Après la séparation quelque peu abrupte des membres de The Oath, Johanna Sadonis décide de fonder Lucifer en 2014 pour continuer à créer la musique qu’elle aime par-dessus tout. Elle fera la rencontre de Gaz Jennings (ex-Cathedral) qui travaillera avec elle sur son premier album, Lucifer I sorti en 2015. Gaz Jennings quittera la groupe une année plus tard, mais cela n’empêchera pas Johanna de continuer à composer. C’est grâce à une autre rencontre que Lucifer II voit le jour le 6 juillet dernier. En effet, Johanna rencontre Nicke Andersson (Entombed, The Hellacopters). C’est de leur coup de foudre à la fois personnel et musical qui naîtra ce nouvel album. Nous avons eu la chance de pouvoir les interviewer tous les deux afin d’en savoir un peu plus sur la création de Lucifer II.
Ma première question s’adresse à Johanna. Avant de créer le groupe Lucifer. Tu chantais pour The Oath, mais le groupe a volé en éclat il y a quatre ans de ça et tu as décidé de remonter un nouveau groupe, Lucifer, tout de suite après cette séparation. Pourquoi ce choix ? Est-ce que The Oath ne collait pas à ta vision de la musique ou y a-t-il d’autres raisons ?
Johanna : En fait, nous avions beaucoup de choses de prévues avec The Oath. Ce n’était pas un problème d’entente musicale. La musique était super et j’ai adoré faire cet album avec The Oath. C’est juste que parfois, les choses ne se passent pas comme on le voudrait avec les autres personnes, et malheureusement, l’aventure The Oath a pris fin prématurément, même si nous avions plein de projets ensemble. Donc au lieu de me morfondre, j’ai décidé de continuer à travailler mais pour un autre groupe. J’ai pris le temps de réfléchir. Et je me suis lancé dans l’aventure Lucifer pour continuer à jouer la musique heavy / rock que j’aime.
Pour le premier album, Lucifer I, tu as fait équipe avec Gaz Jennings. Celui-ci a été bien reçu. Puis, pour Lucifer II, il y a eu un changement de line-up. C’est Nicke, ici présent avec toi qui a pris le relais. Comment vous-êtes vous rencontré tous les deux ? Et comment vous est venue l’idée de travailler ensemble ?
Johanna : En fait, on s’était déjà rencontré quelques années auparavant au hasard d’un concert. Mais en septembre 2016, il a joué à Berlin avec Imperial State Electric et après le concert, on a commencé à parler de Blue Öyster Cult et à partir de ce moment nous n’avons jamais arrêté de nous parler. Nous sommes tombés amoureux. Et quelques mois plus tard, je suis rentrée de ma tournée avec Lucifer. Gaz a quitté le groupe. Et Nicke et moi-même parlons énormément de musique. On a beaucoup de choses en commun, plein de choses que nous aimons tous les deux. En particulier le rock des 60s et des 70s. Je ne savais pas vraiment comment continuer avec Lucifer parce que j’avais écrit le premier album avec Gaz. Puis c’est Nicke qui a l’idée que l’on écrive un album ensemble. Après en avoir longuement parlé, nous avons commencé à faire des démos et à les enregistrer directement en studio.
Et comment travaillez-vous ensemble ? Comment écrivez-vous vos chansons ?
Nicke : Eh bien, tout d’abord, je n’avais jamais vraiment travaillé avec quelqu’un. Normalement, je fais ça seul. Donc je dois dire que j’étais à la fois intrigué et intéressé par comment Johanna et Gaz avait travaillaient ensemble. On a parlé et on a décidé d’essayer d’écrire ensemble. On a travaillé à peu près de la même façon que Johanna et Gaz l’avaient fait pour le premier album. J’envoie mon travail à Johanna, elle me renvoie des modifications et me donne des directions à suivre. Je pense que c’était plutôt similaire à comment vous aviez travaillé Gaz et toi avant, non ?
Johanna : Oui, tout à fait.
Nicke : Et puis, je suis vraiment très content que ça ait marché !
Nicke, pour cet album tu as enregistré toutes les parties batterie et basse, ainsi que la moitié des parties guitare. Pourquoi ?
Nicke : En fait, on s’est dit "faisons cet album et trouvons les musiciens ensuite", car sinon, ça aurait pris bien plus de temps à enregistrer.
