A l’occasion de la sortie de leur nouvel album SONDER, nous avons eu la chance d’interviewer Daniel Tompkins, chanteur du groupe TesseracT. SONDER est leur quatrième album, mais aussi une sorte de nouvelle expérience pour la bande et ses auditeurs. En effet, le groupe a choisi d’enregistrer une version binaurale de ce nouvel opus qui ravira les auditeurs en recherche de nouvelles expériences musicales. Vous ne savez pas ce qu’est une version binaurale ? Eh bien voilà, ce que Daniel a à nous partager sur ce nouvel album et sur son expérience au sein du groupe.
Votre nouvel album Sonder, est sorti le 20 Avril. Je voudrais tout d'abord parler du titre de cet album. "SONDER" en anglais veut dire "réaliser que les gens autour de nous ont une vie en dehors de la nôtre tout aussi complète avec leurs propres pensées, émotions et sentiments". Pourquoi avoir choisi ce titre ? Est-ce que c'est une façon de montrer que vous vous attachez à l'humain ?
Oui bien sûr. Je pense qu’en tant que musiciens parcourant le monde, nous avons l’occasion de rencontrer des gens de tout pays, tout culte, de tout milieu avec des traditions et différentes. Et faisant ça depuis de nombreuses années, on se forge nos propres opinions et on gagne en perspective. Et plus d’une fois, j’ai été incapable de décrire ce que je ressentais. Et la première fois que rencontré le mot “sonder”, je suis totalement tombé amoureux de l’idée contenue dans ce mot. Puis, je l’ai oublié pendant quelques années ; et quand je me suis mis à écrire cet album je me suis souvenu de ce mot et j’ai essayé de le trouver dans le dictionnaire anglais mais je n’ai pu le trouver nul part. J’étais plutôt intrigué par le fait de ne pas pouvoir trouver ce mot. Puis, en cherchant ce mot sur internet, je me suis rendu compte que ce mot avait été inventé par John Koenig qui a écrit The Dictionary of Obscure Sorrows (Le Dictionnaire des Douleurs Obscures). Pour moi il est un peu un avant-gardiste en matière de linguistique. Il a pensé à toutes ces émotions que nous ressentons mais que nous ne pouvons exprimer par manque de mots. Son travail est exceptionnel et tellement beau. Donc, quand nous nous sommes mis à rechercher un titre pour notre album, j’ai proposé ce mot aux autres membres du groupe et tout le monde a pu s’identifier à ce mot. Ils ont tous adoré cette idée. Nous aimons beaucoup avoir des discutions philosophiques. On passe énormément de temps ensemble dans le tour bus. On n’a beaucoup de temps pour discuter. Nous pouvons tous nous identifier à ce mot, mais quand je dis « nous » je ne parle pas seulement des membres du groupe, mais aussi de tous les gens autour de nous.
J’aime beaucoup ce titre car c’est un mot que l’on ne peut pas trouver dans un dictionnaire et qui n’a pas de traduction en français.
C’est drôle, d’autres journalistes français m’ont dit que le mot « sonder » existait en français.
Oui le mot « sonder » existe mais n’a absolument pas la même définition. Il peut avoir pour synonymes « pénétrer » ou « explorer », mais il n’exprime pas le fait de réaliser que les autres ont des vies et des sentiments bien à eux. Il faut passer par ne périphrase pour exprimer cette idée.
Ah, d’accord, donc c’est n’a rien à voir avec ce mot inventé.
Non, mais revenons à l’album en lui-même. Quel message voulez-vous faire passer avec celui-ci?
Le message est d’être peut-être un peu moins égoïste. Je pense que tout le monde depuis sa naissance absorbe des informations. Nous les additionnons pour petit à petit construire notre identité propre. En définitive, nous faisons le choix de nous améliorer un peu plus chaque jour. Et je pense que pour réellement avoir un impact dans notre monde et en faire un meilleur endroit où vivre, nous devons laisser tomber cet aspect de nous un court instant et penser un peu plus aux autres au lieu de se concentrer sur nous-mêmes. Je pense qu’il faut avoir un peu plus d’empathie pour les autres et leurs situations. Mais aussi essayer de faire de nous des gens légèrement plus altruistes.
