"Versailles est une ville assez à part dont beaucoup de lieux semblent figés dans le passé, et cela sert forcément notre propos très nostalgique et axé sur l’Histoire."
Si nous avions été très vite séduit par la musique d'Abduction lors de la sortie de leur premier album en 2016, le nouvel opus du combo français, A l'Heure du Crépuscule, réussi à nous plonger encore plus dans son univers si séduisant. Un tel coup de coeur méritait bien une interview et ce sont pas moins de trois membres du groupe qui ont répondu à nos question!
En 2010, vous avez sorti un EP (alors chanté en anglais). Il aura fallu attendre 2016 pour voir la sortie de votre premier album et seuls deux ans le séparent de À l’Heure du Crépuscule, votre nouvel opus. Qu’est-ce qui justifie cette accélération de votre rythme ?
François Blanc (chant) : Je me permets ici de préciser une petite chose : en dépit de l’usage de titres anglais sur notre EP Heights’ Shivers, seul le deuxième titre, "Banquet For Another Dead World" comporte des paroles anglaises. Et si ce titre est chanté en anglais, c’est pour une raison bien précise : il s’agit d’une réinterprétation d’une chanson écrite par mon prédécesseur, le chanteur et guitariste Guillaume Roquette, pour Hilde, son projet personnel. Il y a donc de très fortes chances pour que cette chanson demeure une exception dans notre discographie ! Le concept d’Abduction, qui puise abondamment dans sa fascination pour l’Histoire de notre pays, nécessite que les textes soient écrits dans notre belle langue. Pour répondre à ta question, je pense qu’en réalité, notre rythme de parution actuel est celui qu’il aurait toujours dû être : si Guillaume (Fleury, guitare) ne laisse rien au hasard lorsqu’il compose, il déborde généralement d’idées et a toujours du matériel de côté, d’excellentes mélodies qu’il conserve en vue d’albums futurs. Il nous a fallu beaucoup de temps pour venir à bout de notre premier opus, car nous avons rencontré toutes sortes de galères et de problèmes techniques en tout genre, et il nous a aussi fallu nous mettre en quête d’un label. Plutôt que de rester les bras croisés durant cette période d’inactivité forcée, Guillaume a engrangé beaucoup de matériel. L’essentiel de À l’Heure du Crépuscule était déjà écrit au moment où Une Ombre Régit les Ombres est sorti ! Et nous avons la chance de nous retrouver dans cette position avec le troisième album, qui est certes loin d’être achevé mais ne devrait pas se faire attendre trop longtemps. On ne saurait jurer de rien, mais je suis convaincu que les auditeurs d’Abduction n’auront plus jamais besoin d’attendre six ans entre deux sorties, comme cela avait été le cas entre la démo et le premier album !
Malgré la longueur de vos morceaux, vous faites donc partie de ces groupes qui écrivent plus de titres qu’il n’en faut pour l’album et qui réalisent ensuite un tri pour l’enregistrement ?
François : Généralement, Guillaume a une idée assez précise du résultat qu’il souhaite atteindre lorsqu’il compose. S’il estime qu’un certain riff ou une certaine partie ne colle pas avec l’atmosphère visée, il la met de côté pour un prochain album. Notre premier opus était assez sombre et brut, A l’Heure Du Crépuscule est un peu plus mélancolique et contemplatif, le troisième sera plus épique et médiéval. Les albums doivent garder une certaine cohérence. C’est en ayant ses références en tête que Guillaume fait le tri dans ses très nombreuses idées. Il arrive parfois qu’il enregistre un riff et le peaufine alors qu’il sait pertinemment qu’il ne sera pas exploité et publié avant plusieurs années.
Une Ombre Régit les Ombres avait récolté de bonnes critiques à sa sortie. Cela vous a-t-il mis la pression pour son successeur ? Qu’est-ce qui a changé dans le groupe depuis votre premier album ?
Morgan Velly (batterie) : Pas vraiment de pression, mais une grosse frustration à extérioriser ! Le premier album a mis beaucoup trop longtemps à être réalisé. Par exemple, j'ai enregistré et finalisé ses prises de batterie en 2013 ! L'album est sorti en 2016... Je te laisse imaginer à quel point ça peut être frustrant. Du coup, le second album avait pu être pas mal avancé par Guillaume. On était surmotivés par la sortie du premier album. On a donc enchaîné rapidement en prenant soin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. J'ai beaucoup bossé avec Déhà, notre producteur encore une fois, en amont pour que le mixage et le mastering soient les plus simples et fluides possibles. Je me rappelle encore avoir dû rebosser certaines partitions pour Déhà sur le premier album à cause d'ennuis techniques. Une bonne symbiose s'est créée avec lui et c'est aussi pour ça qu'il nous aide encore aujourd'hui !
François : Je pense que l’expérience nous a fait mûrir, tant sur le plan humain qu’en tant que musiciens. Une Ombre… marque mes débuts au sein d’Abduction. Je me sens bien plus à l’aise aujourd’hui et assume mieux mon rôle de chanteur, car j’ai le sentiment d’avoir pris mes marques. Je saisis mieux et plus instinctivement ce que Guillaume attend de moi et ce dont la musique a besoin. J’ai beaucoup aimé enregistrer le premier album, mais ce n’est rien en comparaison du torrent constant d’émotions qui m’a submergé lorsque j’ai effectué les prises de chant de A L’Heure Du Crépuscule.
