"C’est peut-être pour ça qu’on a besoin de musique dans nos vies,
parce que les mots ne suffisent pas"
Après le rare concert de Tengger Cavalery qui se déroulait au Klub en cette chaude soirée du 12 août 2017, Jessica Rozanes, la programmatrice du Fall Of Summer, nous reçoit dans les sous-sols en travaux du Black Dog pour parler de cette quatrième édition du festival…
Et lorsqu'elle parle, on sent clairement la passion qui l'anime et qu'elle partage avec nous !
------------------------------------------------------
Thomas : Nous en sommes déjà à la 4ème édition. Qu’est-ce que ça te fais ? La quatrième édition, ce n’est pas rien pour un festival. La première, on essaie des trucs en espérant que ça se passe bien. On est super content qu’il y ait un deuxième. Quatre, cela commence à devenir sérieux quand même…
Jessica : Ah mais c’était sérieux dès le début, jeune homme ! (rires) Quatre éditions, ça fait beaucoup et peu à la fois. J’ai l’impression que ça fait dix ans que ça fait partie de ma vie, alors que là, début septembre, la première n’aura seulement eu lieu que trois ans avant, ce qui n’est pas énorme.
Un festival, c’est un peu comme un bébé, c’est un peu ton enfant, tu dors pas la nuit, ça te rend autant heureux que ça te tape sur les nerfs. Des fois, tu as le babyblues, tu te dis mais pourquoi tu es là ? On est en plein mois d’août, je pourrais prendre des vacances comme tout le monde, mais non, c’est pas possible. C’est vraiment quelque chose qui colle à la peau, qui n’est pas anodin, qui a beaucoup d’influence sur la vie personnelle, sur mes interactions avec mes amis. Il faut essayer d’allier tout ça, et tout au long de l’année ! Octobre, novembre, c’est un peu plus facile, et après, il faut se remettre dedans. C’est comme un bébé, tu ne peux pas l’abandonner, c’est ton enfant. Cela reste pour moi une des plus belles choses que j’ai fait dans ma vie. Je ne le regretterai pas.
Thomas : C’est une magnifique comparaison. L’enfant qui a quatre ans du coup…
Jessica : Toujours pas sevré !
Thomas : Avec les années, est-ce que l’expérience rend les choses plus faciles ?
Jessica : Il y a certaines choses qui sont de plus en plus faciles parce qu’on a l’habitude, c’est un peu la routine sur certains process. Le problème, c’est qu’il y a toujours des gens qui changent, des gens qui partent, des nouveaux qui arrivent et il faut donc toujours se réadapter et trouver de nouvelles manières de fonctionner. Le but, c’est aussi de s’améliorer, et c’est parfois un peu dur. Se dire qu’il faudrait les choses comme ça, plutôt que comme ça, beaucoup de choses que les gens ne voient pas. Mais il y a toujours des nouveaux défis, on essaie de se mettre des challenges un peu différents et trouver d’autres buts. C’est toujours aussi épuisant. Je me mets toujours la pression pour essayer que le festival soit le mieux possible, et ne pas me reposer sur mes lauriers. Il y a beaucoup d’améliorations qu’on essaie de mettre en place, ce qui n’est pas toujours facile, pour des soucis financiers. Mais on essaie de faire en sorte que cela soit de plus en plus agréable pour les festivaliers, pour les bénévoles, pour les groupes. On ne peut pas se trouver d’excuses. On ne nous a jamais rien demandé, on a jamais eu de grosses plaintes ni rien, mais je trouve que parfois il y a des personnes qui essaient de se réfugier derrière des excuses pour ne pas évoluer, et j’essaie d’évoluer et je me mets des challenges à moi-même.
Thomas : A propos d’évolution pour l’édition 2017, qu’est-ce qui a été fait pour améliorer le confort du festivalier ? Il est d’ailleurs déjà pas mal, entre la plage, la petite colline pour s’assoir, c’est quand même assez rare finalement.
