Héros... hic ?
La carrière d'Ensiferum commence à soutenir un CV de premier choix, faisant du combo l'un des fers de lance du folk death moderne. Après des débuts très directs et metal sans concession par des albums (Ensiferum et Iron) fort guerriers, la formation finlandaise a pris ses libertés et décidé de parer sa musique d'influences plus grandiloquentes, plus symphoniques, suite au départ de Jari Maenpää parti créé son ambitieux projet Wintersun (dont le Time I arrive enfin bientôt). Victory Songs, troisième offrande de génie, marqua ainsi les esprits et propulsa Ensiferum vers les sommets du genre pour l'un des meilleurs opus metal des années 2000. Puis vint From Afar deux ans après, dans une certaine lignée certes mais encore plus riche d'influences orchestrales, déboussoulant certains et confirmant d'autres dans le fait que la troupe d'Helsinki avait un talent unique. C'est donc trois années plus tard que le quintet nous revient avec un Unsung Heroes attendu au tournant, paru ce lundi 27 août chez Spinefarm Records. Toujours plus loin dans la surenchère des arrangements ? Ou vers un retour aux sources ? Et si, au final, ce n'était ni l'un ni l'autre ?
Autant l'avouer de suite, ceux qui cherchaient un revival des deux premiers disques seront déçus, mais en un sens ceux qui espéraient un Victory Songs ou un From Afar Part II également. Ensiferum décide de continuer son évolution, nous menant vers un univers plus folklorique, plus nuancé, plus sombre et mesuré par moments. Les seuls moments de véritables bravoures à l'ancienne s'avèrent au final être l'hymne d'entrée et single "In My Sword I Trust" pour le côté brut festif, ou la brillante "Pohjola" pour le côté sympho puissant vikingisé. Pour le reste, la musique des finlandais se pare de douceur et d'influences plus locales, via un concept héroïque assez contenu et jamais véritablement élevé au sens épique du terme.
Voici donc un album qu'il est très difficile d'appréhender, il semble évident qu'on ne peut qu'être déçu et ainsi rester sur notre faim lors d'une première écoute, surtout si on se place dans une attente d'hymnes en continu. Nous sommes assez loin du easy listening ici, hormis donc ce morceau ayant fait l'objet d'un vidéo clip et qui ravive quelques joutes d'antan, sans atteindre les niveaux de "Battle Song" ou autres "One More Magic Potion". Cette entame guerrière peut en quelque sorte fausser le jeu, même si l'enchaînement avec l'éponyme "Unsung Heroes" ne semble pas si incohérent que cela. Pourtant, quelque chose change dès cette troisième piste (et deuxième chanson, l'introduction "Symbols" n'étant qu'une instru de lancement), une certaine nostalgie s'invite sur la musique des nordiques et on sent d'emblée que l'ambiance va quelque peu changer.
Une douceur folk décide ainsi de s'installer sur ce CD, parfaitement relevée par une retenue plutôt ambitieuse dans le style. En deux temps, Ensiferum surprend, en premier lieu sur ce "Celestial Bound" où le chant lead est assurée par une certaine Laura Dziadulewicz, pour un résultat entre Lumsk et Blackmore's Night... ou les récentes ballades folkistantes de Nightwish si on veut oser la comparaison plus loin. Une belle réussite tant la douceur prend aux tripes, pour une chanteuse qui n'en est pas vraiment une de métier d'ailleurs. L'autre étape se situe avant avant le grand final de la galette, un "Last Breath" écorché vif où la voix folk masculine chevrote avec émotion. Pas le meilleur morceau du disque, il faut l'avouer, mais elle ne choque en rien et sait au fil des écoutes parfaitement se dérouler sans accroc. Certains pensaient avoir reconnu Mathias Nygard de Turisas en guest, mais il n'en n'est rien, s'agissant probablement du bassiste et chanteur clean Sami Hinkka dans un registre quelque peu différent.