Guillaume est le principal compositeur de votre premier album. Est-ce que c’est toujours le cas et avez-vous pu travailler en groupe cette fois ?
François : Guillaume est et demeure le principal compositeur d’Abduction. Il est le garant de l’identité du groupe, celui qui porte le concept et écrit toutes les guitares, le fondement de notre propos musical. Et il en sera toujours ainsi ! Cependant, chacun de nous est libre d’apporter ses suggestions et sa pierre à l’édifice. Si Guillaume a le dernier mot quant à chaque élément qui figure dans l’album, Morgan présente ses propres lignes de batterie et Mathieu (Taverne, basse) écrit l’intégralité des textes et la majorité des lignes de basse. Quant à moi, je me suis davantage impliqué dans la préparation de mes parties vocales sur ce disque que sur le précédent. J’ai écrit quelques mélodies et fait davantage de suggestions. Cela a contribué à rendre l’expérience de l’enregistrement encore plus exaltante !
Dans des interviews au moment de la sortie de Une Ombre Régit les Ombres, vous annonciez que votre musique avait été influencée par l’atmosphère de Versailles. Est-ce toujours le cas ou êtes-vous allez puiser votre inspiration dans d’autres lieux ?
Guillaume Fleury (guitare) : Résidant toujours à Versailles et ayant mis en place les morceaux ici je peux affirmer que l’ambiance particulière de cette ville a encore eu un impact sur mon écriture, oui. Versailles est une ville assez à part dont beaucoup de lieux semblent figés dans le passé, et cela sert forcément notre propos très nostalgique et axé sur l’Histoire. Mais l’inspiration peut également venir d’autres endroits comme ma région natale, la Seine-et-Marne, où je retourne encore régulièrement, ou encore d’images telles que des tableaux ou photographies, de lectures ou de situations particulières voire même de météo. Certaines conditions climatiques sont ainsi parfois plus inspirantes que d’autres.
En parlant de tableaux : l’œuvre "L’Automne" d’Anne - Louis Girodet-Trioson orne votre nouvel album. Quel sens donnez-vous à cette peinture ? Est-ce la symbolique de l’automne en tant que saison qui est importante ?
Guillaume : Cette symbolique est en effet importante pour nous, car nous avons toujours eu la sensation que cette saison, plus qu’une autre, illustrait le mieux l’ambiance que nous cherchons à développer avec notre musique. J’ai découvert ce tableau en visitant le musée de Compiègne il y a un peu plus de huit ans et ai immédiatement su qu’il figurerait la pochette de notre second album. Ainsi, la pochette elle-même a pu en plusieurs occasions influencer l’écriture. Cette allégorie illustre selon moi parfaitement la nostalgie et l’ambiance crépusculaire que nous cherchons à développer.
Plus que jamais, votre musique alterne mélancolie et grandiloquence. Est-ce un reflet de vos personnalités ?
François : Probablement ! Même si nos personnalités et nos tempéraments sont très différents, nous sommes réunis par notre profonde passion pour la musique. Personnellement, je me reconnais parfaitement dans les deux mots que tu évoques. Il m’arrive très souvent d’être exalté, plein de passion et de joie, mais j’ai aussi mes accès de mélancolie et une part de nostalgie profonde. Il nous arrive à tous de passer de l’abattement à l’euphorie – même si certains d’entre nous sont de nature discrète et pudique –, et je pense que ces émotions très fortes rejaillissent et trouvent naturellement leurs places dans la musique d’Abduction.
Vous utilisez des extraits de films samplés dans votre musique. C’est un procédé qu’on retrouve assez peu dans le courant musical qui vous concerne. Pourquoi ce choix ?
Guillaume : Lorsque nous abordions l’écriture des textes, Mathieu et moi cherchions à rendre hommage au cinéma classique français qui nous touche énormément. Cela nous est alors apparu naturel d’avoir recours à quelques extraits de film auxquels, une fois placés dans nos morceaux, nous pouvions donner un sens différent qui collait avec notre propos. Notre choix s’est ainsi porté sur le film "Les Enfants Du Paradis" de Marcel Carné. Nous avons également prolongé cette idée en nommant deux morceaux d’après des films qui nous ont marqués : "Les Visiteurs Du Soir" et "La Grande Illusion", parce que ces titres collaient avec l’esprit de la musique.
La question qu’on doit vous poser souvent : Aimeriez-vous interpréter votre musique en concert ? Pourquoi ne pas vous lancer dans une tournée ou une petite série de concerts ponctuels ?
Morgan : On aimerait beaucoup oui ! Mais, ce n'est pas vraiment une priorité pour le moment. Et puis, on aimerait que chaque représentation soit unique. Idéalement, nous ne donnerions des concerts que de façon ponctuelle, afin qu’il s’agisse de prestations particulières. Mais qui sait, peut-être que nous finirions par prendre goût aux joies de la scène par la suite ? A voir, donc !
Quelle est la suite pour vous ? Comment imaginez-vous le futur du groupe ?
Morgan : Continuer à écrire et proposer notre vision de la musique aussi longtemps que possible. L'inspiration n'est pas près de se tarir !