Tobias Forge, alias Cardinal Copia de Ghost

Tobias Forge a des yeux qui pétillent d’intelligence, un visage expressif et un charisme naturel. Il possède une culture générale et musicale qui en ferait pâlir plus d’un. Il est difficile d’imaginer que sous son masque de scène qui change à chaque nouvel album se trouve ce personnage, au visage de jeune adulte avec son Perfecto sur lequel sont accrochés de nombreux badges (de Venom à Iron Maiden en passant par un « anti Trump ») et ses jeans troués aux genoux qu'il ne cesse de remettre en place. Il faut pourtant faire abstraction de l’image que l’on a de lui en live pour débuter l’interview.

C’est un musicien passionné et complètement possédé par sa musique qui nous parle du nouvel album Prequelle, le succès rapide, le procès avec ses anciens musiciens, sa culture musicale et la vision qu’il a de son groupe Ghost.
 


Lionel / Born 666 : Meliora a squatté les premières places de nombreux charts US et européens, dans les classements indépendants, rock et rentrant même dans le Top 10 du Billboard. Popestar, l'EP a lui aussi été très bien placé et vous avez même reçu un Grammy Award pour « La meilleur prestation live dans le metal ». Rétrospectivement que penses-tu de ces trois dernières années ?

Tobias Forge : Ces trois dernières années ont été assez tumultueuses et je suppose que le résultat de tout cela est un grand accomplissement, et c’est fantastique d’avoir réussi quelque chose qui pourrait être un avantage pour l’avenir. Mais grandir apporte aussi son lot de souffrance. Vous savez, parfois c’est comme pour un enfant qui grandit ou plutôt comme un adolescent en pleine croissance et pour qui vieillir c’est difficile à gérer. Et je pense que c’est le cas pour beaucoup de groupes. La croissance d’un groupe ne se fait pas sans un certain degré de douleur.

Lionel : Qu'en est-il de l'attaque en justice des anciens membres du groupe? Vous avez dit l'année dernière: « Je ne peux pas faire de commentaires parce que l'affaire est en cours et mon conseiller juridique répondra très bientôt à l'avocat des plaignants ». Nous sommes en 2018, est ce que la procédure a avancé ? Il y a-t-il des nouvelles ? Car en France, la justice est assez lente et c’est un long chemin (en anglais « It’s a long way to the… »)

Tobias : « To the top if you wanna Rock ‘n Roll… »

Lionel : « With Ghost ?  »(Rires)

Tobias : « It’s a long way to the down if you wanna Rock ‘n Rol with Ghost »…Hmmm. Oui l’affaire est prolongée, les choses prennent du temps et tant que les avocats voudront se faire de l’argent, l’affaire ne sera pas prête d’être terminée.

Ghost


Lionel : Mais là, Ghost c’est toi, c’est ton album, c’est toi…

Tobias Forge : Oui mais tu sais cet album ou même n’importe quel album est le fruit d’un certain degré de collaboration avec des tiers. C’est juste que savoir quel est le degré de collaboration, c’est juste le problème. Mais cette fois-ci, je suppose que ça a été plus douloureux pour tout le monde, savoir qui est  réellement responsable de certaines choses. C’était sous ma responsabilité de faire l’enregistrement. C’était aussi ma responsabilité de m’assurer que nous avions un bon album à interpréter. En fait tout cet environnement a aidé à créer ce que l’album est devenu. Maintenant avec le recul, même si nous sommes encore dans le processus de la sortie de l’album, je pense que le pire est derrière nous, je me sens très fier et je me sens très en phase avec les choses accomplies. Cet album a été réalisé avec beaucoup de passion et de sincérité bien sûr.

Lionel : Si je t’écoute j’en déduis que Ceremony And Devotion le live qui vient de sortir vient compléter la fin d’un cycle ? Et maintenant un autre commence, un autre Ghost, une autre vie…

Tobias : Oui j’imagine. Ce sera un peu différent.