Jessica : Les gens retiennent plus les changements marquants, comme les emplacements des scènes, mais il n’y a pas d’énormes changements à faire sur tout ce qui est distribution du site, car il marche bien comme ça et ça ne sert à rien de vouloir changer pour changer. Il n’y aura pas d’énormes changements. On est encore quatre semaines avant, c’est un moment décisif pour former toutes les équipes bénévoles. Ca, les gens ne le voient pas, mais essayer que les bénévoles soient le plus à l’aise possible dans leurs tâches, savoir qui va être le responsable en contact avec eux, qu’ils ne soient pas balancés comme ça dans le festival. Ça fait partie des choses invisibles, mais importantes, qui peuvent être ressentis même par les festivaliers. C’est un gros événement humain. Juste le fait que tout le monde sache ce qu’il a à faire, et pourquoi, en ayant l’information. Je pense que la désorganisation vient plus de l’information. On n’est pas au top du top, mais c’est vraiment ce qu’on essaie de mettre en place, et qui est difficile. C’est notre but : améliorer l’ambiance et l’aspect humain qu’on oublie trop souvent.
Au niveau matériel, concrètement, on va remplacer les toilettes chimiques par des toilettes sèches sur le festival. C’est quelque chose qu’on voulait faire depuis longtemps, mais c’était un peu compliqué car cela représente quand même un certain surcoût. Et pour le petit clin d’œil, le gadget, on a fait brasser notre propre bière par la brasserie de l’Être, qui est une brasserie parisienne dans le 19eme arrondissement, dont on avait déjà des bières en bouteilles l’année dernière. C’est une très bonne brasserie, éco-responsable. C’est notre petit plaisir, c’est une pale ale, qu’on a appelé l’imp pale ale, avec un petit jeu de mots.
Thomas : Je pense que ça va faire plaisir à beaucoup de gens, car la bière dans un festival, mine de rien, c’est assez important.
Jessica : L’année dernière, au bar à bières, on en avait 14 différentes.
Thomas : Je trouve que c’est important de le souligner, car il y a des bières de base, mais il y a des gens qui vont aussi apprécier les vraies bières, pour le plaisir qui accompagne un concert.
Jessica : Notre bar à bières fait donc son grand retour cette année, avec notre propre bière brassée de façon locale.
Thomas : Alors, ça j’ai hâte d’y goûter ! On vient de voir le côté matériel du festival, mais on va en venir à l’essentiel, à savoir la musique et l’affiche. Je vais jouer un peu l’avocat du Diable en disant que pour moi, le Fall of Summer est un peu un festival de spécialiste. L’affiche est toujours extrêmement bien choisie, et quand on la lit à différents niveaux, on se rend compte que les gens qui font l’affiche savent exactement ce qu’il y a à prendre et cela donne quelque chose d’assez rare finalement. Mais, comme je suis l’avocat du Diable, la plupart des gens ne connaissent pas forcément les petits détails qu’il y a derrière chaque groupe semi-obscur, qui a cependant une grande histoire. Est-ce que ce choix d’affiche de spécialiste ne limite pas forcément l’audience ?
Jessica : Non, ce n’est pas méchant comme question. Ce que je me dis, c’est que les deux dernières années, il y a eu une fréquentation équivalente, alors qu’on avait besoin de plus. Entre la première et la deuxième édition, on a augmenté la fréquentation de près de 50%. On a besoin de 500 personnes de plus par rapport à l’année dernière, en passant de 3000 à 3500. Je ne pense pas que ce soit impossible. Je pense que mettre des grosses têtes d’affiche plus mainstream, est-ce que ça apporterait quelque chose ? Pour moi, ça serait un peu trahir les gens qui nous suivent. Il y a des grosses têtes d’affiches que l’on a pas encore faites et qui colleraient au festival, mais la question, c’est pas la taille du groupe, mais son style. C’est vrai qu’il y a une grosse barrière. Si on faisait jouer Sabaton ou Epica, on serait totalement hors sujet. Et dans un sens, ça serait trahir l’âme du festival, ça serait un peu défigurer mon beau bébé !
On est relativement ouvert malgré tout. Même si on a besoin de faire plus de monde, de là à se prostituer entre guillemets, et ne plus pouvoir défendre l’esprit du festival qui est justement, de proposer des choses rares. De proposer des groupes qu’on ne peut pas voir ailleurs, parce que les autres non plus ne peuvent pas faire jouer. Ce n’est pas parce qu’on met des gros sous, et des grosses exclusivités, etc. Si on arrive encore à faire jouer, cette année on a 5 ou 6 groupes qui n’ont jamais joué en France, dont beaucoup de groupes des années 80, ça veut dire que personne d’autre ne les a fait, et ce n’est pas forcément une histoire d’argent. C’est souvent des groupes qui ont été un peu oublié. Je vis ça un peu comme une mission, c’est un peu prétentieux, il ne faut pas exagérer non plus, mais c’est important. Mais quand je vois le nombre de personnes qui viennent de très loin… Hier, j’ai aidé un Turc à acheter son billet car il y avait un problème avec la billetterie et un Israélien à booker son hôtel ; c’est beau d’ailleurs comme image, je n’avais même pas connecté. Si on était une espèce de sous-Hellfest, de sous-Wacken, je ne pense pas que ces gens viendraient. Ces gens viennent pour Morbid Saint, ils viennent pour Merciless. J’adore Immolation, je suis contente de les faire jouer, mais ils font une tournée, et ce n’est pas pour eux qu’ils viennent. C’est pour une affiche globale. Mais il y a aussi des petites pépites. S’il n’y a plus de pépites et qu’on fait un truc de supermarché, je ne pense pas que les gens viendraient de si loin. Peut-être qu’on aurait beaucoup de parisiens, mais je ne pense même pas, car on sait que le parisien a beaucoup de mal à franchir le périph. Même pour ça, on obligé de mettre des raretés (rires).
