Antalgia – Perception of Reality

Rassurez-vous, chers lecteurs, vous ne serez pas embêtés par une introduction ronflante sur le metal progressif … non, j'ai bien pire : sur le metal progressif à chanteuse. Car c'est vrai, si vous regardez les ténors du genre, les grands noms (prenons au hasard Dream Theater, Pain of Salvation, Vanden Plas ou Threshold) sont tous avec une voix, elle, masculine. Pas de femmes, même pas dans le line-up, à la basse ou à la batterie, par exemple. Et si un contre-exemple peut, à la rigueur, venir d'Echoes of Eternity, cette formation américaine n'a pas encore la renommée des noms ci-dessus, et, en plus, son affiliation au genre progressif est assez contestée, et contestable (sans compter qu'en plus, c'est assez mauvais), ou de To-Mera, l'exception à la règle (dont le nouvel opus Exile est très attendu). Et pourtant, du prog à chanteuse, il y en a ! Car oui, même si vous n'avez pas les attributs, vous pouvez jouer dans une formation du genre, c'est fou non ? Citons Beyond the Bridge qui, lentement mais sûrement, se fait sa petite popularité ou encore les suédois d'Akribi qui avaient convaincus les puristes du style avec leur premier opus l'an passé. Et là, dedans, on trouve aussi des espagnols, qui répondent au nom d'Antalgia.

Et l'histoire commence magnifiquement bien pour notre combo. Car, en effet, à peine avec un album, ils vont partir à la conquête du monde aux côtés de Therion (et avec les français d'Elyose). Si ça, c'est pas une plate-forme de promotion imposante ? Enfin, si la musique ne suit pas, c'est sûr qu'ils ne vont pas convaincre grand monde … donc, plus qu'une solution pour eux, faire de leur premier brûlot, Perception of Reality, une réussite, condition indispensable pour devenir un groupe talentueux et reconnu comme tel. Nos jeunes espagnols deviendront-ils un pionnier dans les formations progressives à voix féminine reconnues ?

Comme vous pouvez vous en douter, Antalgia n'est pas le combo le plus original qu'il existe de la planète. La faute à un bon millier d'autres groupes du même genre étant venus avant eux, il est donc normal que les plans progressifs et techniques souvent utilisés dans leur musique puissent, eux, venir d'ailleurs. Le solo sur « Embrace of Death » ou les partitions de clavier sont typiques du style, et ce n'est pas donc pas une pierre particulièrement innovante que ce quintet viendra apporter à l'édifice. Pourtant, là où Mirrormaze semblait souffrir des mêmes difficultés, l'approche des espagnols est, elle, un peu plus intelligente que celle des italiens sus-cités. Le groupe n'hésite pas à faire des efforts pour trouver des points qui leur créeraient une réelle personnalité, un son caractéristique, tout en utilisant des ficelles maintes fois entendues. Et la solution est assez simple : à l'accordage progressif, ils y apposent moult éléments symphoniques, qui donnent un second souffle à la musique pratiquée, et on obtient, ainsi, un brassage des genres très intéressant. « Lines of Life » est un parfait exemple de ce mélange fort réussi, qui, s'il gagne encore à être un peu creusé (pourquoi ne pas être encore plus ambitieux avec des chœurs, par exemple ?), est déjà très bon, et fort agréable.

Ces qualités ressortent indéniablement par une maîtrise certaine de la technique et de la composition, tournant beaucoup autour d'un duo clavier / guitare, ces deux instruments étant rois et apportant une grande partie du travail. Les morceaux tournent beaucoup autour des soins sur ces protagonistes de choix, et le professionnalisme dont nos musiciens font preuve permet ainsi de ne pas commettre les erreurs du débutant. Les lignes de la dame à corde sont variées, et la technique n'en devient jamais démonstrative, ce qui illustre la virtuosité dont Igna Jover fait preuve, tout en évitant de faire tout tourner autour de cela. Car le clavier, lui, est ici pour contrebalancer les quelques excès dans lesquels la musique pourrait tourner. En se renvoyant la balle, en devenant complice, en offrant à son / sa partenaire la complémentarité nécessaire pour fignoler une partition mélodique, ce jeu audacieux devient rapidement un point remarquable chez notre formation, qui ne démérite pas, loin de là. Et pourtant, si le combo n'avait que cet atout dans sa manche … car oui, il en possède encore d'autres, heureusement.

Antalgia

Le Smoon Style peut se rhabiller devant le Bella Style.
 

Car question composition, cela doit venir d'une certaine expérience de la part des jeunes gens, mais ils évitent avec un grand talent et une réelle habilité l'écueil trop fermé du progressif pur et de tous ses travers, c'est à dire longueurs, parties complexes juste pour flatter son ego personnel et compositions trop alambiquées. Loin de tourner en rond, les différentes pistes de Perception of Reality apportent chacune leur petit quelque chose à l'ensemble, pour former, au final, une masse loin d'être uniforme. S'il manque, à proprement parler, d'un tube, on ne distingue pas réellement de faiblesse. Et, surtout, les apports symphoniques (surtout grâce au clavier) ne court-circuitent donc nullement les plans complexes, au contraire, ils permettent à la fois enrichissement et aération ! Quant aux structures, certes, elles bénéficient presque toutes de cet aspect instrumental assez important suivi du refrain (présent sur « Broken Wings » ou « Realm of Pain » par exemple), mais force est de constater qu'elles sont, malgré tout, à la fois cohérente et variées. De plus, le clavier (encore lui) est là pour donner une atmosphère à chaque titre.

