Déjà, pour nommer son album Ouroboros, faut avoir une sacré idée derrière la tête. Pour plus de détails, l’Ouroboros décrit en grec un cycle, qui peut être celui de moult choses diverses et variées. La nature, la vie, ou, dans le cas du combo finlandais Status Minor, celui des relations humaines, amoureuses pour être plus précis. Un aspect parfaitement retranscrit derrière la pochette de ce second brûlot des progueux du Nord, et, quand on disait qu'ils ont des idées, il faut savoir que tout cela va se baser sur un concept. En gros, l'homme et la femme se rencontrent, s'aiment, filent le parfait amour, puis ça va mal, et ils se quittent. Et tout ça encore, et encore, et encore … bref, tout ce que l'on peut espérer, c'est que la musique de la formation ne sera ainsi pas répétitive, formant un fâcheux cycle lui aussi, celui de l'ennui. Même si les craintes sont, certes, légitimes, on ne peut nier au groupe de savoir créer une certaine forme de curiosité. Qu'en est-il, au final ?
Premier point à la fois bon et fâcheux : la production, qui est à la fois bonne, mais manque d'un sérieux affinage sur quelques points très précis. Le premier, bien sûr, c'est sa batterie, qui sonne très compressée, trop distante et dont le mixage donne parfois envie de se taper la tête contre les meubles. Bon, certes, c'est tout à fait exagéré vu comme ça, mais quand on remarque que tout semble très soigné et précis sur la qualité sonore, notamment sur le clavier qui accompagne les protagonistes vocaux tout au long de la traversée, entendre une batterie si lointaine et avec une ampleur aussi peu importante donne une résultante frustrante et laisse entrevoir une pointe d'amertume et de déception. Toute relative, soit dit en passant. Car tout le reste est vraiment fait avec précision, doigté, attention, ce qui amplifie davantage cette incompréhension sur ce laisser-aller fort regrettable. Mais le chant possède un espace d'expression qui lui est tout particulier, coulant délicatement, sur un fleuve d'amour, entre une guitare généreuse et abondante, et surtout un clavier qui renforce la dimension romantique de l’œuvre (surtout sur « Like a Dream » ou « Confidence and Trust »). Cet instrument a définitivement un rôle primordial dans Ouroboros.
Qui dit concept, dit ambiances, et qui dit atmosphères dit moyens requis pour permettre de planter le décor. Quoi de plus beau que des sons de piano pour parler de romance entre un homme et une femme, pour lesquels brûle la flamme de la passion l'un pour l'autre ? Il prend ainsi tout son sens sur « Confidence and Trust », ballade assez innocente et naïve, même si le chant féminin qui s'appose au titre manque, lui, de cette fibre sentimentale si propice à faire entrer dans l'univers étrangement bien mis en place par Status Minor. Car on ne peut reprocher au groupe de ne pas faire attention à ce détail très précis : construite une musique qui, sans vraiment émouvoir, nous laisse tout le loisir d'imaginer l'histoire bâtie autour de ce dialogue homme / femme, et de suivre les tourtereaux (qui sont, ainsi, les deux voix) dans leurs folles aventures. Même si, musicalement parlant, le propos n'y est pas spécialement original, force est de constater avec un certain plaisir qu'une petite trace d'identité est laissée derrière le passage de notre quintet finlandais. Ainsi, le plaisir de l'écoute est plutôt intact sur toute la durée de la galette, tant grâce au regain d'intérêt donné par la mise en place de ce concept, mais aussi par l'excellente exécution globale. Les riffs sont bons, la guitare plutôt au premier plan, et quelques refrains mémorables font leur apparition par-ci, par-là (« The Wind » ou « Stain »).
Ouais, ben en voyant ça, on comprend pouquoi elle est partie la donzelle ...