Lionel : D’ailleurs je ne connais pas encore le nom. (Lors de l’interview réalisée le 23 Mars 2018 on n’a pas le droit de faire des photos ni de réaliser une vidéo et le nom de l’album nous est toujours pas communiqué. On a seulement eu le droit d’écouter l’album en streaming NDLR). Peux-tu me le dire ?

Tobias : Je crois qu’en français tu dirais Prequelle (au Canada francophone, c’est une œuvre dont l'histoire précède celle d'une œuvre antérieurement créée en se concentrant sur les événements se déroulant avant le récit original NDLR)

Lionel : Prequelle ? Ce qui veut dire ?

Tobias : cela suggère un retournement chronologique…

Ghost


Lionel : C’est pour cela qu’apparait maintenant un Papa Emeritus Zero ?

Tobias : Oui c’est le leader silencieux en arrière plan. C’est le Maître, mais devant lui il y a l’apprenti qui est le Cardinal Copia, qui sera le Tos Master du spectacle.

Lionel : Penses-tu que Papa Emeritus Zero est fier du travail accompli par ses anciens prédécesseurs ?

Tobias : Oui… je le pense. Ils ont joué un rôle important dans la vie de Ghost. Et comme après toute succession tu dois aller de l’avant. Et peut-être que vous ne le savez pas mais si vous êtes une tête couronnée, tôt ou tard, vous devez passer le relai à une reine ou à un roi pour la succession. C’est important. C’est bon de savoir que tu existes pour un certain temps, et que quelqu’un d’autre arrivera après toi.  

Lionel : Est-ce un concept album ? Je crois que les thèmes abordés parlent de mort et de tristesse…

Tobias : A l’intérieur tu vas y trouver d’abord un disque qui parle de survie. Il s’agit en fait d’être un protagoniste entouré par une menace éminente de destruction et d’annihilation. De façon similaire, si vous aviez vécu dans les années 1340 en Europe, vous saviez que vous étiez confronté à l’anéantissement total et que la moitié de la population allait mourir.

Lionel : La Peste Noire...

Tobias : Oui donc on peut deviner qu’il était évident que c’était une expérience traumatisante pour beaucoup de personnes et je pense qu’il y a un parallèle avec l’époque actuelle. Mais vous devez vous rappeler aussi que la fin du monde arrive tous les jours à travers le monde entier. Et c’est pourquoi nous sommes dans un « put*** » d’ordre chronologique. Ghost a toujours été pour cette logique et accepte son destin en tant qu’une personne qui pourrait avoir une existence limitée. D’où le Papa I, Papa II, Papa III et que vous devrez vous incliner tôt ou tard pour passer le relais.

Lionel : Si on retourne vers la Peste, j’imagine qu’on va retrouver de nombreux changements sur scène, de nouveaux visuels, de nouveaux musiciens, j’ai même entendu dire que vous alliez être neuf sur scène désormais.

Tobias : Oui effectivement ça va être un grand et beau changement. Depuis qu’on a commencé à jouer avec Ghost en live en 2010, j’ai toujours été ennuyé par le fait que nous devions utiliser des pistes enregistrées. Je l’ai toujours vu comme une faiblesse. Mais bon c’était un mal nécessaire afin de faire sonner le titre comme je le voulais. La raison pour laquelle nous le faisions était évidemment monétaire, nous n’avions pas assez d’argent pour embaucher plus de personnes sur scène, il en aurait fallu trois de plus. Maintenant je m’assure qu’on a trouvé le bon équilibre afin de recréer en live Prequelle et Meliora. Il y a tellement d’autres titres complexes avec des backing vocals, plein de claviers, et d’autres choses. Je pense que c’est un bon moyen de faire en sorte que tous ces titres sonnent d’une façon homogène.

Lionel : Est-ce que l’apparence des Nameless Ghouls va changer aussi ?