Quelle a été votre partie préférée dans la création de cet album : composer ou enregistrer?
Je trouve le processus d’enregistrement plutôt difficile. Je suis un producteur qui fait tout par ses propres moyens. Donc je ne fais pas qu’aller en studio pour qu’on enregistre ma voix. Je conçois, enregistre, modifie et produit tout ce qui a attrait à mon chant. C’est un processus plutôt compliqué. C’est agréable par moment, mais dans ces moments-là, vous êtes tellement concentré sur les détails que vous pouvez vous y perdre. C’est vraiment ardu et fatigant. Mais ce que j’apprécie le plus c’est le processus de création. Comme les premières fois où nous avons réussi à créer quelque chose ensemble en tant que groupe. Nous contribuons tous à ce processus avec nos différentes idées. Nous avons commencé à semer les graines de ce projet il y a à peu près un an et demi ; et ça a vraiment été génial pour moi de créer des idées pour le chant tout de suite, plutôt que d’attendre que toute la musique soit terminée. Je pense que cela a vraiment apporté quelque chose au son final. On entend réellement la cohésion dans cet album.
Sonder est aussi une sorte de nouvelle expérience pour les auditeurs. Vous sortez une version binaurale de l’album pour une expérience auditive inédite. Pourquoi avoir choisi ce procédé ? Et comment ça fonctionne (oui je suis curieuse de savoir comment on peut réussir à enregistrer un album et faire en sorte qu'on n’entende pas la même chose des deux oreilles).
Pour l’aspect technique de la chose, mes connaissances sont trop limitées pour que je puisse décrire ce procédé correctement. Mais en substance, c’est une expérience que vous pourrez vivre seulement en écoutant l’album avec un casque. Cette expérience binaurale dépend de comment nous avons mixer l’album. C’est vraiment très subtil. Ce n’est pas du tout comme si vous étiez projetés dans une autre dimension. C’est juste une nouvelle façon d’écouter les choses. C’est comme si vous pouviez entendre un instrument à l’avant de votre visage, alors que vous pouvez entendre la guitare jouer loin derrière vous. Au niveau perception, c’est comme si vous vous teniez au milieu d’une pièce avec des gens jouant en live tout autour de vous au lieu d’avoir un mix stéréo dans les oreilles. C’est un petit peu plus ouvert en termes de mixage. Nous voulions faire cela parce que nous travaillons avec un label très créatif qui nous demande et nous pousse à produire des choses nouvelles. Nous adorons cette relation avec notre label car nous sommes un groupe expérimental. En fait, ils ont le matériel qui permet d’enregistrer en version binaurale et nous avons pu le tester en studio l’année dernière. Nous avons vraiment adoré ça. Ils nous ont donc permis de pouvoir mixer et enregistrer l’album de cette façon aussi. Pour être honnête, c’est un peu fantaisiste, mais c’est un nouvel angle intéressant pour le groupe.
Je ne sais pas si vous connaissez cette installation de l'artiste canadienne Janet Cardiff qui est exposée au MoMa et qu’on a eu la chance de pouvoir expérimenter à Paris dernièrement à la fondation Louis Vuitton. C’est une pièce où il n’y a que des haut-parleurs qui font tout le tour de la pièce. On peut entendre une polyphonie où chaque humain n'est plus incarné que par le son qu'il émet. Vous pouvez vous asseoir au milieu de la pièce et écouter les voix vous parvenir de toute part, ou suivre ces voix en faisant le tour de la pièce. Je me demandais si cette version binaurale pouvait être perçue ainsi ?
Oh ! J’aimerais vraiment pouvoir entendre ça ! Mais je ne pense pas que la version binaurale de notre album sera aussi viscérale. La différenciation des sons ne sera pas aussi évidente. La façon dont l’album est mixé et produit est un peu plus subtile. Ce sera probablement différent de cette expérience.
