Il aura fallu un peu plus de six années à Turbonegro pour accoucher du successeur de Sexual Harassment. Le temps aura été long et ce même si pour patienter ils nous avaient quand même sorti deux singles avec « Hot For Nietzsche » et « Special Education ». Après de longues tournées mondiales, Thony toujours prêt à rigoler nous parle de l’album, de leur philosophie, du Hellfest et même de leurs voisins qui font du black metal.
Lionel / Born 666 : Premièrement, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est arrivé au groupe pendant les six années qui ont séparé votre album de 2012 Sexual Harrasment et ce nouvel album Rock N Roll Machine ?
Anthony Madsen-Sylvester (a.k.a. "The Duke of Nothing", also "Ceasar Proud"): On a fait plein de concerts. On a voyagé à travers le monde. On a ajouté un claviériste à notre formation qui s’appelle Haakon-Marius Pettersen. Puis, on s’est dit « écrivons quelques nouvelles chansons et enregistrons-les ». Rien d’hors du commun. Mais le problème avec Turbonegro c’est qu’il y a déjà tellement de morceaux que nous aimons jouer et d’autres que les gens aiment écouter que nous ne savions plus s’il était utile de continuer à écrire. Mais nous avons décidé que nous en avions envie, donc nous l’avons fait !
Lionel : Est-ce que vous aviez une idée directive précise de ce que vous vouliez faire de ce nouvel opus ?
Thony Sylvester : Je pense que ce qui s’est passé, c’est que nous avons écrit « Hot for Nietsche », et ensuite nous avons eu besoin de six ans pour faire cet album. Mais une fois que nous avons trouvé le récit que nous voulions conter tout s’est mis en place naturellement. Nous n’avions pas eu de claviériste depuis Pål (Bøttger Kjærnes , a.k.a. "Pål Pot Pamparius"). Il faisait partie du groupe avant que j’y sois. Je ne suis dans le groupe que depuis 2009. Cet album a quelque chose de punk rock même si je déteste ce mot, avec des riffs de guitares plus riches, plus folk. Des riffs qui nous amènent même un peu plus dans le passé au temps de Scandinavian Leather. C’est un album plus orchestral avec plus de clavier. Bref, une fois que nous avons décidé de la direction à suivre tout s’est mis en place. Et Rune (Grønn aux guitares, a.k.a. "Rune Rebellion", also "Rune Protude", "Loonie", "Thee Oi Boy!", "Brune" and "Brune Neger") a grandi avec ce genre de son, le genre de rock et de metal qu’on pouvait entendre à la radio. C’est un peu le genre de musique qui coule dans ses veines donc, c’est le genre de musique qui est tout naturellement sorti de nous.
Lionel : Oui pour moi l’album sonne très glam metal ou hair metal des années 80.
Thony Sylvester : Je n’irais pas jusqu’à dire hair metal (rire) parce qu’il n’y pas trop de sonorités électroniques, mais je peux dire que oui on peut y retrouver un peu de Van Halen, mais ce n’est pas nécessairement que du glam comme pourrait l’être Mötley Crüe. Mais au niveau de la production on s’est beaucoup amusé avec les synthétiseurs.
Lionel : Donc on peut dire que votre musique sur Rock’n’Roll Machine a un côté plus hard rock que punk rock.
Thony Sylvester : Je dirais plutôt deathpunk. Car il y a bien plus de chansons qui correspondent à ce genre sur notre disque. Mais l’une des meilleures choses en faisant partie de Turbonegro, c’est que nous pouvons jouons nos vieux riffs et les amener dans d’autres directions, les faire aller où l’on veut. Nous avons su créer notre propre genre. Nous sommes libres de jouer ce que l’on veut. Vous savez, au début du deathpunk, il y a toujours ce côté très théâtral, très exagéré. Mais on retrouve également ce côté dans le punk rock et dans le rock. On peut voir ça dans plein de groupe comme les Stones et Queen. Nous venons un peu tous du même endroit.
Lionel : Je ne sais pas si on peut dire que votre album est un concept album, mais en l’écoutant, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de conceptuel, comme si tout tournait autour de l’humour de Turbonegro.
