
Pourtant, ce n'était pas un pari gagné. Si l'ambiance et l'interactivité avec l'audience sont là, la musique de Malemort sera moins intéressante et plus "passe-partout". Un chant en français qui ne colle pas toujours avec les envolées mélodiques, et un aspect trop "épique" qui pourra par instants frôler le ridicule. Mais au final, qu'importe. Les musiciens sont talentueux, présents, et ce qui pourrait ne pas plaire à la plupart en studio fait l'effet d'une bombe en live.
Acyl
Beaucoup plus sérieux dans la démarche, les émanations orientales d'Acyl parviendront à trouver leur public, ce dernier toujours en soif de découvertes. Leur richesse, notamment instrumentale, permet de s'adonner à nombre d'arrangements originaux. Leur leitmotiv ? "Quand le metal rencontre la musique du monde". Et ça n'aura jamais été aussi vrai. La source d'inspiration du groupe, au-delà du death metal qui leur sert de base, sera principalement le Moyen-orient et les cultures arabiques, tant au niveau des instruments - dont certains seront présentés pour l'occasion - que de la langue chantée.
C'est justement cela dont on a besoin : de la véritable variété, qui va chercher dans des cultures que l'on connaît moins, surtout dans une musique aussi codifiée généralement, et les compositeurs d'Acyl réussissent un pari assez insensé. L'expérience live est indéniable, la découverte fut intense et le groupe jouit déjà d'une bonne notoriété, ce qui se constatera dans la salle.
6:33
Un rideau bleu recouvre l'entièreté de l'espace scénique. On ne sait pas encore ce que 6:33 prépare, mais déjà l'excitation bat son plein. On reconnaît quelques habitués, et on sent qu'au milieu des curieux tout à fait bienvenus, la grande famille du groupe est là : ils sont dans leur fief, prêts à défendre leur nouveau bijou. Un doigt d'honneur qui surgira de derrière le tissu, et la scène se dévoile. Si l'on connait Rorschach pour son habileté à être totalement hanté par la musique de 6:33, et pour être surtout l'aimant total de nos attentions, son alter-ego, sa concurrence directe, ne sera pas des moindres : un écran. Dit comme ça, cela pourrait sembler de l'ordre du détail, mais la surprise est bien plus importante.
Le caractère scénique de 6:33 a toujours été unique. Que ce soit par l'utilisation de masques, qui offre un côté théâtral s'harmonisant totalement avec leur musique dont les thèmes eux aussi s'y apparentent, à leur démarche toujours loufoque, centrée sur un humour prononcé malgré l'interprétation drastique nécessitant toute leur concentration sur le plan technique (rappelons que le choix du "non-batteur" et les nombreuses subtilités d'arrangements pré-réglées font que leur musique et leurs interventions sont calculées au poil de cul), il y a, en plus des nombreuses subtilités musicales et toujours quelque chose à voir.
Le génie du Asylum Picture Show 2.0 sera donc d'ajouter via l'écran sus-nommé de courtes saynètes s'alliant totalement à la musique. Tout est évidemment très calculé, et fait passer le tout de concert de metal à spectacle entier. L'apparition des choristes présentes sur les samples sera là, on y verra d'ailleurs un habile montage entre les clips existants et les nouvelles scènes tournées exclusivement. Rien n'est laissé au hasard, et le résultat est purement jouissif tant il est perfectionné sur chaque seconde.
Côté interactivité, l'intensité bat son plein. Le public connaît les morceaux par cœur, l'éternel Baltrou déambule dans la fosse avec sa panoplie joyeuse, l'univers de 6:33 n'appartient plus qu'au groupe mais est surtout celui d'un public solide, qui suit les musiciens avec passion et en est un acteur à part entière. La bonne humeur est présente, tout le monde est là pour s'amuser, et on danse en souriant avec des membres qui se joignent au folklore sans déchanter face à l'exécution de leurs parties complexes.
Cette exécution sera parsemée de difficultés, et l'interprétation aura quelques ratés, on pense notamment à Niko qui aura du mal à parfaire certains solos, assurément du au caractère "pas d'erreur possible" des samples. Il n'empêche que ce requin de studio - rappelons que les compositions et la prouesse visuelle présente ce soir sont de son fait imaginatif - a une présence mystique, au même titre que ces comparses. Si l'on regarde tous les membres de 6:33, on n'y verra pas que des masques comblant un jeu de scène très discret : il y a une attitude, des gimmicks propres à chacun et surtout, une aura, un charisme de la part de chacun d'eux.
Le set fera la part belle aux morceaux les plus reconnus du quintet, que ce soit avec "I Like It" qui grâce à son clip leur offrit un véritable succès retentissant, "Black Widow" et son mysticisme progressif ou encore "Hellalujah" et son ambiance cléricale. Ce qui n'empêchera pas l'excellente "Burn-in" de retentir avec un accueil tonitruant ou encore à "The Walking Fed" et ses sonorités uniques se démarquant complètement de créer un enthousiasme mérité. Le premier album du groupe ne sera pas oublié, et si on apprécierait le voir plus fortement représenté, l'interprétation du titre éponyme, retravaillé pour l'occasion, prouve que Orphan Of Good Manners n'est pas un brouillon hésitant mais une pierre de choix avec lequel le groupe a pu tailler sa continuité.
Au final, les morceaux de 6:33 suffisent à attirer l'émoi, tant leur richesse et leur originalité sont exactement ce que la musicale (étant au carrefour des styles, il serait dommage de ne cantonner le groupe qu'à son apparat metal), mais les membres parviennent à leur insuffler une vie supplémentaire en Live qui les rend plus incontournables encore. Avec l'ajout du visuel travaillé avec minutie et perfectionnisme, on atteint tout simplement l'extase. Et ce soir, dans l'obscurité d'un Divan du Monde chaud comme la braise, tout le monde attend le décollage, que la notoriété méritée pointe enfin son nez, et que le groupe grimpe vers les très nombreux sommets qu'il mérite.
Photos : Arnaud Dionisio / © 2017
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