Dans le clip de la chanson "King" on peut voir trois personnes dans des situations oppressantes: une femme malade, un homme en burn out, et un enfant qui se fait harceler physiquement. La chanson parle des peurs qui nous rongent et qui prennent le dessus sur nos vies. Ces peurs sont symbolisées par un quatrième personnage qui offre une plante comme une nouvelle vie aux trois personnages à la fin du clip. Même si les paroles de la chanson restent très noires et poétiques, peut-on la voir comme un message d'espoir ?
Oui dans un sens nous devons tous dépasser nos peurs. Mais pour moi, cette vidéo a un message un peu différent. Nous avons laissé les rênes aux réalisateurs, et les avons laissés y mettre leur propre interprétation des paroles. Et la vidéo qu’ils ont produite est exceptionnelle. Nous l’avons adorée. Mais si je devais décrire le sens de cette chanson, je dirais qu’il s’agit plus d’un conflit ou d’une certaine tourmente. Evidemment, les gens mènent différentes batailles dans cette vidéo. Il y a une personne malade et tout ce que vous avez cité. Il y a cet aspect de l’histoire qui se répète comme thème récurrent de la chanson. Mais, en termes plus généraux la chanson est aussi sur le fait de vivre une vie pénible. Cela se raccroche à l’idée contenue dans le terme « sonder » dont on a parlé plus tôt. La chanson parle de l’existence et du fait d’apprécier cette existence à sa juste valeur. En fait, la fin de cette vidéo montre aussi aux gens qu’ils ont peut-être perdu de vue ce qui est important. Ils prennent la vie qu’ils mènent pour acquise. La quatrième personne qui intervient à la fin du clip leur présente tout simplement la vie et ce qu’elle a de beau.
Vous entamez une tournée américaine en avril, puis une tournée européenne en fin d'année. Etes-vous pressé de jouer cet album sur scène ? Quelles chansons de cet album avez-vous sélectionné pour le live ?
Je ne peux pas dévoiler tous les secrets si tôt, mais comme nous allons sortir un single, nous allons bien évidemment jouer cette chanson en live. Et il y a aussi de très beaux moments sur cet album que j’aimerais jouer en live à l’avenir. Par exemple, la transition entre ‘’Smile’’ et ‘’The Arrow’’; je pense que c’est parfait pour finir un set. J’aimerais pouvoir persuader les autres membres du groupe de la jouer.
Nous sommes vraiment excités de repartir en tournée. C’est une expérience formidable de pouvoir tourner un peu partout dans le monde et je suis sûr que beaucoup d’artistes vous disent la même chose. C’est aussi palpitant de voir que le groupe grandi un peu plus à chaque fois. Espérons que cela continue ainsi. Nous sommes vraiment impatients de pouvoir jouer aux USA. Nous y sommes allés tant de fois maintenant. Nous avons énormément de fans. Je pense que l’Europe demande un peu plus de travail. J’aimerais que nous puissions jouer dans bien plus de villes que nous ne le faisons actuellement, mais tout le business qui se développe derrière le groupe nous dicte quoi faire. Nous sommes un peu à la merci de nos agents et producteurs, mais nous sommes impatients de pouvoir venir jouer en France.
Pour l'instant il n'y a qu'une date à Paris au Trabendo le 12 novembre prochain et le Hellfest de programmé en France. Aurons-nous la chance de vous voir ailleurs en France ?
Je n’en suis pas sûr. Les choses changent beaucoup. Des shows s’ajoutent, d’autres sont enlevés… Donc c’est plutôt difficile de répondre à cette question.
Vous allez tourner avec Astronoid et Plini aux USA et Between the Buried and Me et Plini en Europe. Qu'est-ce qui vous a plu chez eux ?
