Il y a des groupes qui possèdent un talent infini, mais pour lesquels la reconnaissance ne vient jamais. Enfin, jamais, le terme est fort, mais par rapport à d'autres, la renommée reste loin derrière les ténors. Dans le metal progressif, cette introduction prend tout son sens dans le cas de Threshold. En dépit d'une signature chez Nuclear Blast, d'une longue existence et d'une série d'excellents albums, le groupe britannique reste confiné dans un cercle d’initiés, encore trop dans l'ombre comparativement au talent et à la qualité des opus proposés. Et surtout, quand un événement tragique vient bousculer la vie d'une telle formation (à savoir la mort de leur désormais précédent chanteur Andrew McDermott qui avait quitté Threshold en 2007), on pourrait presque penser que le sort s'acharne sur eux. Mais March of Progress, marquant le retour dans le combo du talentueux Damian Wilson, va remettre les pendules à l'heure et permettre, une fois de plus, à ce sextet de s'asseoir sur le trône du progressif.
Outre un son absolument excellent et octroyant une puissance rêvée aux musiciens, Threshold se permet de ne pas trop dérouter les fans, tout en leur laissant quand même entrevoir pas mal de nouveautés. Le chant mis à part, la formation évolue et prend un nouveau départ, sans laisser toutefois leur passé derrière. On reconnaît immédiatement cette signature musicale, unique en son genre, berçant toujours dans un metal progressif d'excellente tenue, mais se parant également d’apparats … pop. Le mot est lâché, et cela a de quoi faire peur. Pourtant, au contraire, il faudrait presque s'en réjouir, car l'utilisation de ce mot n'est pas à prendre dans son sens le plus péjoratif. Sans tomber dans le simpliste et le superficiel, les mélodies affirment un côté très direct, catchy, et ce, totalement assumé (un peu à l'instar du dernier Pagan's Mind). Ainsi, « Ashes », « The Hours » et « That's Why We Came » en bénéficient, pour le meilleur uniquement. Pop-metal progressif ? N'abusons pas, mais pourtant, parfois, la frontière est mince … sans que cela ne soit une tare. Oh non.
Car le côté efficace est bien LA surprise de ce brûlot. Threshold n'était pas connu pour faire du cousu de fil blanc, ou de l'amateurisme. Et ce ne sera toujours pas le cas, fidèle à leur réputation. Cependant, par rapport à l'accoutumée, les refrains se veulent des pierres angulaires, marquants, profonds et emportant l'auditeur dans des contrées magnifiques, des paysages de rêve. « Ashes », judicieusement choisie comme single, est une preuve de l'imparable March of Progress : capable de mélanger technicité, longueur progressive et pop, le titre est littéralement brillant de maîtrise et de talent (que ce soit dans le riff tranchant, le clavier et sa touche mélodique impeccable, la batterie variée), avec une ligne de chant frôlant la perfection. Vous avez dit hymne ? L'idée est là. Et c'est un schéma qu'ils reproduisent souvent, sans jamais tomber dans la redondance. Pas de structures répétitives, pas de plans similaires, que de la diversité et de la cohérence. A ce moment-là, difficile de résister au charme.
Évidemment, il faut bien trouver des défauts à cet ensemble quasiment parfait. Car la perfection, elle, c'est bien connu, n'est pas de ce monde. Déjà, on évoquera « Coda », moins réussie. Pourquoi celle-ci, alors qu'un travail évident semble y être réalisé ? Tout simplement car cette influence Faith No More (indéniable dans les lignes de chant) ne colle pas réellement à l'ambiance que le morceau tente de créer, ce qui fait un peu retomber sa saveur. Et Damian propose un chant trop haché, un découpage peu agréable. Dommage, ce sera le seul point noir. Allez, pour faire pointilleux, « Staring at the Sun » est une mid-tempo un peu facile sur les bords, même si le travail du clavier y est excellent. Le morceau l'est tout autant, mais bascule peut-être un peu trop dans les penchants un peu mielleux de Threshold. Enfin, on pardonnera bien vite les britanniques tant la voix du chanteur est merveilleuse, et sur cette piste, il s'illustre particulièrement bien. Brillant, tout bêtement. D'autres défauts ? Difficile d'en trouver en stock. Par contre, si vous cherchez des qualités, outre les citées ci-dessus, vous serez servis.
Un peu rustique comme photo pour un album nommé "March of Progress", non ?
Le retour de Damian Wilson au sein de Threshold est un véritable plus pour le combo. Celui-ci est tout aussi talentueux et excelle tout autant que son défunt prédécesseur, et aide ainsi les différentes pistes à atteindre des sommets. Sa charge émotionnelle est colossale, et quand les morceaux mettent l'accent là-dessus, sa performance aide à graver les refrains dans l'esprit de l'auditeur. Que ce soit « Ashes », « Staring at the Sun », « That's Why We Came » et surtout « The Hours », tout est calculé pour plaire, le tout sans perdre la spontanéité. Car Threshold garde cette authenticité, qui fait qu'ils sont reconnaissables entre milles, un peu comme les norvégiens de Pagan's Mind, en somme. Et même si l'album n'est pas centré seulement sur la voix de Damian Wilson, son chant reste grandement placé très en avant. Le seul point noir sera donc « Coda » mais il se rattrape dans les territoires modernes de « Colophon », autre sujet d'exploration intéressant pour la formation anglaise. Amputez-donc ce chant, et vous n'êtes pas sûr d'y retrouver un si bon résultat.
Trois titres surnagent de cet ensemble. Si tout (ou presque) y est excellent, des morceaux le sont, eux, plus que les autres. C'est déjà difficile à imaginer mais quand on atteint un tel degré de beauté et d'émotion, alors il est impossible de douter davantage. « The Hours » et ses chœurs, son rythme, son refrain … tout y est. On ne demande pas mieux à Threshold. La voix de Damian Wilson y atteint des sommets. Pire, il perce le ciel pour aller chercher encore au-dessus, ce frontman se surpassant, avec un naturel déconcertant. Et quand vous pensez que ce sera dur de faire aussi bien, « That's Why We Came » se présente. Prenant des allures de mid-tempo pop rock / metal, tout y est porté par le chant plus que sublime. La piste transcende, et nous fait rêver. C'est impressionnant de dextérité, et le calcul y est parfait : le passage acoustique, les distorsions sur le chant, le refrain, tout est d'orfèvre. Enfin, « The Rubicon » est un monument. 10 minutes, mais qui passent à une vitesse folle. Ne tombant heureusement pas dans le meublage ou la démonstration technique inutile, le côté pop y est savoureusement exploité. Paroxysme de la combinaison entre l'efficacité et la maîtrise instrumentale, refrain subjuguant, clavier savamment dosé, c'est un enchantement. On ne se rend même pas compte que la fin approche à grand pas.
Que dire de plus, si ce n'est qu'avec March of Progress, Threshold signe une petite merveille. Un album à posséder, un joyau qui ne prendra pas la poussière sur votre étagère, c'est certain. Le metal progressif ayant déjà révélé le potentiel de l'excellent mais trop méconnu Pagan's Mind l'an passé avec son Heavenly Ecstasy, dans la sphère confinée des « connaisseurs », Threshold enfonce le clou. Désormais, l'espoir de voir le combo obtenir la renommée qu'il devrait avoir est permis.