Si l'on devait déterminer quelles sont les sonorités qui ont apporté leur part d'innovation au crépuscule de cette décennie, l'avant-garde trônerait bien devant. La dénomination du genre est elle-même un fourre-tout, et Shining, avec son metal aux premières influences black acéré mêlé de passages rythmiques alambiqués et généralement ponctué de saxophone, l'a bien compris. Pourtant, les couleurs de la pochette de Animal ont envahi les appréhensions. C'est l'esprit plein de doute que l'on aborde celui qui nous semble enfoncé dans un carcan bien commun à notre période mais qui n'augure rien de bon.
L'impression assez nauséabonde se confirme dès les premières notes de "Take Me" : Shining nous la joue revival 80. L'introduction de l'album use des claviers à outrance, dans une ligne mélodique faisant pas mal penser à "Separate Ways (Worlds Apart)" de Journey. Démarche pas forcément idiote, le public s'étant pas mal tourné vers le passé dernièrement, et beaucoup de groupes emboîtent actuellement le pas pour se la jouer réverb et néons à paillettes. On pense notamment au Prequelle de Ghost, au Night Flight Orchestra ou aux derniers clips de Muse, pour ne citer qu'eux.
Mais là où ces derniers, quelle que soit l'honnêteté et la pertinence de la tentative, proposent des mélodies accrocheuses, bien écrites et qui rentrent dans un délire bien précis et cohérent (on reste encore perplexe en ce qui concerne Muse, attendant l'album complet pour se prononcer), Shining peine à convaincre sur des compositions souvent pompeuses, rarement enjoueuses. Chose que l'on a vu venir dès la lyric video de "Animal", qui ne faisait peur que par son emballage rosé coloré. Les morceaux, calibrés radio dans un aspect efficace et droit au but, peinent à poser une ambiance, paraissent presque trop courts, et les refrains, tout comme la voix de Jørgen Munkeby, étonamment, sont faibles à souhait. On pense notamment à celui de "Fight Song", appuyé d'une nappe de claviers franchement insupportable.
Et encore, on cite là les morceaux qui, par l'énervement qu'ils procurent ou quelques riffs qui distraient l'oreille, ont été retenus. Le fait qu'ils soit placés en début de disque n'est pas non plus anodin. Dès "When The Lights Go Out", titre entre le mid-tempo et la power balad assez insupportable, on aura du mal à s'impliquer ni à donner une chance à la deuxième moitié de la galette. On est surtout triste de voir qu'à vouloir faire une sorte de "pop énervée", Shining en oublie jusqu'à ses musiciens, noyés sous les effets et dont les lignes restent assez binaires. Guitares, basse et batterie plaquent accords simples et rythmes délaissés, faisant de l'album quelque chose de bien trop simple.
Quand on sait que la particularité des grands groupes de pop music est la qualité de ses musiciens, ces derniers dissimulant sous leurs mélodies des arrangements bien plus riches qu'au premier abord, le bât blesse. Ici, les arrangements, centrés sur les nappes ou gimmicks de claviers, sont trop minimalistes et tape-à-l'oeil pour accrocher. Ce qui est d'autant plus dommage quand la production, léchée à souhait et énergique, pourrait parfaitement mettre en avant des morceaux plus aboutis.
Le reproche principal que l'on aura vu tourner à l'approche de l'album est qu'il n'y a plus de saxophone. Nous irons plus loin : il n'y a plus rien de l'identité qui a fait les premiers albums de Shining. Pour autant, on ne peut pas dire que ce n'est pas un album légitime dans la discographie du groupe. À partir du moment où ses compositeurs ont décidé que ce serait là leur nouvelle page, ils sont seuls maîtres à bord et aptes à décider quelle musique ils vont désormais défendre. Et d'ailleurs, le changement radical de style fait partie de l'ADN des Norvégiens.
Il faut d'ailleurs remonter à Blackjazz (2010) pour trouver des titres dépassant les six minutes. Shining est donc un habitué des formules courtes, qui vont droit au but, mais dont les influences le pousse constamment à enrichir la partition pour jouer de subtilité, ce qui n'est aucunement le cas ici. On ne met donc pas en doute la logique de continuité du groupe, qui change constamment sa recette et n'hésite pas à simplifier ses titres, mais on trouve simplement qu'ici, ces derniers manquent d'ambition, voire d'intérêt.
Peut-être certains vont-ils trouver en Animal une pièce unique, qui réveille leur nostalgie au même titre que les précédents opus faisaient écho à une évolution directe des délires de Robert Fripp. Sauf que là où l'hommage était flagrant, l'identité de Shining transpirait par tous les pores jusqu'à se dénoter et exister; c'est sur ce nouvel album un pastiche total, une régression, ne faisant que ressasser des choses que l'on a entendues il y a maintenant trente ans, sans que l'on ne ressente une once de nouveauté. C'est bien dommage, mais nous pouvons rester confiants quant à l'avenir du groupe, qui sera, à défaut de plaire, très probablement une fois encore différent. Après tout, si c'est une tentative ratée, ça n'en reste pas moins une proposition d'un groupe qui tente constamment autre chose.
Sortie le 19 octobre chez Spinefarm Records