Zone à risques?
Décidément, la scène death mélodique est à l'honneur ces temps-ci, avec les dernières très bonnes sorties de Dreaming Dead (dont nous vous parlions récemment) ainsi que de Be'lakor.
Ce Arrival of the Red Sun des Suédois de Zonaria (signés aujourd'hui chez Listenable Records après un passage chez Century Media) - que vous aurez la chance de découvrir ce 23 juillet dans les bacs - vient donc grossir fièrement les rangs, même si nous verrons qu'il ne se révèle peut-être pas aussi profond et authentique dans son approche que les deux albums précités. Pour autant, cet album, s'il ne sera probablement pas appelé à devenir dans l'Histoire un album référentiel du genre, fera immanquablement date dans la carrière du groupe.
Si l'on veut refermer la parenthèse concernant la comparaison entre ces trois formations émérites évoquées à l'instant qui ont fait dernièrement parler d'elles et la poudre (si l'on m'excuse ce vilain zeugma, à l'heure où même les bacheliers n'ont plus les oreilles qui fument et les neurones qui surchauffent! - y compris les malheureux candidats au rattrapage qui peuvent enfin prendre le temps de lire ces lignes...), disons que les Zonaria empruntent davantage la voie des Morts-Rêvants américains, via donc un death véloce et incisif teinté de 'black', avec toutefois des différences notables sur lesquelles nous reviendrons (car leur définition du black n'est assurément point la même, et même la pure véhémence 'death' n'y occupe pas la même place...).
Quant au parallèle avec le « bien "bel accord" de personnalités » dont nous a récemment fait profiter l'Australie, il se retrouverait plutôt dans la dimension mélancolique (voire "apocalyptique" ici si l'on se réfère à leur propos!) et dans la lourdeur qui imprègnent la musique de nos Scandinaves. Sauf qu'ici le parti pris est donné à des titres plus courts et expéditifs, et puis aussi, contrairement à ce que leurs prédispositions géographiques auraient pu laisser supposer, les Zonaria ne donnent, eux, jamais dans un 'revival' implicite de l'école Göteborg (Dark Tranquillity, In Flames et autres At The Gates jadis...), même si cette influence "suédoise" n'est pas complètement à effacer non plus.
A l'image de celle de Dissection, qui se rappelle à notre bon souvenir d'entrée de jeu dans le choix des harmonisations et la finesse des mélodies de leads... Avant de s'effacer peu à peu car, encore une fois même si le contexte géographique et le propos auraient pu s'y prêter, jamais le groupe ne vient jouer exactement sur le même territoire qu'un Dreaming Dead niveau déchaînement démoniaque. Cependant qu'une autre réminiscence se dessine plus explicitement, tout autant ancrée dans leurs racines : celle des vieux Hypocrisy...
C'est un peu l'éternelle étiquette qui leur colle d'ailleurs à la peau depuis leurs débuts avec le fondateur Infamy And The Breed en 2007, en passant par un The Cancer Empire (2008) pourtant fort différent - qui délivrait en outre un bon surcroît d'agressivité 'growleuse', 'blasteuse' et « blackisante » supplémentaire qui en l'occurrence ne fit pas l'unanimité. Reste qu'aujourd'hui, même si les Zonaria nous offrent assurément leur œuvre la plus aboutie (fruit de 4 ans de gestation, quand même...), on peut dire à la fois qu'ils bouclent la boucle et qu'ils arrivent encore à tendre le bâton pour se faire battre en allant mettre en boîte ce Arrival of the Red Sun en partie aux Studios Abyss du père Tägtgren...
Les fans du plus 'Roswellien' et du plus "cerné" des clones Suédois de Johnny Depp seront d'ailleurs aux anges dès l'entame de ce disque sur le titre éponyme - qui leur semblera tout de suite comme familier - , tout comme ils hallucineront sur un "Silent Holocaust" qui sonne immanquablement comme un mid-tempo classique d'Hypocrisy type "The Final Chapter", "A Coming Race" et autres "Fractured Millenium". Ils tiqueront aussi (en bien!) sur l'accrocheur et plus enlevé "Desert Storms" ... Des titres certes bien efficaces, même s'ils ne sont peut-être pas aussi marquants que des "The Black Omen" ou "Image of Myself" en leur temps, ou même "The Icon and the Faceless" sur The Cancer Empire.
Reste que Zonaria a cette fois bien compris que leur point fort était donc, au-delà de l'agression caractérisée, la qualité « atmosphérique » de leur musique, revenant en cela quelque peu à leurs racines : les amateurs du premier album devraient en être comblés ! D'autant que la production est aujourd'hui irréprochable... La maturité des musiciens, dont on avait senti l'évolution sur le précédent opus, se voit aujourd'hui très bien mise en valeur par un son ne manquant ni de chaleur ni d'ampleur. La fluidité quasi-Bodomienne (cf le dernier solo du premier titre) et très inspirée des guitares (quand d'autres sentent bon le coup de médiator assassin...) y contrebalance certes avec une exécution très 'mécanique' de la batterie. Mais c'est surtout les diverses nappes de claviers et éléments orchestraux qui font mouche, suffisamment discrets pour ne pas virer au « grand-guignolesque » et recelant surtout d'arrangements particulièrement subtils, transformant les écoutes multiples, jamais fastidieuses, en un véritable régal pour les oreilles (occultons juste ce vilain « pouet-pouet » qu'on aurait préféré ne pas entendre en arrière-plan du par ailleurs excellent titre "Silent Holocaust"?!...). Soulignons aussi une basse qui sait se faire remarquer quand il faut sans trop en faire pour autant.
