Igorrr (+ Horskh) à La Laiterie, Strasbourg (17/04/18)

Dans la foulée d'une tournée américaine, le projet avant-gardiste Igorrr s'est offert une tournée européenne comprenant de nombreuses dates françaises dont une à La Laiterie. Vu les succès qu'ont été ses précédents passages en Alsace, il n'est pas étonnant que le quatuor français ait choisi de faire une halte dans la petite salle strasbourgeoise, et c'est accompagné de Horskh que le groupe est venu déchainer toute sa puissance, en cette soirée du 17 avril.

Horskh

Dans la veine de Youth Code qui, on le rappelle, ont ouvert l’ensemble de la tournée de Carpenter Brut, Horskh proposent une musique brut de décoffrage alliant des influences variées, majoritairement électroniques, mais aussi metal et alternatives. Et de même que pour Youth Code, c’est un duo qui condense une puissance hors norme dans une ambiance carrément rave contrastant totalement avec celle d’Igorrr. Alors que la batterie cogne un beat hyper précis, le chant criard de vient arracher toute sa brutalité aux morceaux tous plus gores que surprenants !

Les deux musiciens déploient une énergie folle sur scène et s’accompagnent d’un light show parfaitement ficelé, un brin épileptique, mais retranscrivant toute l’identité musicale du groupe. "Strayed Away" lance une déflagration qui va résonner et tenir le public en haleine pendant tout le concert. Horskh c’est une boule d’énergie prête à exploser à n’importe quel moment. Un tel condensé de puissance est trop rare pour qu’on puisse le rater, courez les voir si vous en avez l’occasion !

Igorrr

Alors que les lumières s’éteignent, une ambiance baroque voit ses traits dessinés par les notes de guitares introduisant “Spaghetti Forever”, un titre issu du dernier album d’Igorrr, Savage Sinusoid, largement à l’honneur ce soir là. Et comme attendue, la voix de soprano de Laure Le Prunenec vient voiler cet ensemble si particulier qui constitue l’univers d’Igorrr, un univers où l’obscénité est toujours plus tangible, où la grâce devient violente et où la technique musicale se fait maîtresse des lieux. Car oui, les quatre musiciens présents sur scène démontrent une maitrise absolument parfaite de leur instrument, déployant ainsi un bagage émotionnel très fort en plus d’une exécution parfaite de leurs morceaux.

Les deux chanteurs semblent se balader gaiement dans l’univers musical de Gautier Serre, ils s’en approprient chaque recoins en y apportant une touche personnelle toujours plus fructueuse. Mais au-delà de la technique, c’est leur expression qui transforme ce concert en un spectacle grandiose ! Par sa posture impressionnante, solennelle, Laurent Lunoir occupe le côté cour (droite) de la scène en prenant soin de laisser à son homologue féminin l’espace nécessaire pour s’adonner à toutes sortes d’expressions corporelles : danses, mouvements amples et jeux avec les lumières, toujours dans une interprétation très spéciale des morceaux.

Igorrr propose ce soir là le meilleur panel de sa discographie et fait profiter amplement du génie et de l’ingéniosité qui constituent sa musique. Rares sont les groupes ou projet musicaux qui font converger les styles avec une telle justesse ! Le breakcore définit largement la structure musicale presque démembrée des morceaux, le baroque vient se charger d’orchestrer le tout, d’y rajouter des harmonies quand le metal vient y saupoudrer une pincée de rage. La grâce de cette musique torturée, poussée à l’extrême, est notamment portée par la voix de la chanteuse qui fait preuve d’une maitrise incroyable, tant dans la technique de chant dite classique que dans la technique de variété, tirant de temps à autre sur le crié. Sa capacité à jongler entre ses styles rend la musique d’Igorrr surprenante, vivante et éclectique, tout le monde peut s’y retrouver, à condition d’apprécier les formes d’arts extrêmes.

Et c’est dans une mise en scène très théâtrale, avec des entrées et sorties de scène, que les deux chanteurs viennent exprimer tout leur art. Laure Le Prunenec se charge de la légèreté avec sa voix et ses danses, toutefois déstabilisantes pour certaines, et Laurent Lunoir introduit son large panel de techniques criées et gutturales pour appuyer le côté très metal voire dramatique de la musique. Les deux se complètent et couvrent entièrement l’aspect émotionnel de la musique parfois déchirante, entrainante, enfin bref, ajoutez-y les adjectifs qui vous font plaisir, car tout y est !

Tel un chef d’orchestre juché derrière sa table de mixage, Gautier Serre donne le rythme du concert, et une nouvelle fois, le rythme est parfaitement maitrisé. On oscille entre brutalité, avec “Opus Brain”, “IeuD” ou encore “Robert”; et parties plus calmes, un calme un tantinet relatif puisqu’un cri gronde souvent en fond, avec des titres comme “Pavor Nocturnus”.

Ce qui frappe dans cette incroyable setlist, c’est l’omniprésence des instruments acoustiques malgré l’aspect hyper électronique de certains morceaux. On n’est jamais à l’abris d’une mélodie à l’accordéon ajoutant une petite touche française à certaines chansons, d'une partie de saxophone et même d'un brin de cithare sur “Opus Brain” ! Le tout reste absolument cohérent et le public n’est pas laissé sur le bas côté, sa sollicitation est assez récurrente lorsqu’il s’agit de fredonner des airs d’accordéon et/ou de guitare classique. Tous les éléments sont donc réunis pour faire de ce concert un moment magnifique et mémorable.

Gautier Serre, cerveau du projet, se réserve le droit de clôturer le concert, seul sur scène en déployant tout son attirail sur “Robert”, une composition avant-gardiste poussant le breakcore dans ses retranchements les plus profonds. C’est expérimental à souhait, presque obscène tant l’aspect organique est extrême, mais tout l'auditoire semble s’y retrouver et s’extasier au rythme ballant du morceau. C’est une conclusion parfaite pour Igorrr et ses musiciens qui peuvent saluer leur public strasbourgeois sous un tonnerre d’applaudissements.

Igorrr c’est un réel ovni de la musique contemporaine, une perle de live qui apporte un vent musical nouveau à chaque sortie d'album, le fruit d'une parfaite hybridation du baroque, du breakcore et du metal.

Setlist:

1. Spaghetti Forever
2. Opus Brain
3. Grosse Barbe
4. Moldy Eye
5. Biquette
6. Barbecue
7. Pavor Nocturnus
8. Caros
9. Viande
10. Cheval
11. Tendon
12. Excessive Funeral
13. Tout Petit Moineau
14. IeuD
15. Half A Pony/Unpleasant Sonata
16. Apopathodiaphulatophobia
17. Robert