Textures (+ Uneven Structure – T.A.N.K.) à  L’Empreinte, Savigny Le Temple (05.04.2017)

50 TEXTURES DE PROG
 

Près d’un an après la sortie de leur dernier-né Phenotype et leur dernier passage à Paris, les Néerlandais de Textures sont de retour en France. Le sextet s’invite à Savigny Le Temple pour la première étape d’une nouvelle tournée européenne, accompagné des Français de T.A.N.K. et Uneven Structure. Pour les fans, deux questions se posent : que nous réserve la setlist de ce Within the Horizon Tour ? Et surtout, est-ce que le public parisien sera au rendez-vous à L’Empreinte, relativement excentrée de la capitale ?
 

T.A.N.K.
 

La question de l’affluence trouve une réponse en demi-teinte dès le début de la soirée. Première partie ajoutée en dernière minute à l’affiche, ce sont les Parisiens de T.A.N.K. (Think of A New Kind) qui lancent l’assaut, dans une salle… loin d’être blindée.

TANK


Habitué de la scène metal francilienne, le groupe pratique un death mélodique aux accents hardcore et thrashisants, parsemé de rythmes saccadés et d’un son de guitare qui ne sont pas sans rappeler le metal pratiqué par notre tête d’affiche. Leur choix en tant qu’opener s’avère donc tout autant pertinent que mérité.
 

TANK


Malheureusement, nous n’arriverons pas à temps à L’Empreinte pour profiter de leur set. Ce qui fut apparemment le cas d’une bonne partie du public, puisque la salle était tristement vide à notre arrivée. On espère que les musiciens auront quand même pris plaisir à jouer devant les spectateurs présents, en ouverture d’une affiche d’une telle qualité.

UNEVEN STRUCTURE
 

C’est donc en compagnie des Français d’Uneven Structure que nous entamons véritablement la soirée - et nous les retrouvons à la fois avec plaisir et sans surprise, puisque le groupe accompagnait déjà Textures en février 2016 au Divan du Monde.

Depuis sa formation en 2008, Uneven Structure s’est peu à peu imposé comme l'un des fiers représentants de la scène progressive moderne et djent. Si leur premier EP était très directement inspiré des mastodontes de Meshuggah, leur premier album Februus (2011) fut accueilli comme un coup d’éclat, tant il façonnait un style bien plus personnel, faisant la part belle aux ambiances, à un chant clair envoûtant et à des tempos plus lents.

Quelque six ans plus tard, leur présence auprès de Textures n’est pas anodine, puisque le groupe s’apprête enfin à sortir son nouvel effort : La Partition. Cette date à Savigny Le Temple est l’occasion pour le groupe de nous en livrer plusieurs titres. Pour l’heure, la salle peine encore à se remplir et c’est devant une audience bien clairsemée que commence le set.
 

UNEVEN STRUCTURE

Comme à leur habitude, les musiciens prennent place dans une pénombre feutrée, bercée de reflets cramoisis. Si Uneven Structure en impose dès sa montée sur scène, c’est d’abord visuellement. De part et d’autre du frontman Mathieu Romarin, pas moins de trois guitaristes et un bassiste s’alignent sur le devant de la scène, tandis qu’Arnaud Verrier prend place derrière sa batterie.

L’atmosphère énigmatique et tamisée donnera le ton à l’ensemble du set : car c’est une musique envoûtante et intimiste que nous sert le groupe, riche en nuances et en nappes de son, tantôt ténébreuse, tantôt lumineuse, qui nous invite à un voyage intérieur. Que ceux qui s’attendent à des riffs endiablés passent leur chemin : le tempo est lent et lourd, les musiciens brodent des ambiances entêtantes qui s’étirent et s’enrichissent lentement, implacablement. Un savant mélange entre les riffs saccadés de la guitare rythmique et les leads aériens donne envie de fermer les yeux pour s’abandonner à l’atmosphère lancinante qui se façonne.
 

UNEVEN STRUCTURE

Mais tous ne succomberont pas au charme : difficile pour certains d’adhérer à cette musique très introspective ? Difficile, aussi, de plonger dans cet album totalement inconnu : seul un single, "Incube", a été dévoilé en ligne jusque-là. Et si l’on ne peut que saluer le choix d’Uneven Structure de nous dévoiler La Partition avant sa sortie officielle, leur setlist semble avoir du mal à remporter l’adhésion totale. Partagé entre concentration, hochements de tête timides et applaudissements polis, le public reste bien statique.

