L'un des groupes les plus célèbres de la scène hardcore fête en ce moment ses 35 années d’existence. Comme quoi, les cris et les distorsions, ça conserve. Agnostic Front était donc de passage au Gibus pour fêter convenablement cet âge vénérable accompagné des punks de Bishops Green et surtout du public qui a assuré le spectacle aussi bien dans la fosse que sur la scène.
Bishops Green
Quoi de mieux que l’ambiance sombre et moite du Gibus pour le concert de hardcore du dimanche soir ? C’est dans les lumières rouges et bleues de la salle, qui semble avoir été agrandie, que Bishops Green fait son entrée sur la minuscule scène. Les Canadiens attaquent avec "Stay Away", issu de leur EP éponyme. Même si le groupe n’a été formé qu’en 2011, il joue un vieux punk old school vénère, aux arrangements bruts, mais qui n’en oublie pas d’être mélodique – il faut dire que tous les membres ont joué dans plusieurs formations depuis les années 90.
Il n’en faut pas plus au public, pas encore au complet, pour lancer les hostilités, puisque les pogos partent dès la première chanson. Au départ, ils ne rassemblent qu’une demi-douzaine de participants, ce qui ne les empêche pas d’occuper un tiers de la fosse.
Greg Huff, le leader au crâne rasé et tatoué, arpente le peu d’espace dont il dispose comme un lion en cage et toise le public d’un air enragé. L’énergie qui se dégage du groupe et de sa musique est indéniable, pourtant le chanteur, par ailleurs très peu bavard, est le seul membre remuant. Le guitariste Adam Payne et le bassiste Mikey Jak font du sur-place face à leurs micros respectifs pour balancer des chœurs bruts et écorchés – on ne les verra se rejoindre au centre de la scène qu’une seule fois. Quant au batteur Orville Lancaster, il est l’incarnation même du stoïcisme, parfaitement droit, l’air impénétrable, immobile à l’exception de ses mains et ses pieds qui assurent la cadence.
L’ambiance devient de plus en plus chaude dans la fosse, le pogo gagne des adeptes et il devient difficile d’y échapper dans les premiers rangs. Impossible en effet de ne pas être gagné par la frénésie qui se dégage de la musique. Le groupe de Vancouver a trouvé le bon équilibre entre l’énergie brute et les refrains accrocheurs. Le public, en partie conquis d'avance, ne s'y trompe d'ailleurs pas : plusieurs spectateurs s’échappent régulièrement du pogo pour venir scander un morceau de refrain face à la scène avant de replonger dans la mêlée.
Il est vrai que des titres comme "Gross & Nett", "Tomorrow", "Vengeance" ou l’imparable "Government Lies" donnent irrépressiblement envie de chanter à plein poumons. "Government Lies", comme d’autres morceaux, permet d’ailleurs aux guitaristes de se livrer à quelques mini-soli très efficaces, démontrant ainsi que le groupe n’oublie pas complètement le travail musical et la maîtrise technique dans son œuvre.
Le concert s’achève sur "Do Anything You Wanna Do", une joyeuse reprise des Anglais 70s Eddie and the Hot Rods. Cette fin arrive trop tôt à notre goût, tant le groupe a allumé l’envie de se défouler et d’aller crier sa rage partout. Les pogoteurs ont visiblement eux aussi encore de l’énergie à revendre, ce qui se révélera parfaitement indispensable pour la suite.
Setlist
• Stay Away
• Gross & Nett
• Blinded
• Night Terror
• Vacant State
• Senseless Crime
• The Crow
• Government Lies
• Tomorrow
• Alone
• Rat Race
• Vengeance
• Burn The Bastards
• Another Door
• Tumbling Down
• Do Anything You Wanna Do
Agnostic Front
Quelques minutes, un hot dog vegan pas mauvais et un début d’altercation entre deux spectateurs plus tard, les rois du hardcore arrivent sur scène. Dire que l’ambiance est surchauffée relève de l’euphémisme le plus total.