TesseracT a déjà joué avec Between the Buried and Me et Plini de multiples fois. Je pense que se sont les bonnes personnes avec qui partir en tournée. C’est une première chose. Ce sont des gens adorables. C’est toujours agréable de partager des choses avec eux. Ce sont des personnes enthousiastes. Et je pense que pour le moral, c’est important d’être entouré par des gens positifs et travailleurs. Et bien sûr, nous aimons aussi leur musique. Les membres de Between the Buried and Me sont des gens très talentueux. Ils ont également beaucoup de fans aux USA. Ils ont une musique assez similaire à la nôtre, mais peut-être plus folle. Pour Plini, je dirai que ce sont de très beaux musiciens. Leur travail sur la guitare est magnifique. Je pense qu’il y aura un très beau contraste pendant cette tournée. On aura le côté lourd de la musique de Between the Buried and Me et de la nôtre et la légèreté de Plini.
Vous-même avez tourné avec des groupes comme Megadeth, Meshuggah, the Devin Townsend Project ou encore Gojira. Quels sont vos meilleures souvenir de tournée ?
Pour moi, mes meilleurs souvenirs de tournée proviennent de nos jeunes années. La première fois que nous sommes allés aux Etats-Unis, la première fois que nous avons fait une tournée en Europe. Ce sont des moments spéciaux. Vous n’avez pas beaucoup d’argent. Vous sacrifiez beaucoup de choses pour y parvenir. C’est grisant. En tant que groupe de personnes, on expérimente nos premiers moments de vivre ensemble. Cela a vraiment renforcé le lien entre les membres de TesseracT.
Mais le moment le plus cher à mes yeux, c’est le fait de voyager dans un van minuscule à travers les USA et le Canada, assis à regarder à travers la vitre et voir tous ces merveilleux paysages défiler sous vos yeux. Voir tous ces changements. Je m’en rappelle parfaitement.
Vous avez également participé à un projet avec le groupe Earthside. Pouvez-vous nous en dire comment vous en êtes venu à travailler avec eux ?
En fait, ils m’ont demandé de participer à leur projet. J’aime vraiment beaucoup ce qu’ils font. Vous savez, il est nécessaire pour moi d’apprécier la musique des gens avec qui je vais travailler. Et ce sont des gens très talentueux. Ils avaient vraiment une belle vision de la chanson à laquelle ils voulaient que je participe. Et ça m’a aussi apporté quelque chose de bénéfique car c’était pour moi la première fois où j’ai pu m’asseoir et me laisser guider parce ce qu’ils voulaient que je fasse. Ça a été une approche intéressante pour moi en tant que chanteur. En temps normal, je crée toutes les paroles et les mélodies et ça été plaisant de seulement répondre à leurs requêtes. Ils avaient beaucoup de bonnes idées pour cette chanson et je la trouve vraiment très belle.
Pouvez-vous choisir un mot pour définir TesseracT et nous dire pourquoi avoir choisi ce mot ?
Seulement un mot ?! C’est vraiment difficile. Vous êtes un vrai tyran ! Il y a tellement de mots parmi lesquels je pourrais choisir… Mmmh MULTIDIMENTIONNEL… euh… non… pas ce mot… C’est vraiment une question compliquée. Elle me pousse à réfléchir. Disons que pour moi ce serait un mot que peu de gens choisiraient, mais je dirai SPIRITUEL. Quand je monte sur scène, je me perds complètement dans la musique de TesseracT et je m’envole vers un endroit bien différent. C’est un peu comme si je vivais une expérience de hors-corps. Je flotte en-dehors de moi-même et je n’ai jamais eu ce genre d’expérience ailleurs que sur scène. Donc, pour moi, monter sur scène avec TesseracT est une expérience spirituelle.
Et que pouvez-vous nous dire sur le nom du groupe ? TesseracT est le nom d’une forme géométrique. Pourquoi avoir choisi ce nom ?
Je ne suis pas la bonne personne pour répondre à cette question. En fait, TesseracT existait avant que je ne rejoigne le groupe. Mais de ce que j’ai compris, Acle a regardé un film intitulé Cube et a décidé d’appeler le groupe TesseracT juste parce qu’il savait que c’était une forme géométrique. Donc ce nom n’a vraiment aucune signification profonde. En fait, on a plutôt créé le sens après avoir donner un nom au groupe. Le nom vient seulement du fait qu’Acle ait regardé un film. [rire]
Interview: Eloïse Morisse