Puisqu'on parle du chant, peu de surprise hormis donc ce guest ainsi que quelques choeurs puissants (dont un assuré par une chanteuse opera que l'on retrouve fatalement sur le gros morceau final de 17 minutes donc nous reparlerons par la suite) bien pensés. On parlait de Sami, il étonne par sa capacité à porter son chant épique vers un folk retentissant, on aurait presque pu parier sur une chanteuse guest au niveau du refrain de l'entêtante "Burning Leaves" (qui a dit Arkona ?) mais que nenni ! Quant à notre frontman Petri Lindroos et ses growls caractéristiques, on peut être plus sévère. Il ne varie que peu, ne semble pas forcément être au niveau des deux précedents opus, comme si la partie growl était tout à coup moins primordiale. Plus gênant, on se rapproche parfois d'un Chrigel Glanzmann (Eluveitie), pas que cela soit spécialement mauvais en soi (on vous laissera en juger) mais on sent ici comme une approche "trop directe" ou trop dans le but d'accrocher quelque chose commercialement. La chanson qui souffre le plus de cet aspect est sans conteste "Retribution Shall Be Mine", qui gagne pourtant en intérêt au fur et au mesure qu'on avance mais dont le refrain semble arriver bien tard : la faute à des couplets assez malmenés par le timbre peu varié et sec de Petri. Et pourtant, voici une chanson qui aurait pu décoller, avec notamment ce petit solo clavier old school du guest Kasper Mårtenson rappelant étrangement l'ancien Amorphis ou le récent Barren Earth. Normal, l'homme étant au centre des deux.
Amorphis disions-nous ? Rappelons quand même que l'ancienne mouture, devenue depuis tout autre (et encore plus grandiose ?) avec Tomi Joutsen, est l'influence n°1 d'Ensiferum, pas pour rien que "Into Hiding" ait ainsi été reprise sur l'EP Dragonheads en 2006. On ressent ici un retour vers cette source précise, mais plus sur l'aspect folk/prog rock que pouvait développer ces aînés au début de leur carrière. L'apport de Kasper n'est ainsi pas un hasard, ce dernier offrant un aspect plus étendu de ses capacités sur le dernier titre "Passion Proof Power" qui, sur ses 17 minutes, part littéralement dans tous les sens. Grosse ambition ? Pas forcément aboutie, avouons-le, car il ne suffit pas d'assembler plusieurs passage géniaux pour faire une chanson épique qui restera dans les mémoires. Difficile à suivre, ce monstre change bien trop d'ambiance, il serait d'ailleurs difficile de le décrire mais on pourrait l'apparenter à une sorte de mélange entre du viking mid tempo, des explosions symphoniques, du Nightwish d'antan (la chanteuse opera se prenant presque pour Tarja), du Sonata Arctica speed, du Turisas récent pour le côté comédie musicale et bien sûr l'orientation soundtrack dramatiquement mise en avant. A noter que les membres de Die Apokalyptischen Reiter opèrent là une sorte de guest inutile le temps d'une narration "village médiéval" en allemand, sûrement fort probante dans le concept, mais qui n'apporte rien à l'ensemble... bien au contraîre. 17 minutes donc, bien too much, pour la grande déception d'un album qui jusque là remplissait très bien son rôle et respirait une certaine sincérité.
Au final, heureusement que des morceaux comme "Pohjola" (l'utilisation de la chorale sonne de façon imparable), "Burning Leaves" (refrain véritablement réussi) ou "Celestial Bond" viennent compenser quelques laisser-allers ou déceptions relatives. En ce sens la suite de cette dernière nommée, "Star Queen (Celestial Bond Part II)", nous laisse le cul entre deux chaises. Elle aurait pu être grandiose, mais cette mode de "reprendre le thème d'un morceau précédent pour en faire une Part II" commence un peu à devenir redondant, d'autant plus qu'on y avait déjà eu droit sur From Afar avec le dyptique "Heathen Throne".
Concluons en disant simplement que cet album ne plaira pas à tout le monde. Les premiers fans plus axés sur le côté metal du groupe resteront sur leur faim, d'autres plus axés sur des mélodiques épiques réhaussées de grosses rythmiques ne trouveront pas non plus forcément leur compte. On avait émis quelques doutes et élevé un débat sur l'évolution de Turisas entre The Varangian Way et le dernier né Stand Up and Fight, on pourrait presque faire pareil (mais pas sur les mêmes critères) avec Ensiferum. Sauf que le From Afar entre les deux permet de comprendre quelque peu mieux l'évolution de nos viking death metalleux qui, loin d'atteindre encore une certaine brillance, dessinent les contours d'un futur peut-être radieux. Encore faudra-t-il pour cela régler certaines choses, éviter quelques maladresses et peut-être plus mettre l'accent sur un redoutable dyptique chant clair/death tout en nuançant plus ce dernier. A voir en live le 23 septembre prochain à Paris (et à deux autres dates en France), La Grosse Radio Metal sera là à l'affût !
PS : A noter un bonus track étonnant pour les heureux possesseurs de la version digipack, puisque les finlandais ont décidé de faire une reprise des... Gipsy Kings !! Avec la chanson "Bamboleo" ! Et non, ce n'est pas une blague. Comme quoi...