Nous avons eu la chance de discuter avec Steve Tucker, de retour dans le line-up de Morbid Angel à l'occasion de la sortie du prochain album du groupe, Kingdoms Disdained, qui sortira chez Silver Lining Music le 1er décembre prochain. Un album très attendu après les critiques souvent peu flatteuse qu'avait reçu Illud Divinum Insanus. Le retour de Steve auprès de Trey Azagthoth promet un retour brutal au death metal plus traditionnel pour lequel le groupe est connu depuis de si nombreuses années. Voici ce que Steve a à nous dire de cet album.
Vous êtes revenu jouer avec Morbid Angel en 2015 et cette année, vous sortez un nouvel album intitulé Kingdoms Disdained chez Silver Lining Music le 1er décembre prochain. Pourquoi avoir quitté le groupe en 2004 ?
Steve Tucker : Pour des raisons familiales. Je ne pouvais pas m’occuper de ma famille et continuer à fournir un travail correct pour Morbid Angel à ce moment-là. J’ai donc choisi de me concentrer sur ma famille. Mais maintenant que les enfants sont devenus grands, je peux me consacrer à la musique à nouveau.
Après avoir quitté le groupe, c’est David Vincent qui est revenu prêter sa voix à Morbid Angel, et le groupe a sorti l’album Illud Divinum Insanus en 2011 qui a été pas mal controversé. Des sonorités plus électroniques et industrielles ont été ajoutées. Cet album était loin du death metal traditionnel que l’on connait chez Morbid Angel. Il n’a pas fait l’unanimité. Que pensez-vous de cet album ?
Steve Tucker : Je ne peux pas dire que je l’aime ou que je ne l’aime pas. On va dire que ce n’est pas un de mes albums préférés. Mais je pense que Morbid Angel a toujours été dans la controverse. A chaque album il y a également des gens qui aiment ou qui n’aiment pas. On ne peut pas forcément faire l’unanimité. Et si l’on prend l’exemple de Covenant, je pense que cet album a bien plus alimenté la controverse. Il a été jugé choquant à l’époque. Et musicalement, je pense que Morbid Angel a toujours essayé d’apporter des choses différentes d’un album à l’autre. Je ne peux pas dire si Illud Divinum Insanus est un bon ou un mauvais album. Et je pense que les gens aiment qualifier les choses de « controversé » pour le simple amour de l’idée de la controverse.
Si j’avais fait partie de la création de cet album, nous aurions pris des chemins différents. Lorsque nous nous retrouvons Trey et moi la chimie s’opère et nous créons toujours des sons bien plus lourds ensemble. Nos collaborations sonnent toujours plus comme du death metal traditionnel mais ce n’est pas par choix de retourner vers ce genre de compositions. C’est ce qui ressort de nous quand nous jouons ensemble tout simplement.
Oui, en effet, j’ai eu la chance de pouvoir écouter votre prochain album et on retrouve bien l’énergie du death metal traditionnel pour lequel Morbid Angel est connu. Mais ce n’est donc pas un choix de retour aux origines.
Steve Tucker : Non, absolument pas. Lorsque nous nous retrouvons avec Trey, tout est toujours très intense. Que ce soient nos discussions ou notre musique. C’est ce qui ressort de nos tripes lorsque nous sommes ensemble.
Si l’on s’intéresse à votre album d’un peu plus près, pour moi il y a comme une idée de colère divine qui s’abat sur Terre. On peut le voir sur la pochette de votre nouvel album, ainsi que dans les paroles et certains titres de chansons. Est-ce que c’est le genre de message que vous voulez faire passer avec cet album ?
Steve Tucker : Cette idée de forces divines venant purifier la planète a toujours été l’un de nos fils conducteurs. Mais ce qui est intéressant ces dernières années c’est de voir que toutes les prophéties qui ont été faites par différents mouvements religieux, ou différentes croyances sont en train de s’accomplir actuellement. Pour moi, c’est vingt dernières années et sûrement les vingt prochaines années nous montrent que certaines croyances et prophéties de cultures totalement différentes sont en train de se réaliser toutes en même temps. Pour moi, c’est plutôt distrayant, car même s’ils nous arrive des choses horribles en ce moment, je pense que l’être humain est bien plus horrible que la nature.
