Entretien avec Philippe Vermont, guitariste de Superscream


"Je voulais que l’auditeur appuie sur la touche "répéter" en se disant « tiens c’est déjà fini ?»"

Sept ans après son premier album, la formation tricolore Superscream propose depuis le 7 mai sa nouvelle production: The Engine Cries. Membre fondateur et tête pensante du groupe, Philippe "Phil" Vermont a présenté son bébé à La Grosse Radio lors d'une interview parisienne. Rencontre avec un musicien pragmatique, mesuré et passionné.

Salut Philippe et merci pour cette interview. Remettons un peu les choses dans l’ordre concernant l’histoire de Superscream : Tu as rencontré ton principal associé, Eric, en 2005 mais le groupe existe officiellement depuis 2010, c’est bien cela ?

C’est ça ! C’est un peu compliqué comme histoire. Au départ ce n’était pas prévu que ce soit un groupe. Nous étions dans un groupe dirigé par Éric (chant) et nous avons très vite eu envie de travailler ensemble, j’ai commencé à écrire des choses mais sans me dire que cela allait devenir Superscream. Je me suis lâché et j’ai attendu de voir ce que cela donnait. Et à partir de là nous avons commencé à créer Superscream et monter un petit peu le projet, mais quand le premier album est sorti en 2011 la majorité des musiciens était des sidemen, il n’y avait pas de groupe à proprement parler.

superscream

Un premier album Some Strange Heavy Sound sorti en 2011 donc, qu’est-ce que cette première production vous a apporté ?

Plein de choses ! En fait, pour moi c’était mon premier album de metal. J’en ai toujours écouté et ça a toujours été ma came, au grand malheur de certains musiciens avec qui j’ai collaboré (rires), donc j’allais découvrir un nouveau public. Je n’avais pas anticipé à qui j’allais m’adresser sur l’écriture de ce premier album, c’était quelque chose de très instinctif. Avec The Engine Cries je m’y suis pris différemment : j’ai composé plus d’une trentaine de morceaux et nous avons choisi treize titres. C’est cette première leçon : avoir plus de matière que ce que tu vas mettre sur le disque et sélectionner ce qui te semble être le mieux. Je trouve également que les chansons n’étaient pas assez dessinées sur notre premier album. C’est donc le truc que j’ai voulu changer. Nous avons également beaucoup appris au niveau humain car il y a eu des changements de line-up, ce n’était pas forcément évident car j’écris tout et je suis très exigeant par rapport à ce que je demande, ce qui ne laisse pas forcément beaucoup de place à l’interprétation des musiciens. Cela a pu en effet ne pas être clair avec l’ancienne équipe et générer quelques soucis. Nous avons beaucoup appris en live. Nos premiers concerts n’ont rien à voir avec ceux que nous faisons aujourd’hui : nous avons beaucoup plus développé la scénographie, l’attitude live, les titres de The Engine Cries sont beaucoup plus dessinés pour le live.

Quels sont vos autres changements au niveau du line-up ?

Au niveau de l’enregistrement pour le premier album, à part Eric et moi, ce n’était que des sidemen donc. Le principal changement est que nous n’avons plus de claviers. Nous avons fait quelques essais pour des percussionnistes en live, pour voir ce que cela pouvait donner. Aujourd’hui, nous ne fonctionnons plus comme ça, le résultat n’était pas bon et le public ne s’y retrouvait pas. Il y a beaucoup d’arrangements de guitares dans les deux albums et quand tu es le seul guitariste et qu’il n’y a personne derrière pour envoyer la sauce, c’est compliqué. Du coup nous avons recruté un guitariste supplémentaire et fait tourner le clavier sur séquence vu qu’il n’y en avait pas beaucoup.

Superscream

Parlons du processus d’écriture, quelle est la genèse de ce nouvel album  et quelles sont les évolutions?

En gros je l’ai attaqué six mois après la sortie du premier… Donc beaucoup trop tard (rires) ! Puisque idéalement, surtout aujourd’hui, tu dois sortir une galette tous les deux ans. Penser à l’écriture six mois après, sans avoir réellement un groupe et tout ce qu’il fallait faire pour Superscream, nous savions que l’album allait sortir tard. Six ans plus tard peut-être pas, cela dit (rires) !

Concernant l’évolution, j’ai voulu tout faire évoluer, concrètement. L’écriture a été courte, neuf mois. C’était un moment où j’étais en tournée avec d’autres projets, j’avais beaucoup de temps à la maison. Au début, c’est arrivé très vite : un morceau, deux morceaux etc… J’ai horreur des trucs gratuits et dans le prog il y a parfois du collage. Je veux éviter au maximum ce genre de procédé. Je pense mes compos comme des compositeurs classiques et que tout soit justifiable. Il y avait également des choses à changer au niveau de la production. Cet album s’assume peut-être plus en termes de prog, avec un petit côté « années 90 » dans le traitement des guitares, par exemple. Beaucoup d’évolution dans les textes également, Eric a signé la très grande majorité des textes ce qui n’était pas le cas dans le premier album. Stéphane (basse) a commencé à écrire des textes aussi. Tout cela a changé l’atmosphère générale des chansons. Il est, je pense, plus accessible  que notre premier, c’était une volonté de notre part. Il y a eu un truc dans l’écriture qui a changé, nous avons voulu qu’il y ait des « chansons », qu’il y ait des morceaux que l’on puisse jouer avec une guitare acoustique et une voix, et ça marche. Il y a eu beaucoup plus d’attention donnée aux mélodies de manière générale.