Quant au chant de Simon Berglund, il reste assez générique mais convaincant et très bien utilisé, même si parfois un peu « bavard » dans ses interventions. On note une meilleure maîtrise aujourd'hui et un placement percussif plus efficace qu'à l'époque des voix trop criardes parfois des débuts et de la "virilité" exacerbée du deuxième album... De manière générale, tout semble aujourd'hui avoir été mesuré, pesé, décapé, millimétré ... trop, peut-être?
Notons que, comme sur le précédent album, certains éléments sympho-horrifiques (dont nous vous causions plus haut), 'gimmicks' et autres motifs mélodiques vous rappelleront très certainement le Dimmu Borgir post-Enthroned Darkness Triumphant (quand le premier opus évoquait plutôt la période antérieure), y compris certains vocaux dans leur utilisation (écoutez donc le refrain et les breaks d'un "Liberation Zero", morceau qui pour le reste dans son exécution barbare se parerait plutôt des atours d'un Arch Enemy...), même si on note moins de « traficotage » à ce niveau - si l'on se rappelle notamment cette moche 'distorsion' qui gâchait parfois l'écoute de The Cancer Empire... - , vous y ressentirez peut-être même dans une moindre mesure une touche d'Emperor à mi-carrière.
Pour autant, si cet opus tendrait délicieusement plus au final vers la dimension plus épurée et plus "dark" que "black" du premier, il ne faut pas y voir un total retour aux sources, puisqu'il n'est pas non plus exempt de certains travers que l'on pouvait déceler sur le second album. Celui-ci, s'il était plus haineux et virulent en un sens, laissait surtout trahir des appels du pied bien plus marqués dans le style à des groupes plus « grand public » dans l'extrême. Aujourd'hui, à l'heure où nos jeunes Suédois ont eu l'occasion de tourner avec Satyricon ou Pain et ont fait appel à Jonas Kjellgren de Scar Symmetry pour la "production" de cet album (lui qui avait seulement finalisé leur premier essai à l'époque), on en vient à soupçonner qu'ils auront tant baigné dedans qu'ils auront réussi à s'accaparer la maitrise du sens de la « formule ». D'aucuns argumenteront que les Zonaria ont juste gagné en cohérence... en rentrant dans des normes davantage en vigueur aujourd'hui?...
Bien sûr le résultat n'est jamais honteux ou du complet plagiat, mais comment ne pas sentir comme une once de calcul derrière le 'groove' sous-accordé d'un "Gunpoint Salvation", dont le "beat" évoque un Satyricon vulgairement aguicheur mêlé à du néo/melodeath façon In Flames d'aujourd'hui... Re-belote avec le rythme "dansant" et les pointes supposément « modernes » d'un "A Lullaby to Those Still Alive" ? Comment ne pas voir à la longue derrière les sonorités faussement "black" (et faussement "fin-du-monde") des artifices bien éculés et pas bien 'effrayants' aujourd'hui ? Comment ne pas se lasser sur la durée de la tournure délibérément 'catchy' des morceaux et leur construction « couplets/chorus ou refrains » avec les inévitables chants mi-clairs, mi-éraillés d'un Hypocrisy en papier-calque?...
On n'atteint certes pas encore, et même loin de là, les tentatives commerciales maladroites d'un Soilwork (pour rester dans le death mélodique, de la précédente génération cette fois...) ou plus récemment d'un Scar Symmetry puisqu'on en parlait, mais ces petits signes avant-coureurs nous donnent néanmoins envie de dégainer le carton jaune, car il serait dommage que nos "poulains" se fassent « vampiriser », y perdent de leur moelle et de leur âme jusqu'à finir par produire une musique impersonnelle déjà déclinée par "treize à la douzaine" ailleurs et surtout partout (pour détourner une célèbre pub de 'rencontres'), pour enfin atterrir chez Nuclear Blast dans 2 ans ! - bon, ok, j'exagère un peu... - Blague à part, souhaitons juste pour résumer que les Suédois se concentrent sur l'essentiel : leurs énormes qualités en tant que mélodistes et l'atmosphère incomparable qu'ils parviennent à dégager par leur musique. D'ailleurs, c'est ce qu'ils font à merveille sur un "Face My Justice" qui vient à point nommer contrecarrer mon infâme jet de fiel (même si les 'recettes' y sont toujours de mise...).
Qu'ils n'oublient pas, je dirais pour conclure, que même leur "mentor" Peter Tägtgren s'est parfois mordu la queue (c'est une image bien sûr...) à force d'accès de schizophrénie musicale, comprenant qu'il lui faudrait parfois privilégier Pain et ses ambitions affichées plus clairement « commerciales » (et vice-versa...), ne sachant plus par moments quelle direction artistique prendre avec Hypocrisy, faisant alors rimer 'évolution' avec 'hésitation'... Qu'ils n'attendent pas (après seulement une micro-poignée de sorties) de se retrouver dans une telle alternative, voire une impasse plus marquée encore. Heureusement, la dégringolade semble encore loin et la qualité est à l'ordre du jour...
En bref, indéniablement un bien bon disque de death mélodique, "calibré" certes, mais qu'on ne s'y détrompe pas : c'est bien du calibre 44 qu'ils nous délivrent!!
LeBoucherSlave
7/10