Johanna : Oui parce qu’on avait cette chance que Nicke ait son propre studio. On a pu enregistrer immédiatement. On a ressenti que c’était la meilleure chose à faire. On s’est dit qu’on complèterait le line-up lorsque l’on aurait planifié nos premiers concerts, puis nous avons trouvé les membres parfaits pour compléter le groupe. En fait, on n’avait pas la nécessité de trouver des musiciens tout de suite. On a tout enregistré spontanément sur le moment. On n’avait besoin de personne, c’est pour ça que Nicke a enregistré tous les instruments.
Nicke : Ça n’a rien d’un problème d’ego. On s’est juste dit « Faisons-le, maintenant ! »
Johanna : Oui c’est vraiment une histoire de ressenti à un moment précis.
Et comment avez-vous rencontré les autres membres du groupe ?
Johanna : Robin Tidebrink était déjà membre de Lucifer avant. Et Nicke était en tournée avec Imperial State Electric et leur première partie était Dead Lord, un autre groupe suédois. Je discutais avec la fille qui s’occupait du merch et je lui ai dit que je cherchais un guitariste et un bassiste et elle m’a dit que le bassiste de Dead Lord, Martin Nordin, était aussi un excellent guitariste. Je me suis « ah ça peut être intéressant » et plus tard dans la soirée, j’étais un peu pompette et je suis allée le voir en lui disant « Eh ! ça te dirait de jouer de la guitare dans Lucifer ?! » et il m’a répondu « Ouais ! ». Et puis, après la tournée, je lui ai redemandé plus sérieusement et il était toujours d’accord. Puis, il y a aussi Alexander Mayr à la basse…
Nicke : … à qui j’ai demandé s’il connaissait quelqu’un qui aimerait jouer de la basse pour nous et il m’a dit « Pourquoi pas moi ! ». Et j’ai dit « Ah oui, c’est vrai ! Tu joues aussi de la basse. J’avais oublié ! »
Johanna : On lui a donc laissé nous faire une démonstration et il s’est avéré qu’il était vraiment très bon. Donc, oui, on a ajouté tous ces gens au groupe et en plus d’être d’excellent musiciens, ce sont tous des personnes d’une grande gentillesse. C’est vraiment quelque chose de très important quand vous passez du temps sur la route avec tous ces gens. Il faut que le courant passe musicalement, mais aussi sur le plan personnel.
Nicke : Et bien sûr, ils doivent tous avoir les cheveux longs !
Johanna : [Rire] Oui parfaitement, c’est un critère de sélection !
Quelle a été votre partie préférée dans la création de cet album ? L’écrire ensemble ou l’enregistrer ?
Nicke : Je dirais les deux.
Johanna : Oui les deux. L’écriture était vraiment palpitante. C’était génial pour moi de voir tout ce que Nicke pouvait apporter.
Nicke : Et vice versa pour moi.
Johanna : Et concernant le studio, eh bien… J’adore être en studio pour enregistrer la voix !
Nicke : J’aime aussi les deux aspects mais pour des raisons différentes.
Johanna : En fait, ce n’est pas seulement aimer enregistrer le chant. J’aime aussi traîner dans le studio, écouter ce que Nicke enregistre, ainsi que les autres groupes. J’adore juste me poser dans un coin et regarder ce qu’il se passe. Je trouve que l’atmosphère d’un studio toujours incroyable.
Nicke : Oui… Johanna c’est un peu ma Yoko [rire]
Etes-vous contents du ressenti du public sur les nouveaux morceaux en live ?
Nicke : Oui absolument. On avait déjà joué quatre concerts avant la sortie de l’album et ça a été génial !
Johanna : Oui, on a joué deux concerts en Suède, un au Danemark et un à Berlin au Desert Fest. On a pu y tester les nouveaux morceaux en live. Des choses que le public n’avait jamais entendues. Et le ressenti a vraiment été bon. Nicke a même dû me convaincre de jouer des morceaux du premier album car je suis tellement amoureuse de ce deuxième album qu’on en a pratiquement joué toutes les chansons, mais sur scène, on n’a pas forcément le temps nécessaire de tout faire. On a joué l’album en entier lors de notre concert de promotion le jour de sa sortie à Stockholm le 6 juillet. On a joué également pas mal de morceaux au Hellfest. On a forcément joué ''Phoenix" car c’est le morceau que je préfère chanter. Et toi, quelles chansons aimerais-tu entendre en particulier en live ?
Je crois que ne pourrais pas en choisir une ou deux en particulier parce que j’ai vraiment adoré tout l’album et je suis vraiment déçu de ne pas avoir pu aller au Desert Fest ni au Hellfest cette année pour vous voir.