Quelles sont vos inspirations au niveau des textes d’ailleurs ? Un fil rouge, par exemple ?

Non ce n’est pas un concept album, nous ne sommes pas vraiment là-dedans. Chaque chanson a vraiment son histoire et je dirai même qu’entre la manière d’écrire nous ne sommes pas dans la même chose. Un texte comme "Where's My Mom" est un clairement rigolo, orienté films d’horreur et un texte comme celui de "The Engine Cries" va être beaucoup plus dans le sombre, nous voulons laisser l’interprétation à celui qui l’écoute. Nous avons une certaine marque de fabrique et une certaine liberté dans nos textes. Il n’y a pas de fil rouge donc.

Beaucoup d’évolution au niveau de la prod également…?

La très grande différence c’est que nous avons enregistré avec les membres du groupe, des membres avec qui cela fonctionne extrêmement bien sur le plan humain ! Cela aide beaucoup à fluidifier la musique. Les gars n’ont pas peur d’aller au charbon, de refaire vingt fois la même prise. C’était moi qui était derrière les manettes, je suis un gros psychopathe, je l’assume pleinement (rires) ! Parfois au bout de trois prises c’était bon, mais parfois il fallait refaire les prises encore, encore et encore, que tout soit parfait au poil de cul près. Il y a eu un très gros boulot de production pur, c’est pour ça que ça pris beaucoup de temps, un an et demi en tout. Mais il faut comprendre qu’Eric et moi sommes musiciens professionnels, Martin (batteur) est sur cette voie, donc en termes d’agenda ce n’est pas toujours pratique. Nous étions tributaires de nos agendas car malheureusement Superscream ne nous nourrit pas encore.

Superscream

En espérant que cela viendra ! Parlons des influences : le prog est souvent inspirés par des œuvres culturelles, cinématographiques voire même vidéo-ludiques. Quelles sont les tiennes ?

Concrètement je suis plus influencé par le côté musique que le côté culture. Je suis tout de même un éminent fan de John Williams, compositeur de Star Wars, Indiana Jones, je me prosterne devant lui régulièrement (rires) ! Côté jeux vidéo, je ne connais pas forcément bien, mais par exemple j’adore les musiques d’Assassins Creed ou Red Dead Redemption, notamment le côté rock/blues. J’avoue quand dans le jeu vidéo il y a de très belles choses aujourd’hui.

Parlons donc musique, il n’y a pas de carcan dans les compositions de Superscream. Je pense par exemple à l’excellent enchainement "Pandora"/ "Velvet Cigarette". Du pur prog qui enchaîne avec un rock blues très classique. Quelle est ta vision de la musique ?

Je pourrais te faire une réponse d’une demi-heure (rires). Je vous la musique comme un voyage, je suis moi-même amateur de voyage. Dès que je le peux je pars à l’autre bout du monde, aller choper des ambiances, des musiques… Le concept de Superscream est né lorsque j’étais en tournée avec un groupe à Budapest. J’ai entendu groupe avec un mec qui faisait de l’accordéon avec des grosses guitares saturées, je me suis dit « ces mecs ont tout compris ». J’étais dans un groupe de world music et je me suis dit pourquoi ne pas mélanger ? Pourquoi ne pas mélanger cette musique balkanique avec des rythmes impairs ? Il y a des ponts possibles entre la world music et le metal. Je suis parti de cette idée avec une envie de fan, celle de faire des morceaux de metal. Cela explique le peut-être cette double lecture dans la musique de mon prog. Le prog bien sûr, mais également des choses plus heavy, plus hard rock, plus classiques… J’aime l’idée que d’un morceau à l’autre tu voyages. Je ne voulais pas faire un album long également. Je voulais que l’auditeur appuies sur la touche « répéter » en se disant « tiens c’est déjà fini ?! », je ne voulais pas être comme ces groupe de prog  où c’est archi long avec seulement quatre ou cinq titres dans leurs albums. Je voulais que chaque morceau soient courts et aient leur place propre et qu’ils soient un peu comme une étape dans un voyage.

Le prog n’est plus un genre tout jeune à présent, comment abordes-tu ce mouvement aujourd’hui ?

