Parfois, le succès de certains groupes et l'engouement autour n'est pas là sans raison, et ce, outre les qualités musicales. Ou défauts, d'ailleurs. Il suffit souvent qu'un membre / ex-membre d'une formation connue décide de former son projet à côté pour que ça fonctionne plutôt bien, et plus si affinité. On peut trouver plusieurs cas, comme l'intérêt porté à MaYan de Mark Jansen, guitariste d'Epica et tombeur de ces groupies, et peut-être dans l'avenir Civil War des ex-Sabaton aura le même engouement, allez savoir ce que l'avenir nous réserve parfois. Bien sûr, comme d'habitude, cette introduction n'est pas là par hasard, et nous parle d'un groupe qui est dans le cas présent. Et plus mouillé dans l'affaire encore. Indice supplémentaire : ils sortent un nouveau petit brûlot le 1 Juin, avec une pochette orange assez particulière. Orange, une couleur bien souvent affiliée aux Pays-Bas. Et comme on joue aux devinettes en plus de cela, la chanteuse (car oui, c'est un groupe à voix féminine), officiait chez To Elysium.
Gagné, c'est Delain. Tout ça pour dire que le phénomène de mode qui concernait ces néerlandais est arrivé dès leur premier opus, Lucidity, à l'heure où ce n'était encore considéré que comme un projet, et non un vrai groupe. Martijn Westerholt, après son départ de Within Temptation, s'est entouré de nombreux guests pour donner naissance à tout cela. Citons, par exemple, la chanteuse norvégienne Liv Kristine (Leaves' Eyes, ex-Theatre of Tragedy), Sharon den Adel herself, et même Marco Hietala, le célèbre bassiste de Nightwish, qui venait pousser la ritournelle, par-ci, par-là. Et même que le finlandais est revenu pour leur second album, celui du vrai combo cette fois, qui a décidé d'être sérieux : April Rain. Et là, c'est le drame, Delain échoue dans un océan de banalité, de pauvreté musicale, à faire pâlir la concurrence de bas de panier. Quelques atouts se démarquaient encore, et on comptait de rares bons morceaux, mais globalement, c'était l'échec. Donc, après un tel casse-gueule, les petits néerlandais avaient intérêt à assurer pour We Are the Others. Sinon, ils étaient à mettre directement à la poubelle. Crainte aussitôt confirmée à l'écoute d'un single d'une platitude consternante.
Pour vous situer le tout, Delain officie désormais dans un metal symphonique teinté de nombreux éléments pop. Et sur ce nouvel opus, ils prolongent la voie déjà empruntée sur April Rain, ce qui, au premier abord, ne rassure pas des masses. C'est à dire dans une veine à la Sirenia actuel, ou à la UnSun. Ce que l'on appelle communément le « pop-metal », taxé d'être commercial, et sans intérêt. Autant le premier argument peut se défendre, tant il est vrai que la musique proposée est facile d'accès et ne rebutera pas les non-amateurs de notre musique de chevelus qui braillent. Et faire porte d'entrée, c'est mal vu, car on vend son âme au diable. Pour autant, le synonyme de mauvais n'est pas à appliquer à tout bout de champ. Et surtout, l'adjectif pop est souvent bien trop appliqué, sans raisons apparentes (on le cherchera encore, par exemple, chez Kobra and the Lotus ou Crucified Barbara que certains rangent dans ce genre). Par contre, chez Delain, c'est tout sauf abusif : c'est plutôt simple, pas de prise de tête à l'horizon, et une recherche de l'efficacité certainement pas dissimulée, au contraire. Ils l'assument pleinement, sans pour autant renier leur amour du metal. Et c'est pour cela que We Are the Others sort la tête de l'eau là où April Rain s'enfonçait dans un marais rose bonbon de sirop à la fraise.