Johanna : Il y aura une tournée européenne cet automne. Je ne sais pas encore exactement où nous jouerons. On jouera certainement en France mais je ne sais pas encore où. Ce seront des dates dans des salles et pas en festival cet automne.
Parlons un peu plus de l’album en lui-même. Quel genre de message voulez-vous faire passer avec votre musique ?
Johanna : C’est une bonne question. Ce n’est pas un album conceptuel. On n’a pas réellement pensé à un message en particulier à faire passer.
Nicke : Je crois que pour moi, cet album doit simplement donner envie au gens de l’écouter, s’ouvrir une bière ou une autre boisson au choix.
Johanna : Comme une bonne bouteille de vin… En fait, j’espère juste que cet album touche les gens. Les chansons sont très diverses au niveau des paroles. Elles sont toutes très personnelles. J’ai juste pensé que les gens pouvaient s’y retrouver et être touchés émotionnellement comme je peux l’être quand j’écoute quelque chose. Nous sommes vraiment deux grands fans de musique. Et je pense que certains albums représentent quelque chose de spécial pour chacun d’entre nous. Et j’espère que l’on réussira à toucher certaines personnes avec Lucifer II.
En effet, vos chansons sont très personnelles et je me demandais ce que cet album représente personnellement parlant pour vous deux ?
Nicke : Je ne sais pas trop. Je pense que pour moi, tout ce que je fais musicalement est personnel même si je n’écris pas les paroles ou la musique. La musique est un peu une extension de moi. Cette question n’est pas facile pour moi. Je crois qu’en fait, j’aime juste énormément cet album.
Johanna : Je crois qu’un album reflète toujours ce que vous ressentez au moment où vous l’écrivez. Je pense qu’on évolue tous dans nos vies personnelles et les paroles sont souvent le reflet de ce que nous vivons. Et puis, cet album, c’est aussi un nouveau chapitre qui s’écrit pour Lucifer. J’ai l’impression qu'il sonne bien plus comme je l’avais imaginé que l’album précédent. Je suis plutôt fière de cet album. Pour moi il représente une sorte d’accomplissement personnel. J’ai vraiment essayé de me lancer un défi car je voulais impressionner Nicke et je suis vraiment contente du résultat. Je crois que pour moi, cet album est la meilleure chose que j’ai faite jusqu’à maintenant. Donc pour moi, c’est vraiment un accomplissement.
Est-ce que vous avez prévu de continuer à travailler ensemble et de faire un troisième album ?
Johanna : Oui, carrément ! On a prévu de sortir Lucifer III autour de septembre 2019. Là maintenant, nous venons juste d’emménager dans une nouvelle maison. On a voulu y faire un nouveau studio. Il sera prêt d’ici la fin du mois et on pourra commencer à enregistrer. Nicke a déjà plein de choses à faire parce qu’il travaille avec Imperial State Electric, The Hellacopters et c’est vraiment beaucoup de boulot. Mais bon, comme nous n’avons pas d’autres métiers en parallèle, je pense qu’on pourra commencer à travailler ensemble sur un prochain album dans l’année.
Nicke : Oui, on le fera !
Lucifer II a encore clairement des influences tirées du heavy et du hard rock des années 60/70. Qu’est-ce que vous appréciez particulièrement dans la musique de cette période ?
Nicke : Pour moi, il y avait de très bonnes chansons à cette époque au niveau des paroles. Et le son des enregistrements était complètement fou. Tout sonnait super bien. Pour moi, cette période est vraiment ma référence en matière de son. J’aime aussi certaines musiques des années 80, mais souvent, les années 80 ont un défaut au niveau de la production. Je préfère vraiment le son des 60s et des 70s.
Johanna : Pour moi, c’est un peu pareil. Je pense qu’il y a une raison pour que les grands noms des 70s perdurent et qu’on continue à entendre des échos de leurs sons dans la musique actuelle. Je pense que ce n’est pas pour rien que des groupes comme Deep Purple, par exemple, ont le statut qu’ils ont aujourd’hui. C’est parce que la musique de ce genre de groupes est un pilier de la musique rock. On ne peut pas en nier l’excellence. Cette musique semble ne pas souffrir des affres de temps. Elle est intemporelle. Il y aussi plein de petites abominations dans la musique, il y a tellement de ramifications et de branches différentes partant du rock, mais pour moi, tout prend quand même sa source dans la musique de cette époque.
En parlant de toutes ces ramifications. Est-ce qu’il y a des groupes actuels que vous aimez particulièrement ?
Johanna : J’aime Imperial State Electric [rire]. Non, mais j’apprécie vraiment ce groupe. J’aime aussi beaucoup Black Mountain, The Golden Grass et Golden Void, un super groupe.