Les quatre instrumentistes d’Agnostic Front montent sur scène sous les acclamations du public. Le guitariste historique Vinnie Stigma semble surexcité et arpente la scène en haranguant la foule pour faire monter la pression. Effet garanti. A peine le chanteur a-t-il eu le temps de monter sur scène à leur suite que celle-ci est prise d’assaut par des spectateurs bien décidés à commencer les slams avant que Roger Miret n’ait commencé à chanter.
L’excitation est à son comble dès le début de part et d’autre. Roger Miret saute dans tous les sens, Pokey Mo martyrise ses futs, Stigma, Mike Gallo et Craig Silverman font de même avec leurs cordes. Vinnie Stigma multiplie les signes de connivence avec le public. Roger Miret est également plus bavard en gestes qu’en paroles. Les autres musiciens ne communiquent quasiment pas mais sont tout autant dans leur trip. Le groupe enchaîne ses titres sans ralentir. Il arrive de passer directement d’un titre à l’autre sans laisser ne serait-ce que le temps d’applaudir, le tout sur deux, voire trois ou quatre morceaux d’affilée.
Dans la fosse, c’est la guerre. Il n’y avait déjà plus d’espace pour respirer en début de set, mais les plus téméraires ont quand même trouvé de la place pour lancer un pogo qui ne faiblira jamais. Les slams s’enchaînent, et les spectateurs montent sur scène presque à la queue leu-leu. Quand trente secondes s’écoulent sans qu’il n'y ait de spectateur sur scène, c’est que l’accalmie a été d’une durée incroyablement longue. La violence dans la fosse n’empêche cependant pas le public de montrer qu’il connait les paroles d’Agnostic Front et de scander en chœur les morceaux.
Musicalement, les Américains n’ont jamais été là pour faire dans la dentelle, et cela se confirme sur scène. Les morceaux sont rugueux, clairement pas là pour convaincre les oreilles délicates. Roger Miret éructe aussi bien que sur disque, et les musiciens s’embarrassent peu de fioritures mélodiques. Normal, après tout, pour un groupe de hardcore
En fait, la musique du groupe a essentiellement une vocation cathartique, et permet au public un défoulement qu’on n'a peu l’occasion de pratiquer ailleurs. Mais au milieu de tout ce catalyseur de rage et d’énergie brute, Agnostic Front sait aussi proposer des refrains puissants, féroces et fédérateurs à leur façon, que ce soit "Old New York", "Never Walk Alone" ou "Gotta Go".
"Gotta Go" est d’ailleurs l’occasion de voir un véritable déferlement sur la scène, puisqu’une vingtaine de spectateurs l’envahissent avant de se jeter dans la foule. Cela sera la énième occasion pour un roadie de se jeter sur le micro pour le réinstaller correctement – oui, le slammeur manque parfois de délicatesse concernant le matériel alentours, certains projecteurs et photographes peuvent en témoigner. Alors quand Greg Huff, le leader des Bishops Green, vient apporter sa participation à la reprise d’Iron Cross, "Crucified", on le remarque à peine, tant la scène est devenue un lieu de transit bondé.
Tout comme sa première partie, Agnostic Front achève son show sur une reprise, en l’occurrence "Blitzkrieg Bop" des Ramones. La chanson est jouée pied au plancher, le public chante avec délice et à l’unisson, puis le groupe tire sa révérence. Le concert n’a duré qu’une heure, mais c’est amplement suffisant pour se défouler sans avoir l’impression que le concert tourne en rond. Le groupe aura dignement fêté ses 35 ans dans la capitale.
Setlist
• The Eliminator
• Dead to Me
• My Life My Way
• Police Violence
• Only in America
• Old New York
• For My Family
• Friend or Foe
• Victim in Pain
• Your Mistake
• Blind Justice
• Last Warning
• All Is Not Forgotten
• Peace
• Never Walk Alone
• Gotta Go
• Police State
• Crucified (Iron Cross cover) (With Greg from Bishops Green)
• Power (Vinnie on vocals)
• Addiction
• Blitzkrieg Bop (Ramones cover)
Photos : © Justinator 2017
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