Mais tout comme l'amour est un long parcours semé d’embûches et de péripéties, des difficultés peuvent arriver sans crier gare, plombant la relation. Et en terme de musique, ce sont quelques défauts légèrement rebutants qui tombent sur Status Minor au dépourvu du combo, histoire de pimenter notre traversée ou, plutôt, d'essayer de nous écarter de cette route. Premièrement, si l'on se base sur le plan musical, une odeur de déjà entendu plane dans l'air, et l'éternelle influence Dream Theater vient encore, une fois de plus (ça en devient courant dans le genre) pointer le bout de son petit nez crochu. Surtout dans ce clavier si cajoleur et enveloppant, en fait. Et puis aussi dans les riffs, en réalité, sur « Smile » par exemple, où plusieurs artifices habituels du groupe américain se retrouvent une fois de plus. Cependant, nous ne toucherons pas à la mention plagiat, elle n'est réservée qu'aux méchants copieurs, ce que ces jeunes finlandais ne sont pas. La guitare tombe aussi, de temps en temps, dans les principaux travers du metal prog, c'est à dire démonstration technique inutile, histoire de rallonger un peu la durée (ou, pour certains, la souffrance). Sur les deux premiers titres, ces défauts refont surface, mais rien de bien grave, heureusement. Le groupe sait se modérer quand il le faut, et le prouve sur la très bonne « Smile ». On remarquera d'ailleurs à la durée d'une majorité des pistes ne sont pas trop longues, évitant ainsi la surenchère démonstrative redondante qui aurait pu être un fardeau lourd à porter. Enfin, le dernier petit problème viendra du chant féminin d'Anna Murphy (Eluveitie), incarnant le rôle de la femme. Son manque d'expressivité, son ton forcé et son timbre ne correspondent pas à l'effet recherché, la demoiselle plombant un peu l'ambiance, ne communiquant pas suffisamment les émotions recherchées par Status Minor. Dommage, car du côté chant masculin, c'est plutôt réussi.
En effet, Markku Kuikka sait transmettre des sentiments et remplit sa fonction à merveille. Son timbre est tout à fait sympathique, un peu passe-partout mais sa technique est brillante de maîtrise, les montées ne sonnant ni forcées, ni désagréables, évitant le syndrome du LaBrie (c'est à dire très bon groupe pour voix décevante). Faire des faussetés ou des imperfections aurait été préjudiciable pour le combo, tant une grande part de la réussite (ou non) de Status Minor se devait de reposer sur le chant, élément clé cette fois-ci, dû au concept qui l'exigeait. Même si le titre fleuve qu'est « Sail Away » et sa durée s'élevant à dix minutes donne une part très minime aux deux vocalistes, il s'agit véritablement d'une exception, tant dans la longueur du morceau en question que dans la répartition si infime des chanteurs. Mais on comprend dans les paroles que le concept reste respecté à la lettre, et qu'il s'agit ainsi de la séparation finale des amoureux (« the last goodbye », comme il l'est dit par Markku).
Si le cliché habituel du metal progressif veut que l'on parle d'une musique longue et ennuyeuse, articulée autour de solos inutiles et de longues pistes (stéréotypes seulement, tout le style est très loin d'être ainsi !). Mais si vous souhaitez enlever ces préjugés de la tête de Kévin et Jennifer, rien de plus simple qu'un « The Wind » qui regroupe les caractéristiques principales du genre, sur une durée, elle, très courte. Ce morceau pourrait à la fois officier de single, mais aussi de représentant même d'Ouroboros. Sa qualité première, c'est son efficacité et ce refrain qui s'ancrera dans votre esprit de longues heures durant. Le tout, bien sûr, sans oublier une technique réelle tant à la guitare qu'aux claviers ou à la basse, et un talent certain pour faire un hymne en regroupant des éléments très classiques du genre. En cela, on comprend aisément que Status Minor est un groupe à l'écriture très mélodique et intelligente. On dira sans hésiter que « Stain » et « Hollow » fonctionnent globalement sur le même système, sans paraître ni linéaire, ni auto-pompées, les idées étant assez variées pour ne pas sombrer dans ces particularités là. « Sail Away » est le titre long du lot, pourtant très bon. Sans être réellement modulé, il ne lasse pas, de part l'utilisation du chant, très ponctuelle mais adroite, et la performance instrumentale de qualité. « Smile » est, elle aussi, excellente, très puissante et véloce. Elle réveille là où les ballades « Confidence and Trust » et « Flowers Die », ainsi que la mid-tempo « Like a Dream » peinent parfois à capter l'attention.
Ouroboros est une galette inspirée, qui comporte ses petits défauts mais reste d'un relativement bon niveau. Fidèle à son concept qu'il développe du début à la fin, Status Minor n'est plus à grand chose d'atteindre un stade encore supérieur. Ils commencent déjà à trouver leur propre identité et ce n'est pas si évident ! On ne peut ainsi que saluer les efforts accomplis par ces finlandais pour tenter de se démarquer dans un milieu comme celui du metal progressif. L'Ouroboros ne sera donc ici qu'en paroles, et non en musique, à notre grand bonheur, la formation ne tombant pas dans les clichés du répétitif et des longueurs ennuyeuses. L'écoute se révèle même foncièrement distrayante, de quoi vous faire passer un bon moment. Pas inoubliable, mais méritant cependant une oreille attentive. Et qui sait … peut-être même plus.
Note finale : 7,5/10