Tobias : L’apparence de certains Ghouls va changer. (il réfléchit) ça sera différent car maintenant il y a plus de filles aussi, trois filles en plus.

Ghost


Lionel : Sur votre page Facebook la couleur prédominante est le rouge depuis quelques jours, allons nous ressentir cette couleur intense sur l’album, en live ?

Tobias : Il y aura plusieurs couleurs différentes pendant le spectacle, mais je pense que le rouge fait partie de la couleur de l’enregistrement.

Lionel : Sur cet album, les chansons sont principalement basées sur des riffs lourds entremêlés de belles mélodies au piano. Sur « Dance Macabre » on trouve une rythmique très dansante. Parfois on se retrouve dans un esprit Glam Rock puis ensuite des sons sortis des années 70 et … deux longues instrumentales. Vous en aviez déjà mis sur les précédents albums mais celles-ci sont très longues…

Tobias : Sur le premier album nous avions le titre « Genesis » que je trouve assez convaincant. J’aime écrire des chansons instrumentales. Mais parfois c’est plus difficile d’en écrire, comme tu n’as pas le côté narratif des paroles, tu dois rester concentré d’une certaine manière et j’aime ça. Sur Infestissumam il n’y en avait pas. Sur Meliora nous avions l’objectif d’en mettre plus. Dès le début avec notre producteur, notre objectif étaient assez élevé, mais à la fin c’est comme si nous avions des petites pistes de prog et ensuite ça a donné « Devil Church » qui devait faire une minute et 30 secondes. C’était une « petite » (en français dans le texte), c’était « petite » symbolique. J’aime faire des excursions dans la musique progressive. Et puis je pense qu’à la fin, vous savez pendant les pré-enregistrements de Prequelle nous avions une instrumentale de plus de 12 minutes et (rire) peut-être que c’était un peu trop. Mais à ce moment là, j’ai commencé à travailler sur « Danse Maccabre » et puis là coincé dans ma cabine d’enregistrement je me suis dit « hééé on a trouvé le truc »…

Lionel : « J’ai trouvé le bon équilibre »…

Tobias : Oui on avait enfin trouvé le bon équilibre. Il  y a beaucoup d’instrumentales qui sont des sortes de masturbation intellectuelles mais aussi parfois un genre de disco banger et puis je ne sais pas…

Lionel : Peut-on encore trouver des influences concernant Elton John sur le nouvel album ?

Tobias : Absolument et en particulier sur « Pro Memoria ». Cela ne signifie pas qu’il doit sonner comme un titre d’Elton John.  Mais tu sais, à la fin la façon la plus facile que l’on avait d’exprimer ce que l’on avait en tête pour faire « hahahhaaaa-ha-haaa »  (il chante d’une façon aigue la fin du titre), tu vois comme sur la fin de « Goodbye Yellow Brick Road ». Ainsi est venue l’idée « et si on la faisait à la « Yellow Brick Road » ! », avec juste le chant aigu et la présence du pianiste, pas seulement d’une façon symbolique en arrière plan, mais comme si s’était toi même qui jouais.

Lionel : C’est un piano à queue ?

Tobias : Oui absolument, c’était un piano à queue. Je savais déjà sur quels titres je voulais du piano. Sur les démos, j’en avais déjà mis. Mais je savais que ça allait fonctionner avec ce super génie du piano, incroyablement talentueux, dont le nom est Solo (à vérifier) et je savais qui le ferait d’une façon luxuriante et je pense qu’il a fait une excellente partie sur « Pro Memoria ».

Lionel : Et l’idée du saxophone…

Tobias : Je voulais le faire depuis longtemps mais je ne savais pas vraiment sur quel titre il allait terminer. Mais il faut noter que lorsque « Miasma » prenait forme je savais qu’il fallait y incorporer un gros solo à la fin.