Statiques, les membres du groupe le sont aussi, dans la lignée de leurs prestations habituelles. Sur le devant de la scène, Matthieu Romarin campe solidement sur ses jambes, le micro enroulé autour de son poignet. Le nouvel album fait la part belle au chant clair et c’est avec une justesse impressionnante que le frontman nous délivre ses superbes mélodies, qui se fondent chaudement dans les nappes de son. Son growl puissant n’est pas en reste, et vient appuyer la tension qui s’installe quand les instruments se font plus lourds.

UNEVEN STRUCTURE


Aux côtés de ses comparses Igor Omodei et Jérôme Colombelli, c’est Steeves Hostin qui se révèle de loin le plus mobile des guitaristes. Ayant rejoint le groupe quelques mois plus tôt, le musicien, officiant par ailleurs chez Beyond the Dust, semble à l’aise sur scène et dans son nouveau groupe comme un poisson dans l’eau. Tout au long du set, il nous gratifie de ses contorsions et de son énergie habituelles, n’hésitant pas à faire quelques allers-retours  incongrus en backstage pendant les passages qui ne réclament pas sa présence.

Une fois n’est pas coutume, c’est Arnaud Verrier qui décroche la palme du musicien le plus souriant de la soirée ! Derrière les fûts, le jeune batteur est aux anges et son enthousiasme n’a d’égal que sa maîtrise. C’est un plaisir partagé de le voir prendre autant de bonheur à marteler ses fûts, faisant fi des rythmes complexes et des polyrythmies avec une précision et une facilité déconcertantes.

UNEVEN STRUCTURE

Si le son est loin d’être mauvais, ce n’est pas facile de sonoriser 26 cordes et la guitare de Steeve vient trop souvent se perdre dans le triangle des Bermudes du mix global. Alors que le set touche à sa fin, le groupe dégaine les titres de Februus et enfin, le public semble sortir de sa léthargie devant ces morceaux plus énergiques et plus familiers. Il aura fallu du temps pour délier les nuques de ce timide auditoire, mais les musiciens d’Uneven Structure auront livré un très bon set avec une technique sans faille, faisant honneur à un nouvel album-concept aux compositions riches et subtiles
 

TEXTURES
 

Maintenant bien réveillé, le public est fin prêt pour accueillir les maîtres de la soirée. Ce sera un concert dans l’intimité, puisque L’Empreinte est loin de s’être remplie comme on aurait pu l’espérer. Mais mieux vaut être en petit comité que mal accompagné, et nul doute que les mélomanes qui se sont déplacés ce soir sont des fins connaisseurs du genre.

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Aux amateurs de metal progressif, on ne présente plus Textures. Depuis 2001, le groupe s’est taillé une place à l’avant-garde de la scène moderne en développant un style bien à lui, entre rythmiques complexes et mélodies décomplexées, riffs agressifs et ambiances fouillées. Après une tournée anniversaire dédiée à leur premier album Polars en 2014, les Néerlandais reviennent en force en 2016 avec la sortie de leur cinquième opus, Phenotype, soutenue par une série de concerts dans toute l’Europe, dont une date au Divan du Monde et une halte remarquée au UK Tech Metal Fest.

Un an plus tard, leur nouvelle tournée a de quoi piquer la curiosité des fans : à quoi peut bien ressembler la nouvelle setlist ? Deuxième volet annoncé d’un double album conceptuel dont Phenotype constitue la première partie, Genotype devait sortir cette année sous forme d’un morceau expérimental de 60 minutes. Aura-t-on droit à des extraits exclusifs ?

TEXTURES

Le ton est donné dès les premières notes, puisque c’est le duo "Drive/Regenesis" qui ouvre le bal. Les deux titres d’ouverture de Drawing Circles font remonter le temps jusqu’en 2006 aux fans de la première heure. Et la première minute instrumentale nous permet déjà de constater la maîtrise impeccable des musiciens - comme à leur habitude.

Daniël de Jongh déboule alors sur scène et comme le dit l’expression, on comprend d’emblée qu’il n’est pas là pour enfiler des perles. Le chanteur est plutôt déterminé à nous envoyer des parpaings, tant l’agressivité vocale qu’il déploie dans ses hurlements est électrisante. Ses exhortations à bouger ne relèvent pas de la suggestion mais clairement de l’ordre militaire. Mais sa posture belliqueuse ne trompe pas : autour de lui, ses musiciens semblent ravis d’être sur scène, dans leur pays de cœur – le groupe ne manquant jamais de souligner son attachement à la France.

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Le line up déroge légèrement à sa composition habituelle, puisque Joe (à la guitare depuis 2013), qui vient d’être papa, est absent de ce début de tournée. Mais la salle ne s’endort pas longtemps sur cette annonce attendrissante, car son remplaçant remplit sa tâche à merveille, alternant passages rythmiques et leads guitare avec brio et s’harmonisant avec les cordes de Bart, musicien hors pair et cerveau du groupe depuis ses débuts.

