Diablo Swing Orchestra – Pacifisticuffs

Régulièrement, dans nos écrits, on constate souvent le même questionnement : est-ce que tel ou tel album renouvelle le genre auquel il est rattaché ? On peut apprécier une œuvre pour diverses raisons, ses mélodies qui dans un style réchauffé parviennent à nous charmer, une efficacité toujours tenace, ou une simple envie de réentendre les mêmes choses, tant qu'elles nous plaisent. Il n'y a aucun mal à faire du revival ou fournir le même album en boucle pourvu qu'il soit bien fait, cependant le constat s'agrandit : la musique a atteint un tour de boucle, et il est difficile aujourd'hui de proposer de l'originalité en restant dans des genres définis et codifiés. La solution d'inventer un genre propre est aussi un défi, tant le refus peut être massif, par un public aussi exigeant qu'il ne veut pas être brusqué. Pourtant, comme on avait glorifié la fusion comme poussée salvatrice qui avait donné un coup de jeune vivifiant à toutes nos perceptions à l'aube des années 90, l'avant-garde, aussi inaccessible soit-elle, a réussi à imposer ses marques.

Alors on a suivi le genre avec attention, des premières élucubrations maladroites mais foutrement efficaces de Mike Patton avec Mr Bungle à nos très chers 6h33, injustement méconnus mais qui ont su emporter avec eux tous ceux qui ont pour l'instant pu poser une oreille sur leurs travaux, et que l'on espère plus nombreux encore à l'avenir. Terme désignant ceux qui étaient en avance sur leur temps, comme ont pu l'être Bowie ou Klaus Nomi, son appelation musicale en a un sens plus simple : l'avant-garde est un fourre-tout excessif, une ode au n'importe quoi au service de musiciens talentueux plus que de raison et ne voulant pas s'enfermer dans un seul carcan. Tout peut se mélanger, et si l'on peut toujours frôler l'absurde par des mélanges des fois trop surprenants, les contre-exemples font foison, et il suffit d'écouter Zimmer's Hole ou les Norvégiens de Shining pour voir que le style est, si tant est qu'on prenne le temps d'en comprendre ses délires, terriblement addictif.

C'est sur donc des bases plus que prenantes que vient se poser Pacifisticuffs, le petit nouveau de Diablo Swing Orchestra. De cette formation tout autant atypique qu'excellente, l'album explorera bien moins d'horizons qu'à l'acoutumée, ce qui ne sera en rien un défaut. En effet, leur précédent opus, Pandora's Piñata, était l'aboutissement d'une véritable apogée artistique, esquissée par les deux premiers albums de la formation, The Butcher's Ballroom et Sing Along Songs For The Damned And Delirious. Avec un tel album, qui nous avait procuré bien des nuits blanches de plaisir, et nous faisait aisément pardonner ses deux ébauches, bonnes en l'état mais maladroites dans les faits, il est évident qu'une  identité était trouvée, et qu'il s'agissait désormais de la pousser plus loin encore.
 

Avant-Garde, Swing, Jazz, Metal, Diablo Swing Orchestra


Pacifisticuffs fera tout ça avec brio, et n'hésitera pas à balancer ses styles avec fureur et jusqu'au-boutisme sans jamais tomber dans le pastiche facile : opéra que Verdi n'aurait pas renié dans "Superhero Jagganath", musique de cabaret dont certains aspects de "The Age of Vulture Culture" nous feront rêver du sublime "Tango de Roxanne", et énormément de surprises, de breaks impromptus partant dans tous les sens qui ne peuvent nous empêcher d'être attentifs, minutieux dans l'écoute pour en capter toutes les subtilités. Surtout, la grande force résidant dans ces titres, c'est que malgré l'exercice qui fut déjà établi lors de Pandora's Piñata, et les nombreux aficionados du disque qui en connaissent les moindres recoins et peuvent donc anticiper la manière de composer du groupe, on ne peut s'empêcher d'être constamment surpris à chaque remous quel qu'il soit. Rien de plus jouissif que d'être baladé par des artistes qui en ont fait leur principal argument, et Diablo Swing Orchestra relève aisément son défi.

Délaissant quelque peu les mouvances metal, et n'en gardant que les rythmiques lourdes et saturées en guise d'accompagnement, Pacifisticuffs joue de ses nombreux instruments, les cuivres bien en avant et les violons en seconde place. Ce qui renforcera le caractère épique des compositions mais éloignera le groupe de l'aspect metal symphonique qui pouvait le caractériser par moments. En offrant à Kristin Evegård, arrivée il y a trois ans et dont c'est la première apparition studio, une place de choix, détenant désormais toutes les parties chantées et relayant les autres anciens intervenants au rang de simples choristes, le groupe sort définitivement de ce carcan. Avec un timbre plus espiègle et beaucoup moins typé, pour ne pas dire caricaturé, Kristin est une véritable maîtresse de cérémonie, qui nous mène de "Knuclehugs (Arm Yourself With Love)", où elle nous prévient elle-même qu'il va clairement falloir s'accrocher, à "Porch of Perception" avec fascination et envoûtement, dans ce grand cirque foutraque qu'est Diablo Swing Orchestra. On ne peut s'empêcher d'y voir le parallèle avec l'arrivée au sein Nightwish d'Annette Olzon, qui avait pu mettre en œuvre l' Imaginaerum que Tarja Turunen n'aurait jamais tenté. Utiliser une nouvelle membre pour dévoiler une nouvelle facette, bien plus riche idée que de juste en créer une copie de la remplacée.

Et évidemment, ça divisera. Diablo Swing Orchestra est une contradiction, qui embrasse ses styles autant qu'elle les renie pour partir ailleurs. Là où certains, dont nous faisons partie, y verront une constante évolution et un amour inconsidéré pour tout ce qui fait l'essence de la musique, d'autres n'y verront qu'une incertitude quant à la démarche à adopter et un bordel bien trop hétérogène. En soi, question de conception, les deux auront raison, mais une chose est indéniable : quand on écoute un tel album, preuve en est que la musique dans toute sa généralité en a encore sacrément dans le ventre, et que si on la maîtrise suffisamment, elle ne va pas se taire de sitôt. 

NOTE DE L'AUTEUR : 10 / 10



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