« Même Christina Aguilera avait des clips plus sombres que nous ! »
Seether a sorti un tout nouvel album : Poison the Parish. À cette occasion, nous avons pu rencontrer le frontman Shaun Morgan pour une interview. Il nous parle de ce tout nouvel album, de ses inspirations, mais aussi de ses expériences décevantes dans le monde de la musique. De quoi vous faire patienter un peu avant leur grand retour sur la scène parisienne du Bataclan le 13 octobre 2017 !
Merci de nous accorder cette interview Shaun, comment vas-tu ?
Shaun Morgan : Très bien, merci !
Peux-tu nous présenter un peu ce nouvel album, Poison The Parish ?
L'enregistrement a duré une quinzaine de jours et j'ai produit cet album avec mon ami Matt Hyde en septembre 2016. Je pense que c'est vraiment un retour à tout ce qui m'a donné envie de jouer dans un groupe. Ça me rappelle quand j'étais gosse et que je jouais dans un garage avec mes amis. C'était sympa d'ajouter de la puissance et de la lourdeur sur cet album, on s'est vraiment attardé sur les riffs. Le but était vraiment de retrouver cet esprit, de jouer pour s'éclater, sans penser aux radios qui pourraient diffuser ou non un titre. Juste passer du bon temps, enlever ce qui peut être superflu dans notre musique, comme les tambourins ou les claviers, et vraiment se concentrer sur la puissance de notre son.
Les morceaux « Let You Down » et « Stoke the Fire » ont été très bien reçus par le public. Tu abordes la sortie de l'album avec confiance ?
Honnêtement, je le sens bien. J'essaie de ne pas prêter trop d'attention à cela, ou aux classements, sinon ça devient vite très angoissant. Le côté heavy qu'on a ajouté pour cet album plaira très certainement. En tout cas pour les concerts ça va être génial. Bien sûr quand les retours sont positifs ça fait plaisir, mais je préfère ne pas me concentrer là-dessus car si je vois des critiques négatives je me sens vite offensé et triste (rires). Mais jusqu'ici tout va bien !
Avec « Let You Down » justement, on croit parfois entendre un peu de « Stinkfist » de Tool, au niveau du riff. Tu avais ce morceau en tête au moment de l'écriture ?
C'est vrai, mais je ne pensais pas particulièrement à ce morceau. C'est venu très naturellement, c'est une fois le morceau terminé qu'on m'a fait remarquer la ressemblance avec « Stinkfist ». Du coup, on a voulu apporter quelques modifications, mais il fallait que le riff reste, parce qu'il est super important rythmiquement sur ce titre. Je comprends que certains y voient un peu de Tool, mais mon but n'est pas de plagier, c'est plus un hommage qu'autre chose, je n'essaie pas de voler leurs riffs. Par contre je ne nie pas être un grand fan de Tool. Ça arrive quand on fait de la musique, on peut se retrouver à écrire un morceau sonnant comme un autre, qu'on aurait entendu vingt ans auparavant. Mais au final les deux morceaux sont assez différents.
C'est tout de même un groupe qui t'a influencé musicalement ?
Oui j'ai beaucoup écouté Tool, surtout lorsque j'étais plus jeune, durant mon adolescence. Tool, Sepultura, des groupes comme ça. J'étais un ado assez énervé (rires).
Et tu ne l'es plus à présent ?
Non, je ne suis plus qu'un vieux fou !
Même si Poison the Parish est assez rentre dedans, vous conservez toujours un côté calme, avec un peu d'acoustique, comme sur « Sell My Soul ».
Oui ça fait vraiment partie de notre identité. Même si le son de l'album est globalement plus puissant, ces moments trouvent leur place car ils sont finalement assez sombres. Notre son ne se résume pas à un gros son de guitare. J'aime beaucoup la dynamique qu'on parvient à trouver entre les moments calmes et les moments plus énervés. On ne peut pas se mettre à renier tout cela.
Tu as voulu produire cet album, tu peux nous en dire plus à propos de cette expérience ?
C'était très cool. J'étais mon propre patron, je n'avais personne pour me dire ce que je devais faire ! J'avais certains morceaux en tête depuis un bon moment, donc je savais exactement ce que je voulais en faire, et comment je voulais qu'ils sonnent. C'est aussi pour ça que j'ai travaillé avec Matt Hyde, il a de l'expérience, il sait comment enregistrer et travailler le son. Il a tout de suite compris où je voulais en venir, c'était super. C'est assez fréquent de se réveiller avec un morceau en tête, et de se dire qu'on aimerait vraiment que le morceau sonne de cette façon, mais c'est souvent compliqué de parvenir à ce résultat. Même avec le meilleur matériel, ça reste difficile d'obtenir exactement ce qu'on veut. Mais là, ce n'était pas le cas, on a vraiment pu faire ce qu'on voulait. Et c'était vraiment une bonne expérience, je n'avais à batailler avec personne d'autre, je n'avais personne en face de moi pour me dire comment devrait sonner mon album. C'était agréable d'avoir toute cette liberté.
