Chaosweaver – Enter the Realm of the Doppelgänger

Je dois le confesser, Chaosweaver est un groupe qui, avant cette année, m'était complètement inconnu. Jamais entendu parler d'eux auparavant, donc peu de moyens de se renseigner sur leur hypothétique existence, en sachant que ce nom ne m'était jamais venu jusqu'aux oreilles. Ainsi, il me sera totalement impossible de pouvoir faire une quelconque comparaison entre la première œuvre de nos amis en provenance de Finlande, qui date de 2008, et la nouvelle, celle dont nous allons parler aujourd'hui, qui, elle, est sortie à la fin du mois de Juin 2012 sur le label autrichien Napalm Records.

Qui dit signature sur un label aussi connu, dit forcément un nom qui devient un peu plus gros. C'est donc de cette façon qu'une plus large part du public sera certainement touchée par la promotion ou par le bouche à oreille. Et voilà qui sera donc profitable aux finlandais : une exposition pour une nouvelle offrande, c'est une aubaine, ou à l'inverse une malédiction. Oui, parce que si c'est un raté complet, se faire cataloguer de groupe sans intérêt peut être assez fatal pour notre quatuor du Nord. Une réputation, c'est dur à démolir, alors s'en faire une mauvaise ce serait une publicité peu aguicheuse. D'un autre côté, si c'est vraiment bien, alors imaginez la horde de nouveaux fans qu'ils seraient en mesure de conquérir. Une opportunité qu'il serait fort dommage de ne pas saisir, vous ne croyez pas ? Alors le seul moyen de savoir si Chaosweaver est une formation qui vaut le détour, c'est encore d'écouter ce skeud du nom d'Enter the Realm of the Doppelgänger, avec cet artwork hautement artistique qui donne envie de se plonger dans ce monde mystérieux et inconnu … cela ne laisse pas rêveur ?

En terme de musicalité, il est assez difficile d'identifier dans quel genre le combo se situe. Pas vraiment death, pas vraiment black ni réellement symphonique, voilà un groupe qui aime mélanger les styles, brouiller les pistes et tenter de faire son possible pour ne pas être rangé dans une case particulière, un moyen idéal pour trouver à la fois identité et originalité. Si, de temps à autre, on peut dire que leur musique ressemble à tel ou tel autre groupe, force est de constater que ce qui nous est offert ici possède vraiment un petit quelque chose qui fait la différence, et peut se situer dans un créneau plus avant-gardiste, expérimental. Brouillant les pistes, le groupe finlandais semble chercher par-ci, par-là, dans le dernier effort de Septic Flesh avec les petites touches symphoniques et épiques, mais également vers du Cradle of Filth lorsqu'il prend le taureau par les cornes et envoie la sauce le plus possible. Un peu dans un blackened death metal lorgnant considérablement vers le metal symphonique et aux incursions progressives ici et là, et encore, voilà qui serait réducteur tant ce que propose Chaosweaver est riche, intense et nous emmène vraiment dans un univers où se côtoient finesse et violence, dans un enrobage irrésistible.

Car quand il s'agit de composer, les finlandais savent mettre les petits plats dans les grands, et offrir un lot de mets plus ou moins délicieux. On passe du copieux au plus léger, de ce qui pèse un peu sur l'estomac au digestif salutaire, d'une sauce lourde et épicée à une touche sucrée et délicate, bref, voilà de quoi ravir tout le monde, et ce dans la même galette. Ravir tout le monde, ou peut-être justement en faire trop, prendre un risque plutôt important. Car en décidant de mélanger de telle façon tant d'éléments divers et variés, en instaurant une musique à la fois riche et directe, en assumant de briser le rythme violemment par des breaks inattendus, il est sûr que notre quatuor ne se fera pas que des amis, et ne conciliera pas tous les estomacs. Chaque convive trouvera probablement un peu de ce qu'il souhaite manger, mais les saveurs sont si diverses que les moins avertis pourront être rebutés au départ. Ainsi, c'est avec des pincettes qu'il faut prendre la musique du combo, regorgeant définitivement d'une richesse et d'une profondeur qui donnent de la longévité au brûlot, question durée de vie. Et entre leur aspect progisant assumé, un clavier qui fait un boulot remarquable, divers instruments qui viennent s'immiscer à la fête pour renforcer les ambiances ressenties (« Maelstorm of Black Light », « A Requiem for a Lost Universe »), chaque écoute est un moyen de découvrir de nouvelles subtilités. Et dans ces conditions, refuser un voyage gustatif aussi savoureux serait une idiotie.

Chaosweaver

Pour l'élégance, on repassera.

Alors dit comme ça, c'est bien joli, ça semble mignon tout plein (façon de parler), et fort intéressant. Oui, ça l'est, c'est une évidence. Mais Jean-Bernard, au fond de la classe, demande donc : « oussékilé le problème » ? Très simple, et pourtant, inattendu … quoique. Le défaut majeur de ce brûlot, c'est qu'en dépit de son extrême diversité et de son aspect touche à tout à chaque moment, il résulte une petite impression … de linéarité. Hé oui, aussi paradoxal que cela puisse paraître, à force d'utiliser des artifices de diversification à presque tous les moments, il en résulte un moment où tout semble devenir un peu trop similaire, et tous les efforts des finlandais deviennent ainsi partiellement ruinés. Enfin, non, pas autant, le terme est très fort. Mais atténués, tout simplement. Et le quatuor, s'il se renouvelle quant aux très bonnes idées et évite de tourner en rond, utilise le schéma de la diversité quoiqu'il arrive de manière un peu excessive. Heureusement, quelques passages d'accalmie comme sur « Infected » ou un break electro sur la piste « Crystal Blue » viennent nous chatouiller l'oreille et redonner un peu de charme au propos. En clair, en plus de disposer d'une excellente production et d'une intelligence réelle quant à l'écriture, le groupe parvient à réduire son défaut à un petit aspect légèrement dérangeant, une simple ombre au tableau qui ne nuit en rien, ou presque, à la majesté d'une musique aussi grandiloquente que maîtrisée. C'est presque ça, sauf qu'un protagoniste viendra se mêler à la fête.

