Prendre des risques et évoluer, voilà qui ne fait pas toujours l'unanimité auprès des fans. Si certains râlent car leur combo favori stagne un peu trop et ne change finalement jamais d'univers, d'autres sont, à l'inverse, totalement désarçonnés quand la formation va explorer un monde qui lui était encore inconnu, en tenant compte du fait que tous ne suivront pas dans ces expérimentations vers des contrées où l'herbe y est peut-être plus verte. Et ce choc terrible, que dis-je, cette malédiction, ces foudres cruelles peuvent frapper n'importe qui ! (sauf Manowar, eux, c'est du hors-catégorie, mais tant mieux comme ça on peut continuer à en rire /mention sarcasme nécessaire/). Même Baroness. Nos amis américains nous avaient habitués à des noms très colorés : jugez-en plutôt avec successivement Red Album, puis Blue Record. Et comme leur sludge de haute volée fonctionnait très bien, pourquoi envoyer valdinguer tout cela en l'air avec Yellow & Green qui continuera donc dans cette belle tradition. Non ? Ne dites pas que …
Si. Ils l'ont fait. La joyeuse bande de Savannah se remet entièrement en question et propose une vision musicale tout à fait à l'opposée de ce qu'ils pratiquaient auparavant. Si certains trouvaient peut-être le genre précédent un peu trop difficile d'accès, les plus fervents fidèles ont ainsi matière à montrer leur mécontentement. Force est de constater que ce double album (un procédé déjà périlleux de base) montre un changement radical, un virage complet, un renouveau. On passe donc du sludge à une musique naviguant entre du rock un peu progressif parfois, mais très accessible, et des relents metal. Donc oui, vous lisez bien, Baroness fait désormais un condensé de rock / metal à la fois un peu orienté grand public, mais sans tomber ni dans la facilité, ni céder à l'attrait commercial qui court à la perte de moult formations. Car même dans un style tout autre, la patte du quatuor se ressent encore, même si elle est au mieux différente, au pire sujet à être conspuée par ceux qui regretteront les premiers brûlots.
Pourtant, même dans son nouveau genre, Baroness est bon. Très bon, même, fin et intelligent dans sa composition et ne cédant pas aux travers communs et aux bas-fonds d'une indigence pourtant à portée de main. Yellow et Green suivent tous deux la même trame, sans pour autant que l'un pue le réchauffé sur l'autre, évitant l'apposition d'une mention « plagiat » ou, pire encore, « inutile ». Si la face jaune nous laisse entrevoir un rock plus énergique, metallisé, ou metal tout court, la face verte, elle, se concentre bien plus dans l'atmosphérique, quelque chose de plus doux, et plus difficile à assimiler aussi (bien qu'elle pourrait carrément, comble de l'hérésie pour les râleurs, plaire aux non-metalleux). Ainsi, non seulement le coup du double album trouve tout son sens (le fait que les deux aient des similarités tout en ne sonnant pas pareil est plutôt classe), mais la qualité intrinsèque de l'un comme de l'autre sera le coup de marteau final sur la tête des détracteurs. Car si le seul argumentaire potable pour enfoncer le disque revient à « de toute façon, ils veulent viser un public fan de Nickelback », autant dire que la vacuité de ce raisonnement est aussi avérée que la bonne tenue globale de Yellow & Green.
Petit reproche tout de même, car il en faut bien : si l'abandon quasi-permanent sur l'ensemble sied à la « nouvelle » orientation musicale de Baroness, cela contribuera aussi à un manque de diversité vocale. Que ce soit dans certaines lignes de chant redondantes ou tout simplement par le manque de variations de John Baizley, l'espoir d'une amélioration sur cet aspect quant à la suite des aventures des américains est un point que le groupe doit étudier. Ceci dit, le monsieur fait un bon boulot, et se rattrape en expressivité. Sur une « Eula » aux relents presque pop (oui, vous lisez bien, et on parle toujours de Baroness), il aide à soutenir la profondeur d'une piste déjà elle-même fort bien construite, par son crescendo et son refrain hypnotisant, demandant seulement un certain temps d'adaptation (tout comme le reste des deux opus). Ainsi, le groupe s'appuie majoritairement sur la douceur pour émouvoir, et non pour perdre son auditeur. Si le côté un peu déjanté avait été une réussite totale avec l'excellent Red Album, Blue Record pouvait laisser entrevoir un petit repos sur les lauriers. L'évolution entrevue dans ce double album en devient ainsi presque logique.