Nicke : Void est aussi un super groupe. En fait, quand on commence à y réfléchir, il y a vraiment plein de groupes géniaux. JD McPherson est aussi un de mes musiciens préféré.
Johanna : J’aime Lana Del Rey [rire] mais c’est totalement hors sujet ! Je viens de perdre toute ma crédibilité metal !
Pas du tout ! C’est plutôt cool d’écouter toutes sortes de musique et en particulier des genres musicaux différents de ce que l’on fait. Il y a du bon dans chaque style musical.
Johanna : Oui, je le pense aussi. Sauf pour le reggae…
Nicke : Je suis d’accord ! J’aime bien la soul des années 60 et le R’n’B mais je ne suis pas un grand fan du reggae.
Johanna : Quoi ?! Tu n’aimes pas le reggae des années 80 ?!
Nicke : Mais bien sûr, le reggae des années 80 c’est formidable ! Particulièrement le reggae blanc suédois ! [rire] Mais bon pour moi, il y a d’autres abominations comme le rap/metal quand c’est vraiment pas bien produit.
Johanna : Je te trouve un peu dur. Par contre, j’aime beaucoup le hip hop des années 80, Public Enemy entre autres. Bon et sinon le rap français ça donne quoi ?
Disons que tout n’est pas bon aujourd’hui.
Johanna : Ça ne peut pas être pire que le rap allemand actuel. T’as déjà écouté du rap allemand ? Je pense que ça se rapproche aussi de ce qu’on peut entendre en France à la radio. Mais bon, j’ai emménagé en Suède avec Nicke, et il y a aussi du rap suédois ce qui pour moi reste assez incroyable.
Nicke : Ouais on a même du gangsta rap suédois !
Johanna : Oui alors que franchement la suède doit être un des pays les plus sécurisant aujourd’hui…
Nicke : Ne te moque pas du rap suédois ! Je vais te montrer moi, le côté gangsta de la Suède ! [Rire]
Je connais aussi pas mal de rappeurs finlandais. Et si on se penche à nouveau sur l’Allemagne, je tiens à préciser que quand même en 2007, l’un des titres phares à la radio s’intitulait ‘’Du hast den schönsten Arsch der Welt’’ ce qui veux dire « Tu as le plus beau cul du monde ». Donc on va arrêter de se moquer des artistes suédois.
Nicke : Ah ah ! C’était aussi un groupe de hip hop ?
Non, plus de l’électro. Le genre de truc qu’on écoute en boîte. Mais je vous invite à regarder le clip si vous avez loupé ça.
Johanna : C’est dingue quand même. Aujourd’hui ce qu’on entend à la radio est souvent de mauvaise qualité alors qu’il y a tellement de bons groupes, de bons musiciens quel que soit le style musical. Je crois que la musique qui passait à la radio dans les années 80 me parle plus que la musique actuelle.
Nicke : Et on se rappelle des chansons des années 80, et de bien avant. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on oublie vite ce qui a été un tube deux ou trois ans auparavant.
Johanna : La musique devient plus « consommable », on la consomme et on la jette pour avoir quelque chose de nouveau. Mais heureusement, on essaye de faire les choses différemment et de garder l’esprit du rock’n’roll en vie.
Une dernière question, histoire de revenir un peu sur votre musique. Pouvez-vous choisir un mot pour me dire ce que Lucifer représente pour vous et pourquoi ?
Nicke : Ah ! Je peux dire mon mot en premier, parce que j’ai peur que tu choisisses le même !
Johanna : ok !
Nicke : Je dirais MAGIE.
Johanna : Ah. J’aime bien. Mais maintenant tu dois expliquer pourquoi.
Nicke : Oh… Je dois vraiment l’expliquer ? Eh bien, pour moi Lucifer tient de la magie sur plusieurs plans. C’est la magie de faire de la musique avec une personne qui partage votre vie. Et c’est vraiment génial. Je n’avais jamais fait ça avant. Et le fait que nous faisions cette sorte de musique est magique. Je ne sais pas quoi dire d’autre.
Johanna : Merci, d’avoir piqué mon idée [rire] ! Bon… Je dirais PASSION parce que je pense que tout ce que vous faites dans votre vie doit être fait avec passion, sinon ce n’est pas la peine de le faire. La passion vient aussi du fait d’avoir un groupe qui vous tient vraiment à cœur. J’y mets beaucoup de passion et nous partageons cette passion de faire et d’écouter de la musique. Et nous sommes vraiment sincère dans ce que nous faisons.