Le chant : voilà un point perfectible. Cypher Commander est loin d'être un mauvais chanteur. Et le fait de le voir mixé un peu en retrait n'est, pour une fois, pas un défaut, car cela contribue à donner une ambiance un peu éthérée de temps à autre, glaçante ou menaçante, faire remplir divers rôles. Mais il manque à ce frontman un certain charisme qui lui permettrait de transmettre toutes les émotions nécessaires pour nous faire pleinement adhérer à Chaosweaver. Si la musique, elle, réussit généralement à nous captiver, le chant n'aide pas toujours à cela. Voix un peu linéaire, manquant encore un poil de saveur et de ce petit quelque chose qui fait les grands noms du genre, et ce en dépit de voix à la Dani Filth tout à fait convaincantes de temps à autre. De même que son growl habituel est plutôt carré et propre. Mais encore une fois, un peu lisse, et c'est avec joie que cette délicieuse voix féminine fait son apparition sur « Ragnarök Sunset », car la chanteuse, elle, apporte un peu de changement, et, en plus de cela, force est de constater que la belle chante vraiment bien (dans une veine à la Helena Haaparanta de Crimfall tout à fait plaisante).

Chaosweaver est un groupe très déstabilisant. Tout simplement car leurs influences sont identifiables, mais qu'ils ont aussi leur propre personnalité. S'il faut se fier au clavier, il pourra nous évoquer Arcturus, ainsi que ces arrangements électroniques qui n'hésitent pas à être employés en cas de besoin. « Crystal Blue » n'est pas si éloignée des norvégiens, après tout. En parlant de norvégiens, Dimmu Borgir est aussi à aller chercher dans l'orchestration, ainsi que Septic Flesh, et Cradle of Filth pour la voix, comme mentionné plus haut. Étrange mélange de temps en temps, fort cohérent de l'autre, et toujours adapté au style. Pourtant, on ne pourra s'empêcher de penser que trop de réminiscences n'est pas toujours le sentiment que l'on aimerait avoir à l'écoute de Enter the Realm of the Doppelgänger. N'est-ce pas, de temps à autre, de trop ? Si la formation tend à trouver des sonorités bien à elle, cette étape n'est pas encore entièrement franchie, et sans doute la maturité devra frapper encore à leur porte, maturité pourtant déjà acquise en de nombreux domaines !

Un morceau comme « A Requiem for a Lost Universe » est surprenant, par sa mélancolie, son côté un peu original, et son aspect frôlant les rives du doom metal. C'est assez spécial, mais ça fonctionne, et l'auditeur se laisse prendre au jeu assez facilement. Surtout que ça change des titres les plus directs, comme « Wings of Chaos » ou « Crystal Blue », qui pourtant ne déméritent pas et parviennent à maintenir à la fois la cadence, mais également l'attention. Pistes assez directes, ce qui donne ce côté rentre dedans fort appréciable, et se débarrassant également des multiples conventions qui peuvent entraver la route des finlandais. A ce titre, « The Great Cosmic Serpent » devient un peu plus dispensable, car tentant de présenter les caractéristiques des morceaux évoqués ci-dessus, mais n'étant pas assez polyvalente et savoureuse. Il manque le génie, et surtout, un trop plein de conformisme qui font ainsi de la piste une pièce agréable, mais n'atteignant pas le niveau supérieur.

Mais s'il faut retenir un adage, c'est qu'ici, plus c'est long, plus c'est bon. « Infected » et « Ragnarök Sunset » sont des pièces maîtresses, variées et intenses, fourmillant d'une foule de petits détails, mais qui donnent encore plus de valeur aux pistes ! D'un violon frénétique sur « Infected » au chant féminin de « Ragnarök Sunset », de riffs saccadés à endiablés, un aspect progressif relativement bien marqué, tout est un amas de réussites. Les deux morceaux atteignent presque 9 minutes, mais il est évident qu'il faudra passer bien plus de temps que cela sur chacun d'eux, tant il y a à découvrir, et quelle découverte à chaque fois !

Enter the Realm of the Doppelgänger n'est pas un album parfait. Et pourtant, il possède des qualités non-négligeables pour s'imposer sur la scène actuelle. Et là où quelques défauts restent à corriger pour un meilleur rendu, certains aspects donnent vraiment envie de suivre la carrière des finlandais de Chaosweaver. Entre une diversité et une expérimentation plaisante, et un début d'identité se profilant à l'horizon, nul doute qu'avec encore plus de maturité, le rendu final sera plus qu'intéressant. Et il n'y a aucune raison pour qu'ils n'y arrivent pas. Après tout, Napalm Records croient en eux. Et on a bien envie d'y croire nous aussi.

Note finale : 7,5/10
 

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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