Vous trouvez vraiment tout ce qui se passe dans le monde actuellement distrayant ?
Steve Tucker : Eh bien oui. Notre planète se révolte sous différents aspects. C’est une chose dont nous parlons régulièrement depuis des années avec Trey. Et je pense que la peur n’est pas la bonne émotion à ressentir face à toutes ces catastrophes. Nous devrions plutôt reconnaître les faits et apprendre des différents événements qui se produisent autour de nous. La Terre se révolte et il y a plein de raisons scientifiques à cela. Et si on ne se voile pas la face, on comprend bien que nous, humains, sommes la cause de tous nos maux. C’est à cause de ce que nous faisons subir à notre planète qu’elle se révolte par des catastrophes climatiques. Nous devrions apprendre à respecter notre planète car nous n’avons pas d’autre endroit où vivre. Et j’irai même plus loin dans mes propos. Est-ce que les catastrophes climatiques sont réellement des catastrophes. Si l’on prend l’exemple d’une inondation. Ok, c’est terrible, il peut y avoir des morts, les gens perdent tout mais du point de vue de la planète, ce n’est pas si terrible. Au contraire ! Après une inondation le sol devient plus fertile. Et si le sol est plus fertile, cela nous garantit à nous humains de meilleurs récoltes pour les années à venir. Et je crois que l’être humain voit les choses à son propre niveau qui reste plutôt égoïste et étriqué. Si l'on y réfléchit bien. Combien de temps sommes-nous sur Terre? Quatre-vingt-dix ans maximum, et ensuite nous disparaissons pour laisser place à d’autres générations. C’est comme un éternel recommencement, mais du point de vue de notre planète, nous ne sommes rien. Nous recommençons les choses, les mêmes erreurs, catastrophes après catastrophes et notre planète nous subit depuis si longtemps !
C’est un point de vue intéressant. J’imagine que vous avez apprécié toutes les discussions qui ont pu mener à la création de cet album. D’ailleurs, quelle est votre partie préférée dans la création d’un album ? Le composer, l’enregistrer ou jouer vos morceaux sur scène ?
Steve Tucker : Eh bien… Je dois dire que j’aime chaque instant. Mais pour être honnête, je ressens un énorme soulagement lorsque l’album est enfin terminé et que nous avons enfin accompli les choses pour lesquelles nous avons travaillé. Je me sens toujours exténué par ce processus de création et je suis toujours impatient d’arriver au niveau suivant. Celui de la sortie de l’album et le retour des gens qui l’écouteront. J’aime bien déjà avoir l’avis des gens qui peuvent l’écouter avant tout le monde, comme la production ou les journalistes. Cela me donne un petit avant-goût de ce que pourront penser nos fans. Et j’adore voir l’attente des fans qui sont impatients de pouvoir enfin écouter notre album. Et enfin de pouvoir monter sur scène et de pouvoir jouer nos morceaux devant le public.
En parlant de monter sur scène. Vous avez dû annuler beaucoup de dates de festivals ainsi que votre tournée européenne à cause de problèmes de passeports et de visa. Que s’est-il passé ? Est-ce que le problème est résolu ?
Steve Tucker : Le problème est enfin réglé. Nous avons nos passeports en main et il n’y aura plus aucun problème. C’est la première fois de ma carrière que j’ai dû annuler des dates de concerts et cela fait vraiment mal. Heureusement, le problème est réglé et nous partirons en tournée à travers l’Europe en 2018. Ce n’est plus si loin !
Y-a-t-il des endroits en particulier dans lesquels vous êtes pressés de jouer ?
Steve Tucker : J’adore les tournées en Europe. Ce n’est pas comme aux Etats-Unis. On traverse des pays avec des cultures différentes. La nourriture est différente. Bon il y a toujours des choses que l’on n’aime pas forcément manger, mais je suis toujours impatient d’arriver dans certains pays pour goûter de nouvelles choses. Et puis, j’adore jouer dans les plus petites villes. Il reste peu d’endroits de la sorte dans le monde et je pense qu’il faut chérir les petits endroits. Ce sont souvent des endroits plein d’histoire. Je pense que pouvoir faire des tournées en Europe et visiter tant d’endroit différents fait partie des bonus du métier de musicien. J’adore venir en France, en Allemagne, dans les pays de l’Est. Et je crois que mon endroit préféré reste Paris car quand j’étais petit, cette ville me semblait être à l’autre bout du monde, et ayant été élevé par une mère célibataire dans un milieu plus que modeste je n’aurais jamais pensé pouvoir y aller un jour. Et je crois que rien que le fait de voir tout ces gens de cultures différentes faire les fous et s’éclater à nos concerts me procure une sensation que ne pourrais même pas expliquer. C’est un énorme accomplissement.