Je pense effectivement que c’est un genre qui a besoin d’évoluer, mais il y a déjà des groupes et des artistes comme Haken qui commencent à le faire. Ils emmènent le truc vraiment ailleurs. J’ai l’impression que tout le monde suit la voie de Dream Theater. C’est un groupe incroyable en termes d’écriture et d’exécution. Je les ai vu tellement de fois en live, ça te mets toujours une tarte. Mais dans le metal il y a toujours cette espèce de course à l’armement : toujours plus vite, toujours plus vite, toujours plus bourrin. Et à mon avis ce sont des groupes comme Haken qui ne prennent pas du tout cette voie là et essayent de mélanger d’autres choses comme le jazz et le classique, cela renouvelle un genre. Et c’est sur je genre de groupes que je vais surfer et tripper. Moins que ceux qui refont un peu toujours la même recette, la sept cordes, le synthé, les duels guitare/synthé. J’aime bien, mais DT l’a fait tellement bien pendant tellement longtemps que je crois qu’aujourd’hui c’est difficile d’aller dans cette direction quand on est un groupe de prog. Il faut essayer de prendre un autre chemin.

D’ailleurs dans son groupe actuel (Shattered Fortress) Mike Portnoy joue avec des membres d’Haken et ils reprennent des morceaux de DT.

Superscream

On le sait d’ailleurs, Dream Theater est une influence majeure de Superscream. On peut largement comparer la pochette qui pourrait être une de leur pochette. Je pense que cela peut être intéressant de te demander ton avis sur les 25 ans d’Images and Words. Que représente cet album pour toi ?

Tu touches un point très sensible car c’est un album qui a changé ma vie. En fait à l’époque je devais avoir 17 ans, j’étais à fond dans les guitar hero et le rock 70’s, mais je n’avais jamais entendu un album où le batteur prenait autant de place que le guitariste et le bassiste, où tous les mecs sont des supers musiciens et des consonances un jazz/rock. Ils faisaient partie des premiers à faire ça. En tout cas je me souviens que ça été une de mes premières « rentrées » dans le metal. Un véritable électro choc dont je ne me suis jamais remis. Aujourd’hui je crois que cela s’entend dans la musique de Superscream, la première fois que j’ai découvert "Metropolis" ça a été une baffe absolue, je ne comprenais même pas comment Petrucci pouvait jouer comme ça ! La majorité des albums de DT ont tourné pendant au moins trois mois dans mon autoradio.

Parlons un peu de l’avenir, quelles sont vos attentes avec ce nouvel album ? Et si j’en crois ton point de vue, tu pourrais peut-être déjà plancher sur un troisième album ?

Actuellement je travaille sur un DVD live enregistré sur des concerts avec des morceaux de The Engine Cries avant de sortir de l’album. Comme c’est moi qui fait l’essentiel du travail en studio, nous avions envie d’un truc qui reflète la vie du groupe et ce qui se passe en live. Donc je planche là-dessus depuis trois-quatre mois. Il y a donc déjà ça qui va sortir. Après, il y a des bases batterie enregistrées pour un troisième album, mais pas tout, trois titres pas plus. C’est difficile de se projeter avec plein de choses à gérer. Nous allons aller défendre notre album sur scène, ce qui est notre principale et première attente. Il y a des dates avec des groupes qui commencent à se mettre en place, mais je ne peux t’en dire plus pour l’instant. Mais il y a des choses actées et signées. J’espère que l’on va réussir à convaincre des organisateurs de nous programmer sur des festivals. Enfin oui, il y aura un troisième album mais cela va dépendre de certains éléments que l’on maîtrise et d’autres non.

Supersceam

Sept ans d’existence, un chiffre porte-bonheur pour Superscream ? Pas de regrets ?

Aucun, absolument aucun. Je crois que lorsque l’on fait son maximum comme je pense que nous le faison, on n’a rien à regretter. Après il se passe ce qui se passe. L’album a l’air de plaire aux gens et j’en suis le premier heureux. Même si ce n’avait pas été le cas j’aurais été content car sur cet album nous avons tous sué pour donner le meilleur de nous-même. Au niveau de la prod, Eric a tout mis en œuvre pour que cela se passe le mieux possible. Il ne nous reste qu’à croiser les doigts pour que cela continue. Ce sont sept années de bonheur, de plaisir et aussi de rencontres magiques. Aujourd’hui nous sommes cinq amis, nous avons, je crois, énormément de chance de vivre cette histoire entre amis. Je suis bien placé pour le savoir, je travaille dans beaucoup d’autres projets. Si nous ne répétons pas, nous allons quand même nous retrouver boire une bière ensemble. C’est simple, c’est la magie de la musique.

Philippe, je te laisse les derniers mots, si tu veux envoyer un message à tes auditeurs et futurs auditeurs.

Je ne vais pas vous convaincre d’acheter l’album. Écoutez-le ! Une fois de plus nous avons mis énormément d’énergie et de passion dans ce disque. C’est un disque sincère à 200%, il vous plaira ou ne vous plaira pas, vos goûts ne m’appartiennent pas. C’est un disque de passionnés pour les passionnés



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