Le son est équilibré et met parfaitement en valeur chaque instrument : les riffs des deux guitares font irrésistiblement bouger les têtes tandis qu’aux fûts, Stef Broks officie en maître tout-puissant, sorte d’alter ego de Shiva ascendant metal progressif - la légende raconte que l’on se demande encore s’il est possible de jouer ses parties avec seulement deux jambes et deux bras.

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Ce soir, Textures nous donne à entendre ce qu’il fait de mieux : une musique à la croisée des genres - death, prog, djent, mathcore, le groupe hybride les styles et s’approprie de multiples facettes du metal, tantôt brutal, tantôt mélodique, tantôt technique, tantôt ambiant, un metal protéiforme aux multiples textures, qui a très justement donné son nom au groupe.

Si la setlist s’ouvre sur les albums mythiques qui ont lancé le groupe (Drawing Circles, puis Silhouettes avec l’excellent "Storm Warning"), elle fait évidemment la part belle au dernier Phenotype, avec le très mélodique "New Horizons", "Shaping a Single Grain of Sand" et ses rythmiques saccadées, ou encore "Illuminate the Trail" et son refrain exaltant.

Réenregistré en 2014, le tout premier album Polars n’est pas en reste : "Transgression" constitue une touche rafraîchissante, avec ses breakdowns hachés menu, son surprenant passage ambiant à l’inimitable solo de saxophone… précédant un orage de double-batterie, un déluge de cymbales implacables et des rythmiques thrashisantes au tempo enragé.

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Très en voix, Daniël de Jongh déploie un registre des plus impressionnants, de ses hurlements gutturaux à ses cris plus aigus, d’une brutalité presque animale issue des influences les plus hardcore du groupe. Et comment ne pas fondre au son de son chant mélodique, qui ferait frissonner un bloc de marbre ?

C’est d’ailleurs ce que doivent se dire les plus assidus du public, qui, scotchés à la scène tels des fidèles illuminés en transe, se joignent à la voix du frontman pour chanter les paroles les plus marquantes. Les musiciens ne manquent pas de remarquer cette assiduité avec des regards à la fois amusés et ravis. En parlant de chant, impossible de faire l’impasse sur les grands classiques les plus accessibles et mélodiques : "Awake" ou "Reaching Home", qui constituent depuis des années l’un des points d’orgue des concerts de Textures, amènent le set à un paroxysme frémissant où la salle entière entre en communion avec le groupe. Dans la même veine, on pourrait peut-être regretter l’absence du sublime "Messenger".

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Mais ne faisons pas la fine bouche, puisque depuis son dernier album, le groupe nous réserve un autre moment de communion incontournable : l’irrésistible duo "Zman/Timeless". C’est déjà l’heure du rappel, tous les musiciens se sont éclipsés de scène, des lumières feutrées se rallument et Uri Dijk revient seul derrière son clavier.

Des arpèges mélancoliques et légers comme l’air se forment sous ses doigts et la salle plonge dans une autre dimension, où l’émotion est palpable et la nostalgie nous prend à la gorge. Puis les musiciens remontent un à un sur scène et le morceau monte en intensité, jusqu’aux ultimes paroles : "I heard you crawling, carrying your burden, down the yearning hills… We set aflame the beacons, envious whisper…" répétées inlassablement comme un mantra hypnotique et nostalgique, tandis que tous les instruments s’emballent, jusqu’à atteindre le point de rupture.

TEXTURES


Pour nous achever, Textures termine avec son monstrueux "Laments of an Icarus", qui permet au public de laisser libre cours à une ultime explosion d’énergie. Tout est passé beaucoup trop vite, mais c’est bien une date immanquable qui vient de se dérouler sous nos yeux : un son, un jeu et une setlist quasiment irréprochables, qui ont su épouser et sublimer toutes les facettes du metal avec lesquelles Textures a joué depuis ses débuts pour composer son univers unique, complexe et sans conteste, inspirant pour de nombreuses formations actuelles et à venir.

Avant que nous ayons bouclé ces lignes, le groupe a annoncé sa séparation. Textures laissera incontestablement un grand vide dans la scène metal moderne, mais avant de tirer leur révérence, les musiciens nous invitent à communier une dernière fois avec eux lors d’une tournée européenne en novembre 2017.


Setlist :
Drive
Regenesis
Storm Warning
New Horizons
Shaping a Single Grain of Sand
Reaching Home
Illuminate the Trail
Awake
Transgression
Singularity

Encore :
Zman / Timeless
Stream of Consciousness
Laments of an Icarus

Photos : Mlle Lazurite / © 2017  flickr.com/photos/mlle_lazurite/
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe



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