Tu as eu de mauvaises expériences auparavant ?
Pas forcément de mauvaises expériences. Bon d'accord, les premiers producteurs que j'ai pu connaître n'étaient pas terribles. Mais Brendan O'Brien, par exemple, est le meilleur producteur que je connaisse, c'est un type super. J'ai beaucoup appris de lui, mais il proposait des évolutions qui ne me plaisaient pas et j'aurais certainement dû le dire sur le moment ! Il faut aussi dire qu'il m'intimidait, c'est une légende. Qui suis-je pour dire à Brendan O'Brien ce qui sonne ? Aujourd'hui ce n'est plus le souci, j'ai simplement envie de faire sonner mes morceaux comme je l'entends. C'est vraiment compliqué de faire comprendre à quelqu'un d'autre ce que l'on veut en terme de son. Les autres ont forcément une perception différente des morceaux que tu proposes, et en studio ils appliquent leurs idées. Je voulais vraiment un son plus énervé, moins lisse. Et c'est ce que je n'avais jamais réussi à obtenir avec les précédents albums ! Je veux du bruit et des larsens. (rires)
Tu vas continuer de travailler de cette façon pour les prochains albums ?
On verra bien ! Je pense que je vais continuer oui. Pour l'instant il y a de bons retours, est-ce que c'est parce que j'ai pu faire ce que je voulais, ou parce que les morceaux sont bons ? Est-ce que quelqu'un aurait pu mieux faire ? Je ne sais pas, on attend de voir pour l'instant. Mais tout le travail qu'on a décidé de faire avec Matt était un très bon choix, j'en suis sûr.
Du coup pour cet album tu écris, tu produis, tu joues de la guitare, tu chantes... Est-ce que ce n'est pas beaucoup pour un seul homme ?
Oui ! (rires) Mais en même temps il y a tellement d'autres choses que je veux faire. J'ai arrêté de boire et compagnie, maintenant j'ai besoin d'avoir des journées bien remplies. Le matin au réveil je me sens bien, je ne suis plus malade de la soirée de la veille, donc je peux me lever à 6h pour aller travailler en studio, ou autre. On devient fou si on ne s'occupe pas. J'aime être occupé, bouger, rester loin des mauvaises influences. Je sens vraiment que ma vie a pris un bon tournant depuis que je fais tout ça.
Tu ajoutes souvent une belle profondeur à tes morceaux grâce aux textes que tu écris. C'est important pour toi que les titres qui figurent sur l'album soient porteurs d'un message ?
Oui, je ne peux pas écrire juste une suite de mots pour au final avoir un morceau vide de sens. Il faut dans un premier temps que ça veuille dire quelque chose pour moi, sinon j'ai l'impression de perdre mon temps. C'est important pour moi d'exploiter des souvenirs, ou des pensées que je peux avoir, ça m'aide aussi à les affronter. Je ne vois pas l'intérêt d'écrire un morceau qui ne veut rien dire à mes yeux, ça doit venir de mon cœur et m'aider à franchir des obstacles.
C'est un genre de thérapie ?
Complètement, en plus ça me coûte moins cher qu'aller chez le psy (rires). Ça l'a toujours été. Écouter d'autres groupes aussi. La musique m'a toujours aidé à aller mieux.
Quelle a été ta motivation principale pour écrire cet album ?
Juste le fait d'en être fier à la fin. C'est quelque chose d'important. Pas mal de choses reposaient sur moi pour que l'album sonne bien et que les morceaux soient bons. J'ai passé huit mois à écrire énormément de morceaux, petit à petit j'ai choisi les morceaux qui allaient figurer sur l'album pour ne garder que les meilleurs. Je pense que cet album représente parfaitement mes influences et ce qui me rend heureux dans la musique.
Il y a des morceaux sur cet album qui ont une signification particulière pour toi ?
Oui, tous. Mon père est décédé d'un cancer récemment, le dernier morceau « Sell My Soul », est à ce propos. C'est parti de ça, c'est un morceau sur un pacte avec le diable. C'était une période assez dure pour moi.
Pourquoi ce titre, Poison of the Parish ?
Je pense qu'on est empoisonné par tout ce qui est réseaux sociaux, télé-réalité, et toutes ces personnes comme les Kardashian, Real Housewife, Teenage Mum Pregnant. Les enfants sont devant cela, comme s'ils prêchaient la bonne parole. Comme s'ils renvoyaient une image juste de la réalité. J'ai l'impression que les enfants sont empoisonnés par ces gens, qui transmettent un mauvais message comme quoi il n'y a pas besoin de faire quoi que ce soit dans la vie, il faut être riche, sortir une sex tape, et le tour est joué.
Parlons du clip que vous avez sorti pour « Let You Down », d'où est venue l'idée ?