"On fait p'têt un genre différent, mais on est pas des marrants pour autant".
Et nous assénerons encore un défaut chez le quatuor : trop peu de folie. Sans tomber dans la banalité, dans les schémas pré-établis, n'hésitant pas à passer d'un univers à un autre tout en gardant un fil d'Ariane (soutenue par une production qui colle merveilleusement bien au brûlot), le manque du Baroness barré des premiers albums se fait un peu sentir. La folie de Yellow & Green est plus mesurée. La galette n'en est pas dépourvue, capable de passer d'un plan de batterie appartenant à un genre à, soudainement, un autre qui lui est radicalement différent. La magie est toujours là, mais peut-être plus assez. Enfin, chipoter c'est bien joli, mais il faut réellement admettre que nos gais lurons se surpassent, et sur bien des plans. Parce que les morceaux, eux, amènent un contraste constant entre les plus puissants et les plus doux. Et ça marche : en créant cette alternance, ou, au contraire, en laissant aller sur les longueurs le planant, ou l'énergique, les saveurs sont diverses, et inspirées. Et on est loin de jouer dans le creux. La voix, la guitare aux lignes plaisantes (nul doute que les deux compères tenant ces instruments s'en sont donnés à cœur joie), spontanéité et fraîcheur sont des mots qui conviennent parfaitement pour décrire la musique. Et c'est ce qui élève une bonne partie des pistes vers un niveau très élevé.
Rien que « Take My Bones Away » ou « March To the Sea » donnent le ton. L'ambiance sera rock, et catchy. Ce dernier adjectif est aussi à mentionner si la conversation tourne autour de « Eula » et de son refrain. Et si l'on souhaite déstabiliser les fans de la première heure, « Mtns. (The Crown & Anchor) » est exactement ce qu'il faudra : un vrai hymne rock. Là où un côté bancal commence à se faire sentir, c'est que la majorité des morceaux marquants et creusés proviennent de Yellow, Green formant plutôt un ensemble dans lequel il est parfois délicat d'extirper la perle rare de la masse, homogène niveau qualité. Sur la face verte, outre la dernière piste mentionnée, « Psalms Alive » a tout pour plaire. Mais chez le jaune, comment ne pas parler de « Cocainium » planante et pleine de mélancolie, ou de la tubesque « Sea Lung » et du travail admirable de la guitare ? Voilà des morceaux qui montrent à bien des groupes ce dont Baroness est capable.
Récapitulons : un double album qui, non seulement, contient très peu de morceaux dispensables, mais en plus, amène une prise de risque réussie ? C'est assez rare pour être souligné de nos jours. Intention louable, et qualité musicale sont donc liés, et Baroness prouve donc sa valeur en tant que formation au talent réel. Ne reste donc qu'à solidifier encore quelques points négatifs. Néanmoins, cette incursion musicale vers des terres plus rock aura sans doute un lourd tribut à payer : perdre en route une partie non-négligeable de fans. Et quand on sait que dans leur genre initial, le sludge, Baroness est également capable de pondre des œuvres majeures (le très réussi Red Album notamment), voilà que des questions se posent sur la future ligne de conduite musicale : vont-ils continuer dans le rock tendance metal, ou retourner à leurs racines du sludge ? Difficile à dire, mais surtout, difficile de se faire une idée. Quand le cul est entre deux chaises et que le cœur balance entre l'un et l'autre, l'incertitude vient donner une teinte un peu amère au plaisir. Et seul l'avenir nous dira ce qu'il en est pour Baroness. Mais quoi qu'il en soit, ne pas profiter pleinement de Yellow & Green serait fort dommage.
Note finale : 8,5/10