Fantasme pour les uns, curiosité pour les autres et produit marketing pour les rageux, Prophets of Rage sort ENFIN son premier album. Fait amusant car pas courant : on sait ce que vaut le groupe sur scène mais pas sur album. Avec un tel line-up et un tel passif, l’exercice peut sembler presque facile pour ces Américains à l’esprit ouvert et à la popularité immense. Aussi immense que les possibilités offertes par de si beaux noms réunis dans un seul projet. On est tenté de se poser la question « Ne vont-ils pas faire que du Rage Against the Machine » ? Mais la vraie question n’est elle pas « Est-ce que tout le monde ne veut pas qu’ils ne fassent que du Rage Against the Machine» ? Réponse un peu plus bas.
Il y a désormais plus d’un an, la toile était en ébullition puisqu’elle apprenait l’existence plus ou moins officielle d’un de ces fameux « super groupes ». Ceux qui attisent la curiosité, ceux qui font saliver, ceux qui dégoûtent, ceux qui laissent indifférent. Alors que nombreux étaient les fans à espérer une actualité du côté des Rage Against The Machine, un nom avait fini par être lâché : Prophets of Rage. Une ossature construite autour des musiciens des Rage, complétée par DJ-Lord de Public Enemy, Chuck-D en provenance de la même formation et B-Real de Cypress Hill. Public Enemy et Cypress Hill, deux très grands noms du rap américain, pas si étrangers au hard-rock et au metal, le premier étant connu pour sa collaboration avec Anthrax et le second pour incorporer dans sa musique moult éléments rock et consorts. Les amateurs devaient d’ailleurs se souvenir de l’excellent album de Cypress Hill, Rise Up, accueillant le guitariste Tom Morello sur le morceau éponyme.
Sur le papier, l’alchimie semblait tout à fait envisageable (et le semble toujours aujourd’hui) et l’impatience grandissaient au fil des différentes annonces. En août 2016, les interrogations ne trouvaient que de bien maigres réponses dans l’EP The Party’s Over, ne comportant que deux malheureux titres originaux et trois interprétations live des Rage. Tout cela était donc plutôt léger et le résultat franchement discutable. Toutefois, l’enthousiasme restait de mise après s’être renseigné sur les performances scéniques du combo, manifestement excellentes, et c’est avec un plaisir certain que le public a pu découvrir la chimère lors des dernières éditions du Download et du Hellfest. Des prestations bâties autour du répertoire de chacun des groupes des membres avec très majoritairement des titres de Rage Against the Machine.
On est donc en septembre 2017 et c’est non sans une certaine impatience que l’on s’apprête à appuyer sur le bouton « play » pour enfin jeter une oreille au sacré Graal, enfin savoir ce que Prophets of Rage a dans les tripes et, surtout, dans la tête. D’ailleurs, dans quel état d’esprit attaquer cette première écoute ? Comme un inconditionnel de RATM crevant la dalle depuis 1999 ? Cela paraît évident. Comme un fan de ce genre décrié qu’est le fusion-metal ? C’est plutôt logique. Comme un amateur de hard-rock n’ayant pas peur de lorgner vers d’autres genres ? Excellente idée. Mais globalement il convient d’aborder ce Prophets of Rage tel qu’il est et essayer de laisser ses rêves de côté.
Dévoilé il y a deux semaines, "Radical Eyes" propose une approche en douceur avec un groove bien chaud concocté par la paire Tim Commerford (basse)/Brad Wilk (batterie). Arrive Chuck-D à qui les années réussissent et ce dernier laisse rapidement sa place à B-Real ainsi qu’à son timbre si particulier. S’ensuit alors un véritable "battle" entre les deux chanteurs. Aucun doute : la mayonnaise prend à merveille et c’est un voyage dans le temps instantané qui est proposé ici. C’est bien entendu un bonheur de retrouver ce jeu de guitare dont Tom Morello a le secret. Mais le constat est là : c’est du déjà vu. Un constat plus ou moins confirmé à l’entame de la deuxième compo,"Unfuck the World" (qui a été également dévoilée il y a quelque temps, notamment lors des concerts). Très pêchue elle conserve l’esprit Rage mais apporte tout de même un petit vent de fraîcheur, l’alternance B-Real/Chuck-D est excellente. On note au passage la production tout simplement nickelle avec une attention toute particulière apportée à la rythmique et c’est un véritable plaisir d’entendre les lignes de basse de Tim Commerford.
On apprécie également l’aspect très funky de "Legalize Me" et "Take Me Higher", toutes deux très planantes. On note au passage que le nom de ces pistes est probablement un petit clin d’œil aux plaisirs/vices verts dont Cypress Hill aime faire l’apologie. Deux excellentes compositions qui sont finalement les deux véritables surprises de la galette. Pour le reste c’est encore et toujours du RATM sans Zack de La Rocha. Mais certainement pas pour le pire. En témoignent la très grisante et énergique "Who Owns Know", très proche d’un "Sleep Now In The Fire", l’impeccable "Hands Up" qui clôt l’album sur des airs de "Wake Up" ou encore "Fired a Shot" qui plaira à coup sûr à ceux qui apprécient Stoned Raiders (Cypress Hill, 2001).
Le verdict est sans appel : Prophets of Rage est bel et bien le lot de consolation pour ceux qui espéraient (et espérent encore) le retour de Rage Against the Machine. Si l’ensemble ne brille vraiment pas par son originalité et manque parfois cruellement d’inspiration, on ne peut décemment jeter la pierre au combo qui fait preuve d’une très bonne volonté. Globalement convaincantes dans les enceintes, ces douze compositions devraient prendre toute leur ampleur lors des futures prestations. On peut également espérer un bel avenir pour ce projet et souhaiter qu’il ne soit jamais rangé dans la case « groupe d’un seul album ». Il convient aussi de rappeler l’excellent travail dont l’album a bénéficié du côté de la prod. On ne le dira jamais assez, c’est vraiment génial de retrouver la triplette Commerford/Morello/Wilk et de constater que leur musique se mêle à merveille aux samples de DJ-Lord (un peu discret cela dit) et aux chants de B-Real et Chuck-D.
Et puis merde, on ne va quand même pas reprocher aux musiciens de RATM de faire du RATM, de se faire plaisir et de faire plaisir. Parce que cette notion de plaisir, c’est bien le plus important, non ?
Note finale: 7,5/10
Sortie le 15 septembre 2017 chez Fantasy Records