Thony : Oui, l’idée de faire une sorte concept album avec un côté rock progressif et excessivement intellectuel nous fait beaucoup rire. Donc c’est assez drôle que vous perceviez cet album comme un concept album. Mais je pense que le thème général est le rock en général. Je pense que le thème général de cet album est une ode au rock’n’roll. Nous avons ajouté des synthétiseurs et même sur « Hot for Nietzsche » qui dit que c’est l’air du disco et que le rock n’ roll est mort, cela nous rappelle 1977, un temps où les groupes de rock ont commencé à ajouter des sonorités disco dans leurs albums. Et les gens disaient « C’est la fin de la vraie musique ! C’est la fin des vrais musiciens ! » C’était un temps où on utilisait beaucoup de synthétiseurs et où on enregistrait des albums sans tous les membres du groupe. Mais après ça, Kiss a enregistré une chanson disco, même chose pour Van Halen…
Lionel : Oui, Poison, Cinderella…
Thony : Oui. Mais notre idée générale était de recréer cet univers mais avec de vrais musiciens. Et ce qui est arrivé à Turbonegro, c’est qu’en fait, nous avons dû faire venir jouer plus de gens avec nous pour arriver à ce résultat. C’est assez ironique.
Lionel : Oui et pour moi certaine partie de clavier m’ont fait penser à « Jump » de Van Halen et de « Won't Get Fooled Again » de The Who aussi. Vous aimez ces groupes ?
Thony : Oui bien sûr.
Lionel : Ça devait être plutôt drôle de travailler sur cet album ?
Thony : Oui vraiment ! Les choses étaient simples, directes. On est allé droit au but. Le groupe a d’abord enregistré toutes les pistes, puis je suis arrivé en studio et on a enregistré une chanson par jour sur deux semaines.
Lionel : Seulement deux semaines ?
Thony : Pour moi oui, mais le reste du groupe a travaillé sur l’album en amont. Je suis venu enregistrer pendant deux semaines sur ce qu’ils avaient déjà produit. Mais ça a été bien plus simple et direct que ce que nous avions imaginé. Mais nous avons eu six ans pour réfléchir à cet album (rire). Il y a eu beaucoup d’idée et de riffs. C’était juste une question de sélection et de savoir exactement ce que nous voulions mettre dans cet album.
Lionel : Avez-vous travaillé sur les paroles ?
Thony : En général ce sont Knut (Schreiner, a.k.a. "Euroboy" - lead guitar) et Tom (Seltzer, a.k.a. "Happy-Tom", also "Tom of Norway", "Bongo" and "Bongo Neger") qui commencent quelque chose au niveau des riffs et des paroles et je continue avec eux. C’est vraiment nous trois qui nous occupons de l’écriture. Mais pour Rock N Roll Machine nous avions déjà tout un concept en tête prêt à être exploité et nous l’avons soumis au reste du groupe. Mais les autres ont aussi travaillé sur les morceaux. On en a beaucoup discuté. On a vraiment tous travaillé ensemble sur cet album.
Et pourquoi avoir utilisé la typographie de Scorpions pour Turbonegro ?
Thony : Oui c’est plutôt drôle, mais pour moi c’est plus la typo des années 70. Celles qu’on pouvait aussi voir dans les films de cette époque et pas nécessairement celle de Scorpions. Mais je trouve que ça colle plutôt bien car nous avions cette idée de représenter quelque chose venant du passé mais essayant d’être moderne et futuriste. Pour nous, c’était la police d’écriture parfaite pour ce disque.
Lionel : Une autre question par rapport au titre d’une de vos chansons. « Skinhead Rock’n’Roll », j’y vois pas mal d’humour de votre part ?
Tony Sylver : On a écouté beaucoup de groupes britanniques de glam des années 70, de « Oi! » et des groupes de skinheads. Et l’idée de cette chanson est d’imaginer qu’Andrew Lloyd Webber (The Phantom of the Opera) ait envie d’écrire une comédie musicale sur les skinheads. C’est comme ça que sonne cette chanson ! On n’essaye pas du tout de la faire sonner comme une chanson de « Oi! » ou une chanson de skinhead. C’est une chanson sur le sujet mais vu à travers les yeux d’un compositeur de comédie musicale. Ça nous semblait être un bon concept ! Mais je ne sais pas ce que des vrais skinheads pourraient penser de cette chanson.
Lionel : Sur cet album, nous pouvons aussi voir votre amour pour AC/DC.
Thony : C’est difficile d’éviter ça. Ils font partie du thème. Si vous jouez de la musique basée sur les riffs, l’influence d’AC/DC ressort forcément. On ne peut rien y faire. Et pour moi Powerage est probablement le meilleur album de rock qui ait été enregistré.
Lionel : Oui je suis d’accord. J’adore aussi cet album.
Thony : Oui c’est vraiment un chef d’œuvre.
Lionel : Parlons de vos concerts. On peut dire qu’il y a une sorte d’histoire d’amour entre vous et le Hellfest. Comment vivez-vous cette histoire ?
Thony : Vous savez, c’est le premier gros festival pour lequel j’ai joué avec le groupe. Nous avons joué sur la Mainstage (2012), un samedi il me semble. Juste avant Lynyrd Skynyrd… Et quelle foule !!!
