Comme à peu près tous les ans, les Norvégiens de Shining nous font le plaisir de revenir chez nous pour quelques dates en tête d’affiche. Pour l’occasion, les papes du blackjazz ont investi pour la première fois la Lorraine et la salle nancéienne du Hublot et ce malgré la concurrence de l’ogre Metallica à Paris le même soir. Avec en ouverture les héros locaux de Wheelfall, et connaissant le potentiel scénique de la bande à Jørgen Munkeby, la soirée s’annonçait comme l’évènement à ne pas manquer de la rentrée. Et autant dire qu’elle a tenu toutes ses promesses.
Wheelfall
Les choses ont l’air d’avoir bien changées chez Wheelfall depuis quelques temps. On se rappelle fort bien de l’atmosphère lourde que les Lorrains avaient déployés en ouverture de Samael il y a quelques années, quelque part entre Cult Of Luna et Neurosis, mais les Nancéiens ont fait évoluer leur son (et leur line-up) drastiquement depuis. Tous vêtus sobrement, les musiciens montent sur scène devant un public composé d’amis mais aussi des néophytes, et les deux premiers titres ont de quoi déconcerter avec un mix exécrable et des accélérations penchant vers le rock'n'roll et l’indus à la Nine Inch Nails.
L’auditeur est un peu perdu et on peut le voir sur les visages présents, les nouveaux morceaux peinent à passer le cap du live. Le son brouillon et les expérimentations un peu trop nombreuses font ressembler le tout à un patchwork bizarrement assemblé, entre les riffs indus et le chant de Fabien W. Furter toujours à mi-chemin entre black et hardcore.
Heureusement, dans la seconde partie du concert, Wheelfall dégaine des titres du très bon Glasrew Point et l’on retrouve ce son lourd caractéristique qui nous rappelle pourquoi la formation fait partie des tout meilleurs en France dans son registre. On ne se lasse pas des mélodies de guitares distillées par Thibaut Thieblemont en plus d’un second chant qui fait sortir le groupe du lot efficacement. Autre source de satisfaction immuable, la batterie de Nico Giraud, avec un jeu varié et nuancé, loin des stéréotypes du genre malgré une double pédale en retrait dans le mix.
Wheelfall a donc perdu son pari de présenter ses nouveaux titres en live, mais pas d’inquiétude puisqu’il s’agissait d’une première fois et que le groupe aura maintes occasions de se rattraper une fois son nouvel album sorti. Un album qui marquera sans doute une nouvelle évolution drastique (après avoir démarré comme un groupe de stoner !) et qu’il sera intéressant d’écouter en studio pour bien déceler chaque détail du son unique des Lorrains.
Shining
Quiconque a déjà vu Shining en concert se doute déjà de l’avalanche qui se prépare doucement en coulisse. Le groupe a acquis une expérience de la scène à force de tournées incessantes depuis cinq ans, et chaque membre sait ce qu’il a à faire pour donner une autre dimension à des titres déjà bien assez percutants sur album. Sous la houlette de l’ultra-charismatique Jørgen Munkeby qui endosse le triple-rôle de chanteur, saxophoniste et guitariste, c’est 1h15 de blackjazz, ce style si particulier entre prog, indus et freejazz que le public de Nancy va se prendre en pleine poire.
Choix osé, les Norvégiens décident d’ouvrir leur concert par deux nouvelles chansons pas encore enregistrées, ce qui ne semble pas gêner le public pour autant. Un public calme et observateur mais venu en nombre en ce dimanche soir, une belle satisfaction pour l’association organisatrice MetalRide même si une majorité est davantage venue par curiosité que par amour du groupe. Quelques morceaux plus tard on se retrouve en terrain connu avec « The Last Stand » et « Last Day », deux titres du dernier album bien plus direct que ses prédécesseurs, un bon choix pour lancer le concert sur les chapeaux de roues.