Pourtant, il subsiste un point noir, une plaie, quelque chose de tout à fait irritant, et qui ne permet pas d'apprécier à sa juste valeur tous les efforts déployés par Antalgia. Et non, mauvaises langues, ce n'est pas le chant féminin. C'est la production, fléau impitoyable. Non, ce n'est pas une bouillie immonde et inécoutable, sinon, il aurait été impossible de remarquer tout le travail et les petits soins apportés ici et là. Mais le mixage, lui, est encore un peu trop amateur, et mention spéciale à la batterie, qui nous martèle un peu trop à la face parfois, se faisait plus irritante que jamais, surtout sur « The Invisible Mechanism », piste pourtant fort réussie dans son ensemble. Mais ce défaut sonore est à corriger pour accéder au stade supérieur. En même temps, le combo est encore jeune, et, sûrement ne disposent-ils pas encore des outils qui donnent cette qualité optimale. Et puis, ce n'est pas catastrophique, dans l'ensemble, mais ce mixage de la batterie est complètement à revoir pour l'opus suivant.

Et là chanteuse, elle … elle … non, rien à reprocher de ce côté. Oui, c'est vrai, elle est une qualité d'Antalgia. Bella Dianez, fort jolie demoiselle aux cheveux de feu qui en ferait jalouser Simone Simons et son Smoon Style, s'illustre à merveille dans la musique, elle aussi apportant son lot de complémentarité et de personnalité. Car, non seulement, l'utilisation de la gente féminine dans un genre aussi restrictif que le progressif est encore très rare, ce qui confère ainsi une petite touche unique (enfin façon de parler), mais en plus, c'est qu'elle dispose d'une belle voix, cette mademoiselle. La frontwoman est relativement à l'aise avec ses lignes de chant, sait se faire puissante quand il le faut sans être criarde, et module bien, aussi. Elle ne reste pas dans la même teinte monotone, au contraire. Quant il le faut, elle arrive à être plus douce comme sur « Memories » ou « Lines of Life », où on sent la jeune femme plutôt à l'aise, mais elle sait également montrer ses capacités et ses crocs sur des lignes plus agressives et / ou aiguës, à l'instar de « The Invisible Mechanism » ou « Seed in the Storm ». La performance sur « The Unseen Empire » est pleinement convaincante, qui plus est, et ce titre se hisse dans le haut du panier presque entièrement grâce à cette chanteuse toujours juste et à la technique très au point.

On regrettera cependant l'absence d'une pièce maîtresse, d'un hymne entêtant qui résumerait l'album à lui seul et permettrait à Antalgia de mettre tous ses atouts en avant. Mais faire la fine bouche devant un repas aussi bien fourni serait de l'impolitesse. Le trio « The Invisible Mechanism », « Realm of Pain » et, surtout, « The Unseen Empire » sent très bon, morceaux qui regroupent toutes les qualités : aérés, diversifiés, lignes de chant de qualité, c'est exactement ce que l'on aime entendre, il y en a pour tous les goûts, et même pour les oreilles du puriste, qui retrouvera des plans progressifs fort bien exécutés et non-dénués de créativité. Même « Memories », plus calme, commençant sous des airs de ballade, ou « Embrace of Death » et son ambiance sombre et refrain au chant, lui, moins rassurant, sont des titres plaisants, qui ne manquent pas de mordant.

Par contre, « Broken Wings » et « Seed in the Storm » sont plus oubliables, un peu plus plates, et ces deux morceaux, loin d'être mauvais, empêchent cependant l'album d'arriver à un stade supérieur. Et pourtant, il n'y a pas d'erreur flagrante, avec en plus, sur « Seed in the Storm », un très bon jeu clavier / guitare, mais rien à faire, le manque d'une atmosphère et le trop peu d'intérêt que l'on porte à ces morceaux qui ne décollent jamais vraiment rattrape les qualités.

Ainsi, si Perception of Reality ne permet pas à Antalgia de se classer parmi l'élite du genre en un opus, force est de constater que les espagnols ont fait un travail conséquent pour une œuvre de qualité. Les cinq compères sont capables d'aller très loin, et il ne reste qu'à améliorer une production parfois trop à la traîne, et à égaliser la qualité des diverses compositions. Et, surtout, là où certains se contentent d'imiter leurs aînés, eux ont la bonne idée de vouloir se forger une personnalité, de ne pas suivre ce qui a déjà été fait. Le signe des futurs grands, de ceux qui ont de l'ambition et veulent aller plus loin, faire évoluer leur genre. Encourageant, en clair. Un groupe à surveiller, car on risque d'en entendre parler.

Note finale : 7,5/10

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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