Lionel : Oui et il pleuvait aussi.
Thony : Oui mais ça ne m’a pas marqué car nous étions à l’abri…(rire) et l’année d’après, nous avons joué sur une des plus petites scènes (Warzone en 2015). Et je pense que le Hellfest est un endroit merveilleux pour les groupes car nous avons le choix de jouer sur la Mainstage mais aussi sur les scènes plus petites. Nous sommes un groupe intéressant donc le public vient voir le show peu importe la taille de la scène. Et je pense qu’il n’y pas beaucoup de groupes qui ont cette chance. Et aussi, ce festival est très bien organisé. On s’y amuse beaucoup. Les groupes adorent y jouer.
Lionel : Et vous serez de retour en juin prochain pour y jouer.
Thony : Oui bien évidemment ! Mais je ne sais pas exactement quel jour nous jouerons et sur quelle scène.
Lionel : J’ai entendu dire que Tom (Thomas Seltzer) avait fait un documentaire sur Mayhem, mais je ne l’ai pas encore regardé.
Thony : Regardez-le, il vaut le coup ! Il existe en version anglaise.
Lionel : Et vous, connaissez-vous personnellement quelques personnes du milieu du black metal ?
Thony : Moi non, mais Tom vient de la région de Follo qui est proche d’Oslo. C’est aussi de là que vient Mayhem, Darkthrone et Satyricon. Ces mecs sont ces potes d’adolescence. Et c’est plutôt marrant car Turbonegro est un peu l’antagonisme du black metal.
Lionel : Et vous aimez écouter ce genre de musique de temps en temps ?
Thony : Oh oui ! Absolument, j’ai grandi avec ce genre de musique. Mais j’ai un peu perdu de vue ce qui se fait maintenant. Mais j’aime beaucoup Watain. Ce qu’ils ont fait du genre est incroyable. Mais ce n’est plus vraiment mon truc.
Lionel : Concernant votre performance vocale, on vous entend bien plus sur cet album que sur Sexual Harrasment. Avez-vous changé quelque chose dans votre façon de travailler ?
Thony : Il me semble que lorsqu’on a enregistré Sexual Harrasment, j’avais seulement fait trois dates avec le groupe. Et cet album s’est plus fait autour de ma voix qui était très heavy. Alors que maintenant, cela fait cinq ans que nous jouons ensemble et ma voix a évolué. Nous faisons des shows d’environ deux heures et demie et ma voix est devenue un peu moins folle car il faut aussi tenir la distance. Et ce que nous jouons maintenant est aussi bien plus propre. J’ai aussi essayé de chanter comme je le faisais avant sur les cœurs mais je n’y arrive plus. Je ne sais plus faire ça.
Lionel : Vous serez bientôt à nouveau en tournée. Savez-vous quelles chansons de Rock’n’Roll Machine vous allez jouer ?
Thony : Eh bien je vous retourne la question. Quelle chanson aimeriez-vous entendre ?
Lionel : Pour moi… Pratiquement toutes les chansons de l’album ! « Rock’n’Roll Machine » bien entendu, « Hurry up and Die », « Fist City » et « Skinhead Rock’n’Roll ».
Thony : Ok, je peux vous dire que l’on jouera toutes celles-ci.
Lionel : … sans oublier « Hot For Nietzsche ».
Thony : Mais vous savez, ce sera un peu différent. Nos premiers concerts seront vraiment dédiés à cet album. Nous avons donc travaillé sur toutes les chansons du disque. Elles seront toutes jouées en live, mais où et quand, qui sait ? Souvent, nous n’avons que quarante-cinq minutes pour jouer, donc nous devrons faire des choix. On verra bien ce que les gens demandent et ce qui marche bien en live.
Lionel : Et vous jouerez « Hot For Nietzsche » ?
Thony : Oui nous avons un arrangement prêt pour cette chanson.
Lionel : Avez-vous quelque chose à dire à vos fans en France ?
Thony : Vous savez, c’est marrant, La France est un endroit très important pour nous. Probablement le second pays qui compte pour nous après la Norvège. Nous y avons joué dans tant de supers festivals, et la réaction du public est toujours géniale. Et c’est aussi proche de chez moi, venant d’Angleterre. La France est vraiment devenue un de nos endroits préférés.
Et comme souvent un TRES GRAND MERCI à ELOÏSE MORISSE de La Grosse Radio pour son aide si précieuse sur la traduction de l’interview, sa connaissance géographique de la Norvège, sa vision rock 'n roll de l'anglais et son ouïe légendaire...
Photos : © 2018 Lionel / Born 666
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