Je ne suis pas convaincue. Sinon, ça serait un festival comme tant d’autres, et peut-être que tu ne serais pas en train de m’interviewer.
Thomas : Il y a des chances ! On reste donc sur une affiche, qui depuis le début, mélange black, death, thrash… Et, il y a Magma. Là, on est quand même dans autre chose.
Jessica : Comme l’année dernière, Claudio Simonetti's Goblin, c’est autre chose. Comme en 2015 ; Ihsahn, on était sur autre chose. Comme la première année, Bömbers, on était sur autre chose.
Thomas : Donc ça fait partie du concept, il faut qu’il y ait autre chose ?
Jessica : C’est mon côté amatrice de musiques en général, qui fait que toutes ces barrières sont un peu contraignantes. C’est pour ça que je ne fais pas que un festival que de death black, même si beaucoup de gens trouvent que tous les logos sont illisibles. Bien que pour ne pas réussir à lire le logo de Toxic ou Grave Digger, il faut quand même y aller. On n’est pas juste dans le death black thrash, ou dans le heavy meal trad. On est vraiment entre les deux.
La ligne du Fall Of Summer, c’est une histoire du metal extrême, qui commence dans les années 70. Mais on pourrait remonter plus loin, ça me dérangerait pas de remonter plus loin et de faire des groupes de blues. Et Magma fait partie de cette histoire, comme Claudio Simonetti’s Goblin, comme Coven. Le nombre de métalleux qui ont regardé tous les films de Dario Argento par exemple et écouté la musique de Goblin, dans cet univers de l’horreur. Même si c’est un peu différent, ça a toujours eu une influence sur la scène et sur les gens. L’influence n’est pas toujours évidente, mais ça prend un sens, plus qu’Epica.
Thomas : Je voulais te l’entendre dire.
Jessica : Epica, c’est une cousine éloignée aux cheveux roux, alors que Magma, c’est le tonton ou le grand-père. La filiation pour moi est plus directe. Au-delà de la filiation, parce que je n’aime pas trop raisonner en terme d’arbre généalogique quand on parle de musique, parce que ça se passe jamais vraiment comme ça. C’est une question d’implication musicale, c’est une musique de passionnés.
D’ailleurs, en te parlant (rires), c’est peut-être ça le vrai lien, quelque chose d’indicible, c’est peut-être pour ça qu’on a besoin de musique dans nos vies, parce que les mots ne suffisent pas. C’est peut-être ça le lien qu’il y a entre Magma et Bathory, mais il y en a. C’est pour ça que la musique, c’est quelque chose de génial.
Thomas : Et c’est pour cela qu’il y a des tas de gens qui sont content d’y aller. Et d’ailleurs, à titre personnel, je trouve que ce festival mérite d’être connu, car justement, il est authentique et passionné.
Je vais terminer par la question que je pose à chaque interview, même s’il s’agit plutôt de groupes en général, mais tu verras, c’est facile.
Pour toi, en 2017, si tu devais résumer le Fall of Summer en un mot, lequel serait-il ?
Jessica : Quand tu viens de parler d’authenticité, ça résume bien la chose. Mais je vais dire comme Emmanuel Macron, c’est une vision. (rires)
Thomas : Ah c’est beau ! Merci pour cette conclusion formidable !
------------------------------------------------
Lorsqu'on voit la passion qui anime les organisateurs du festival, et la belle affiche pleine de pépites, on ne peut que se précipiter en toute confiance à la base de loisirs de Torcy où se déroulera le Fall of Summer les 8 et 9 septembre prochains.
Nous y serons !
Thomas Orlanth