Car nos amis néerlandais savent apprendre de leurs erreurs, sans pour autant changer de voie. Oui, ils continuent à tracer le chemin emprunté par April Rain : c'est flagrant sur la piste éponyme, « Hit Me With Your Best Shot » ou « Are You Done With Me ». Voilà de quoi faire grincer des dents plus d'une personne, voir crier leur scandale face à tant de facilité. Cracher leur haine, sortir des insultes plus grosse que leur appétit après ne pas avoir manger pendant deux jours, après tout, notre formation devrait se sentir honteuse d'être aussi simple à intégrer aux écoutes. Pourtant, tout cela est très bien rodé, et rentre en tête très facilement. Le principal défaut de l'album précédent était de proposer une musique qui, sur la forme, comme sur le fond, était vide. Delain corrige ce problème. Car dans le fond, c'est travaillé, et solide. Cette charmante guitare, qui était devenue un simple accompagnent à la voix, reprend du poil de la bête, et montre qu'elle sait également aller de l'avant. Ne vous attendez pas à du solo dantesque de la mort, ou à une technicité flagrante. Mais les riffs sont suffisamment variés, intéressants et accrocheurs pour ne pas ennuyer, et tomber dans le répétitif. Cette fois-ci, ils ne sont plus interchangeables, la guitare fait son boulot le plus convenablement du monde et, surtout, elle n'est plus reléguée au second plan. La part plus convaincante et addictive de Delain passe désormais en grande partie par cette reine de la fête, mais également par le fait qu'ils l'affirment : ils sont bien un groupe de metal, et non de pop-rock symphonique. C'est plus musclé, et on ressent déjà plus de puissance, sur « Mother Machine, « Electricity » ou « Where is the Blood », pour ne citer qu'eux. Bon, on reste dans du metal symphonique, donc ce n'est pas le seul instrument qui se taille une part du lion. Mais on ne peut que féliciter le quintet pour ce retour à quelque chose de plus solide, de fond comme de forme.
"Je ne suis pas mise en avant sur l'album, alors je me venge sur les photos !"
Ainsi, aucun désagrément lors de l'écoute : Delain reste ce qu'il est, et ne brusquera ni sa base de fan, ni ceux qui n'aimaient pas jusque là. Ceci dit, les déçus d'April Rain pourront toutefois être réconciliés. Le mièvre et le mielleux sont bien plus absents, et les rares moments où ils refont surface sont assez vite éclipsés par un hymne en puissance, où la complicité entre les protagonistes permet une osmose identifiable, qui, ainsi, permet au morceau de décoller. De plus, rien que d'imaginer leur potentiel live ne paraît pas trop osé. La fluidité qui caractérise le groupe est toujours de mise. Cette qualité ne peut leur être enlevée. Même sur le banal et médiocre opus précédent, l'écouter de bout en bout, pour les amateurs du genre, était tout à fait possible, et ce même si on ne retenait absolument rien. Ici, au contraire, c'est bien plus mémorable et fouillé. Sans aller jusqu'à tomber dans le progressif (même si on pourrait presque souhaiter qu'ils s'essayent un jour à un titre plus long), ni révolutionner le genre, on passe un très bon moment, sans ennui. La simplicité reste même un atout majeur : « Babylon » et ses lignes vocales font mouche tout de suite, démontrant le soin apporté à ces éléments, pour mieux coller à cette base plus solide, sans faire passer la voix de Charlotte complètement en avant, au détriment de tout le reste. Les arrangements de clavier, discrets, se manifestent souvent par un côté plus electro. Quand celui-ci n'est pas trop présent, ça va, mais il devient un défaut au moment où il se permet l'omniprésence, ce qui n'arrive qu'une seule fois, sur « Get the Devil Out of Me », qui, en parlant de devil, n'a pas le tiers du côté épique du « For You I'll Bring the Devil Down » des allemands de Krypteria. Les sonorités modernes marchent moins bien que les chœurs, malheureusement.
Bon évidemment, chez Delain, si une chose est mise en valeur immédiatement, c'est les refrains. C'est bien simple, l'opus tourne autour, peut-être parfois un peu trop, ce qui donnerait un petit sentiment de répétitivité s'ils n'étaient pas aussi attachants. Ils sont souvent, voir tout le temps, le point d'orgue des titres, mais restent assez variés pour ne pas lasser. Et puis, les lignes de chant à ces moments cruciaux sont toujours ciselées comme des diamants. Qu'ils explosent sur « We Are the Others », radiophonique mais efficace, qu'ils jouent dans la profondeur avec « Mother Machine » ou « Babylon », tiennent en grande partie grâce à la superbe performance vocale comme « Milk and Honey » ou « Are You Done With Me », c'est indéniablement un énorme point fort chez notre formation néerlandaise, qui sait comment s'y prendre. Bien meilleurs que ceux d'April Rain, ils transportent tout de suite là où la formation souhaite nous amener. Parfois, ça ne fonctionne pas (« Get the Devil Out of Me », définitivement un point noir), mais un petit laisser aller sur un total de douze pistes est tolérable. Tout est fait pour que l'oreille et le cerveau retiennent la mélodie. Racoleur sur les bords, mais véritablement entêtant !