Si deviez choisir seulement un mot pour définir Morbid Angel. Ce serait lequel et pourquoi ?
Steve Tucker : MAGIQUE. Je pense que l’explication est contenue dans ce mot. Je pense que Morbid Angel est magique au même titre que la relation que nous pouvons avoir avec les dieux. Morbid Angel est bien plus que simplement faire de la musique. Il y a des choses, comme ma rencontre avec Trey qui tiennent du domaine de la magie. Je pense que ma rencontre avec lui, ainsi que toutes les discussions que nous avons pu avoir ont été 100% guidées par une force supérieure. Cela peut paraître complétement idiot de dire ça. Mais c’est un peu comme les gens qui croient en Dieu. Je ne pense pas qu’il y ait de vie idéale. Je pense que pour avancer il faut provoquer les choses, mais que des fois les rencontres qui nous font avancer sont guidées. Pas par Dieu, mais c’est comme si la nature nous poussait vers certaines personnes.
Je crois que je n’ai plus beaucoup de temps. J’ai essayé tant que possible de me focaliser sur l’aspect musical, mais je crois que nous avons beaucoup dévié.
Steve Tucker : Tant mieux. Les questions musicales m’ennuient. Je préfère parler de choses parfois plus personnelles, des choses qui me tiennent à cœur. Et je pense qu’on a encore quelques minutes.
Pour la partie plus personnelle, j’aime bien savoir ce que les artistes lisent. Je trouve qu’on découvre une personne par ce qu’elle aime lire ou même par son rapport à la lecture.
Steve Tucker : Je suis d’accord. La lecture a toujours été une partie très importante de mon quotidien. J’ai toujours adoré lire, dès mon plus jeune âge. Je pense que mes nombreuses lectures ont façonné qui je suis aujourd’hui. J’aime lire plein de choses très différentes et je pense que la lecture nous permet d’arriver à des conclusions personnelles intéressantes. Je pense que les gens devraient lire plus. C’est un loisir qui se perd. Je me rappelle étant enfant de ma mère qui me lisait des histoires. Souvent, je rentrais de l’école, ma mère m’aidait à faire mes devoirs puis j’allais lire. Je pense que cela m’a ouvert la porte de mondes que je n’aurais jamais pu explorer autrement.
Je pense que cela se ressent dans votre musique car il y a toujours plusieurs niveaux d’interprétation dans vos paroles ainsi que dans les artworks que vous choisissez pour vos albums. Pour Kingdoms Disdained, on voit une bête aux traits à la fois humain et divin détruire une ville. On peut s’arrêter à l’aspect destruction d’une ville par un monstre, mais ses traits nous poussent également à nous demander si nous ne sommes pas la cause de notre destruction ou si c’est Dieu sous une forme monstrueuse qui abat sa colère sur Terre. Je trouve ça toujours très intéressant de pouvoir interpréter les choses de plein de façons différentes.
Steve Tucker : C’est le meilleur compliment que l’on puisse nous faire ! En effet, il y a bien plusieurs interprétations. On peut se contenter de voir l’essor d’une bête destructrice. Mais nous pouvons aussi voir cette bête comme la personnification de la rébellion de notre planète. Je pense que la création d’un album est à chaque fois un peu la création d’un nouveau monde. Un peu comme une œuvre littéraire ou un jeu vidéo. En fait, j’aime beaucoup les jeux vidéo car chaque jeu a son propre univers dans lequel nous pouvons nous évader et évoluer. Ce que je recherche avec Morbid Angel c’est que chaque album soit un nouveau monde dans lequel l’auditeur puisse s’évader. La musique ouvre les portes de nouveaux mondes et j’espère que nos albums sont perçus ainsi.
Interview : Eloïse Morisse