Après un léger moment de flottement, on constate avec bonheur que le son est plus que décent (dans une salle aussi vieillissante et mal configurée que le Hublot, cela tient du miracle !). On ne peut pas en dire autant des lights qui plongeront le batteur et le claviériste dans l’obscurité totale à l’aide de stroboscopes pendant tout le set, laissant la lumière aux trois membres mobiles. Mais qu’importe, l’important c’est ce qu’on entend et en l’occurrence, cela fait plaisir d’entendre distinctement un claviériste pour une fois. Le rôle d’Eirik Tovsrud Knutsen est primordial dans la musique du groupe et on ne se lasse pas de ses interventions sur « My Dying Drive » par exemple.
Pour le reste, c’est Jørgen qui attire l’ensemble des regards sur lui, pour son chant plus mélodieux et moins screamé que sur album mais surtout pour ces moments où le leader s’empare de son saxophone pour donner cette plus-value visuelle et sonore rare dans le monde du metal. Malgré une petite faiblesse vocale sur la fin du concert (qu’on lui pardonnera au vu de l’énergie folle qu’il dépense dans son triple rôle), il apporte le grain de folie nécessaire à un excellent concert, n’hésitant pas à s’appuyer sur la barrière quand il joue ou à s’emparer des téléphones pour filmer lui-même ce qui se passe. Le tout bien accompagné par son guitariste Håkon Sagen pas en reste lui non plus.
La setlist quant à elle reflète l’évolution de Shining sur chaque album. Un peu à l’image de Wheelfall juste avant eux, on peut se rendre compte facilement de quelle époque vient le titre joué tant l’écart est grand entre les styles. Le mythique Blackjazz est toujours bien représenté avec ses titres à la limite de l’improvisation et du grand n’importe quoi jouissif comme « Fisheye », bien enchainé avec la doublette plus direct de One One One, « I Won’t Forget » et « The One Inside ».
Le plus surprenant dans tout cela, comme le dit Jørgen dans un français laborieux, c’est que Shining nous offre pas moins de cinq nouvelles chansons pas encore enregistrées. Un pari très osé mais qui fonctionne puisque les petits nouveaux dévoilent un nouveau changement radical du style des Norvégiens. En particulier la ballade « Hole in the Sky », croisement entre l’electro sombre d’un Kavinsky et le post-rock de Pelican sur laquelle le frontman pose son chant plus mélodieux que jamais. Point à retenir : aucun de ces cinq titres ne contenait une seule note de saxophone, la fin d’une époque pour Shining ? On imagine déjà les réactions si celui-ci devait disparaitre définitivement du futur album. Cette avalanche de nouveaux morceaux aura en revanche eclipsé l’habituelle cover de King Crimson « 21st Century Schizoid Man » et c’est bien là le seul point noir de la soirée.
La fin du concert permet à l’ambiance de monter encore d’un cran avec un « The One Inside » d’anthologie où Håkon Sagen descendra dans la foule pour démarrer le moshpit avant de se faire porter jusqu’à la scène en continuant de jouer. Pour conclure après cela, rien de mieux que LE classique de Shining, « The Madness and the Damage Done » et son solo bruitiste complètement hypnotique qui finit de mettre en transe le public nancéien. Un rappel sur un autre nouveau titre (« My Church ») et les Norvégiens peuvent sortir de scène heureux d’avoir confirmé leur statut de groupe à voir au moins une fois dans sa vie (et plus si affinités bien sûr). On retiendra également des musiciens d’une grande simplicité, disponibles au stand de merch pour discuter et dédicacer à peine quelques minutes après la fin du show.
Setlist :
Animal
Flow
The Last Stand
Last Day
Hole in the Sky
Everything Dies
Healter Skelter
My Dying Drive
Fisheye
I Won't Forget
The One Inside
The Madness and the Damage Done
My Church
Photos: Lucas Hueber / 2017
Album photo complet du concert