Évidemment, pour que tout cela tienne en place, il faut une voix qui puisse permettre de sublimer l'ensemble. Et c'est là où Charlotte Wessels s'impose réellement comme un atout de premier choix. La jeune femme est loin d'être mauvaise, bien au contraire, sa technique est efficace, et son timbre agréable porte les titres vers les hauteurs espérées. Si dans les manières, on pensera de temps à autre à Sharon den Adel de Within Temptation, au niveau du timbre, elle se range dans une veine à la The Gathering tout ce qu'il y a de plus appréciable. Les ressemblances vocales avec Anneke Van Giersbergen sont parfois perceptibles. Mais la frontwoman possède sa propre identité, et est désormais une chanteuse accomplie, et qui ne démérite pas. Elle n'est plus la voix timide malgré son potentiel de Lucidity, et la maturité a été acquise. Loin d'être banale, bien qu'elle ne soit ni lyrique, ni heavy, ni gutturale, elle apporte désormais son petit plus à la musique de Delain. Même les détracteurs auront du mal à la juger quant à sa technique irréprochable, et la versatilité de son chant, qu'elle module, à notre grand bonheur, beaucoup plus qu'avant.
En revanche, si We Are the Others est bien plus stable et affirmé que son prédécesseur, il souffre d'un défaut, qui n'est autre qu'un aspect un tantinet bancal. S'il est inscrit dans ce registre metal mélodique à influences symphoniques, son côté inspiré le démarque des UnSun, Sirenia, Katra et consorts. Sauf qu'il reste trois morceaux légèrement à la traîne, et, manque de bol, c'est les trois derniers. Ici, pas de meilleur pour la fin, c'est dommage, mais ceci dit, « Are You Done With Me » et « Not Enough » restent inspirées, et évident la médiocrité. Elles souffrent d'être à la suite de bien meilleurs titres. Mais le coupable, l'ennemi à abattre, la onzième plaie d’Égypte, c'est ce single d'un mauvais goût affligeant, moche, peu créatif et dont on se demande ce qu'il fait ici : « Get the Devil Out of Me ». Avec ses sonorités electro, son côté moderne qui empiète sur l'aspect rock/metal du morceau et son refrain minable, on pourrait presque crier au foutage de gueule. C'est kitsch, mièvre, fade, et ça pourrait figurer dans les plus mauvais d'April Rain, aux côtés des tout aussi mauvais « On the Other Side » ou « Lost ». Cela montre à peu près l'ampleur des dégâts. Heureusement, on retrouve du mieux, bien mieux.
Entre le trio de tête « Mother Machine », « Electricity », « We Are the Others » et les deux petites dernières avant que ça ne devienne moins bon, c'est à dire « Generation Me » et « Babylon », le niveau est clairement un bon cran au-dessus. Et c'est tout simplement ce à quoi on aimerait que Delain ressemble encore dans ses plans futurs. Car les morceaux ci-dessus restent variés, et marchent très bien. L'introduction de « Mother Machine » semble être taillée pour le live, comme tout le morceau, et les tubesques « We Are the Others » et « Generation Me » avec ses paroles ironiques ne laisseront pas de marbre. « Electricity » et « Babylon » tiennent surtout d'une Charlotte exemplaire, et d'un refrain envoûtant. Pas de ballade chiante, en plus, même si « Milk and Honey » et « I Want You » sont un peu plus typées mid-tempo. Mais encore une fois, la présence de la guitare au premier plan évite de tomber dans le piège du sirupeux ou du Evanescence-like, et du coup, c'est une fois de plus la réussite. On pardonnera même les fautes de goût et erreurs sur « Where is the Blood » qu'un Burton C. Bell (Fear Factory) en petite forme s'évertuera à tenter de ruiner de sa voix pseudo-corisante, une piètre prestation de sa part, rattrapée par la chanteuse en bien meilleure forme, où l'inspiration de la demoiselle sur Anneke se ressent. Cela évoquera « What Have You Done » de Within Temptation, en moins mauvais.
Un peu de simplicité ne fait pas de mal, après tout, et Delain avec son We Are the Others pourrait bien être votre prochain plaisir coupable. Et puis, si vous voulez hurler sur tous les toits que c'est de la merde car très facilement mémorisable, soit. Mais le combo néerlandais, par les qualités présentes dans ce nouvel album qui rattrape largement le faux pas April Rain, dépasse nettement UnSun et toute la clique. Certes, ils sont médiatisés, et se sont fait un nom rapidement au détriment d'autres. Mais avec We Are the Others, ce pied de nez nous dit finalement que ce n'est peut-être pas pour rien. Espérons qu'ils continuent sur cette voie, à présent, car si le prochain garde toutes les qualités présentes ici, ils pourraient bien se hisser dans les grands noms.