Lionel : Juste avant « Dance Macabre »…

Tobias : Oui c’est la fin de la première face. Et je savais que ce serait un échange de solos avec sur scène d’abord le soliste de gauche, puis le saxo puis celui de droite et ainsi de suite et là… « Whaooouuuu » c’était parfait. Ah ce saxophone. C’était difficile d’en parler aux autres membres car y a avait une monté d’intensité et cette communication entre les trois instruments tout en sachant parfois rester en retrait pour ne pas éclipser l’autre.

Lionel : Sur « Helvetesfonster » à 3:30 on ressent une rythmique celtique…

Tobias : Je crois savoir de quoi tu parles... (Il mime la rythmique « dadadaddadadad ») C’est un peu du prog anglais à la Canterbury (L'école de Canterbury (The Canterbury Scene) regroupe plusieurs artistes et groupes de rock progressif et psychédélique britanniques de la fin des années 1960 et du début des années 1970 NDLR). D’un autre côté c’est compréhensible, j’adore le prog rock anglais. Je veux dire tout les grands comme Genesis, Yes, Jethro Tull, ansi que Egg. Il est donc possible que de certains de ces éléments puissent transparaitre sur la composition.

Lionel : Ce matin j’imaginais le concert idéal de Ghost, un spectacle à Venise pendant le Carnaval…

Tobias : Avec mon expérience maintenant je peux dire que j’ai beaucoup d’ambition quand il s’agit de spectacle live. Je sais que les gens sont généralement favorable au fait d'assister à des spectacles dans des lieux insolites. Techniquement ce serait amusant de jouer à Venise comme Pink Floyd l’a fait sur le Grand Canal ou même sur la Place Saint Pierre (au Vatican). Mais du point de vu de la production, si tu veux un très bon show, c’est très difficile de le faire. C’est plus facile de le faire à l’AccorHotels Arena parce que techniquement tout est là. Parce que d’habitude quand vous allez dans des endroits bizarres, il y a des problèmes : lutter contre le temps et le vent, la lumière du soleil et vous vous battez contre tellement d’éléments que ça devient très complexe. Mais bon c’est clair que visuellement ça serait très joli mais il y a trop de chose à gérer pour que cela fonctionne. Déjà je me bats pour mettre en scène un show dans un cadre parfait. Je ne serais pas contre l’idée, mais je préférerais si c’était en Italie le faire au Forum Mediolanum (Salle multifonctionnelle située à Assago, dans la banlieue de Milan pouvant accueillir 12700 personnes NDLR).

Lionel : Tu es aujourd’hui devant moi sans masque.

Tobias : Tant que l’interview n’était pas filmée je le fais sans masque.

Lionel : Mais aujourd’hui si tu te présente c’est pour montrer que tu es seul, Ghost c’est toi et comme on peut le lire dans les documents promos : « Tobias Forge is Ghost. Tobias Forge is not Papa, the Cardinal, the singer nor the sax player. It's Ghost the band, not Ghost the man… ». Et pour terminer tu cites Aristote « Le but de l'art est de représenter non pas l'aspect extérieur des choses, mais leur signification intérieure. »

Tobias : Oui. Ce que je veux que les gens comprennent, c’est que je peux être le metteur en scène de la pièce et que je peux même y avoir un rôle. Il est plus facile de parler de la pièce si je peux en parler comme ça. Au fil des ans je pense qu’il y avait un sentiment concernant les journalistes que nous les avions « roulé dans la farine ». Vous savez année après année et  au bout de la quatrième fois ils nous disaient « Vous avez fait encore la même chose ? » C’est pour cela aussi qu’on a arrêté de le faire masqué.

Lionel : Mais tu portes quand même un masque aujourd’hui…(Il me regarde étonné, je lui montre son T-shirt représentant le tueur en série de Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper sorti en 1974.) Donc tu as un masque…

Tobias : Mais cela ne changerai pas mon apparence en live…je veux juste être droit quand je suis là à expliquer mes intensions.



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