Nous voulions quelque chose de flippant. Je suis un fan de films d'horreur. C'est Nathan Cox qui a réalisé la vidéo pour nous, il avait déjà réalisé le clip de « Save Today ». Avec l'ancien label, j'ai toujours voulu faire des clips plus sombres, même Christina Aguilera avait des clips plus sombres que nous (rires) ! C'était frustrant parce qu'on ne pouvait pas faire ce qu'on voulait, on n'avait pas vraiment de marge de manœuvre. On avait eu quelques soucis avec le clip de « Remedy », j'avais des yeux rouges, ça les a fait flipper, ils voulaient qu'ils soient noirs et moi je ne comprenais pas ce que ça pouvait changer ! Bref, dix ans plus tard on a trouvé un label qui comprend ce qu'on veut et qui sait que la plupart du temps, le groupe sait l'image qu'il veut renvoyer. Même pour les shootings, on veut être libre de venir comme on veut, pas besoin de nous ramener tout un tas de trucs dont on n'a pas besoin. On peut juste venir avec nos propres vêtements et ce sera cool ! Avec notre nouveau label on a pas mal de liberté, on peut maîtriser notre image et faire ce que nous avons envie de faire. Pour en revenir au clip, il fait peur, c'est ce que nous cherchions, on je le trouve vraiment amusant finalement !
Vous aviez un film d'horreur en particulier à l'esprit au moment de réaliser ce clip ?
Non pas spécialement, on voulait juste une ambiance sombre. Le but était de rassembler le plus grand nombre de peurs en un clip. Des clowns, des ombres, des enfants un peu étranges, tout ce qu'il faut pour faire peur, en somme. Le but n'était d'avoir tout un univers narratif, il fallait vraiment que ce soit purement visuel, en collant au morceau. Je suis fan du cinéma d'horreur en général... Il y a juste une chose que je ne supporte pas : les films de fantômes ! J'ai vécu dans une maison à priori hantée, et je n'ai pas envie de regarder un de ces films de peur que ça provoque quelque chose de similaire. Ça peut paraître fou, mais les portes qui claquent et tout ces trucs, ça pousse à bout, j'ai dû quitter cette maison car j'avais trop peur ! Donc pour ces films, c'est hors de question (rires). Mais j'adore les classiques comme Massacre à la Tronçonneuse. Il y'a vraiment quelque chose de particulier dans ce genre de film, c'est un cran au dessus du reste.
Pour en revenir aux clips de Seether, ça vous tient à cœur de proposer différentes atmosphères, différents univers, de passer d'un clip décalé comme « Same Damn Life », à un clip cauchemardesque comme « Let You Down » ?
C'est le même réalisateur, ça montre vraiment sa polyvalence. Je trouve ça important de conserver et afficher un certain sens de l'humour. Mais là, j'avais vraiment besoin de faire ressortir un côté plus terrifiant et j'étais libre de le faire. « Same Damn Life » était vraiment le bon clip à faire pour ce morceau, j'ai toujours voulu me déguiser en vieil homme. En plus à ce moment là on avait besoin de faire des choses plus légères, ça tombait bien. J'aime penser que les gens ne savent jamais à quoi s'attendre quand on sort un clip.
Pour toi, est-ce que Seether est toujours le même groupe qu'au début ?
On a commencé vraiment jeunes, on est était que des gosses. En quinze ans, on apprend beaucoup de choses, on peut devenir un peu blasé, cynique, donc il faut trouver de quoi positiver ! Je suis beaucoup plus sûr de moi aujourd'hui, je sais ce que je veux, ce que j'aime écrire et ce que j'aime jouer. Je ne veux plus qu'on me dise quoi faire, je ne veux plus qu'on m'impose de limites, je veux être moi-même et écrire des morceaux que j'aime, pas des morceaux qui doivent passer en radio. Je pense que notre plus grosses évolution se trouve là : on a été les esclaves de labels pendant trop longtemps et désormais on peut penser par nous-mêmes. Nos morceaux « Let You Down » et « Stoke The Fire » avec leur côté heavy nous représentent très bien aujourd'hui. Je pense que ça peut surprendre. Ça fait du bien de reprendre le contrôle !
Pour terminer Shaun, si tu devais choisir deux albums qui ont changé ta vie, lesquels seraient-ils ?
Nevermind de Nirvana, c'est l'album qui m'a donné envie de jouer de la guitare. Et ensuite … je ne dirais pas qu'il a changé ma vie, mais en tout cas le dernier album que j'ai écouté et qui m'a réellement remué, c'est To Be Everywhere Is To Be Nowhere de Thrice. Les paroles de leurs morceaux sont fantastiques ! Je n'ai pas vraiment aimé les précédents albums du groupe, c'était plus punk, mais ce dernier album est génial. Franchement, il y a tellement de trucs nazes en musique aujourd'hui que les bons artistes et les bons albums méritent qu'on en parle !