Il est assez insolite de voir des groupes français à Taiwan, d’une part parce que c’est pas tout près, d’autre part parce que le territoire est bien plus petit que le Japon ou la Corée du sud, ce qui en réduit le potentiel commercial. C’est d’autant plus vrai pour le metal, la popularité de Cthonic sur ses terres reste une exception. Bien sûr, certaines formations sont parvenues à gagner une petite popularité, mais c’est essentiellement dans le Nu-met..., pardon, le métalcore qu’on les trouve, bien souvent de parfaits copier/coller locaux de copier/coller d’ailleurs. En ce qui concerne le metal extrême, c’est ceinture, même si bien sûr certains irréductibles continuent encore et toujours de prêcher la bonne parole, tandis que certains étrangers courageux bravent tous les dangers pour venir répandre la bonne parole.
Pour faire court, Kaohsiung serait l’équivalent local de Marseille : troisième ville du pays, et un des plus gros ports à conteneurs du monde. Peu de salles de concerts de petite et moyenne taille. Le Live Warehouse, bien connu des amateurs, ancien entrepôt rénové et plus ou moins équivalent (en taille) à La Machine du Moulin Rouge, est trop grand pour l’underground. Il reste alors quelques bars, comme le Paramount, qui a accueilli une quantité invraisemblable de formations au fil des années.
L'endroit ne paye pas de mine, mais a une grande importance dans la scène underground locale
Obsequial Joy
20h30, le premier groupe se lance. Obsequial Joy, de Taipei, officie dans un death mélodique mélancolique qui n’est pas sans évoquer Swallow the Sun par moments. Très mélodique, la musique du combo est basée sur des motifs déclinés par petites touches, les arrangements permettant de réaliser des transitions en douceur le long de compositions globalement longues. Sans doute un peu trop, le groupe gagnerait à condenser un peu, ou à trouver davantage d’éléments pour enrichir ses compositions. Scéniquement, on sent également que le quatuor manque d’expérience : les musiciens sont statiques (en même temps, vu leur musique !) et donnent par moments l’impression de ne pas trop savoir quoi faire. Défauts classiques de jeunesse. Cela étant dit, passe-t-on un mauvais moment ? Du tout, parce que la musique reste assez envoûtante et surtout parce que le quatuor tente de proposer quelque chose d’original, de singulier, de personnel. Il y a des maladresses, mais surtout une musique qui a une âme. A voir ce que le groupe pourra éventuellement devenir avec un peu plus de bouteille.
Goatzack
Une pause-clope plus tard, le temps de causer un peu avec les organisateurs, voilà que Goatzack débarque. Goatzack, groupe dans lequel officie le chanteur Kenny, du groupe de… metalcore Infernal Chaos, qui rencontre un certain succès à Taïwan, groupe monté par le guitariste de Chthonic. Pas de metalcore ici, on est plus proche d’un deathcore de bon aloi. Niveau professionnalisme, on monte clairement d’un cran. Les musiciens sont au poil, le batteur terriblement carré et plutôt impressionnant, le soliste nous envoie des parties de guitare pas piquées des vers qui apportent un brin de mélodie bienvenu à des compos pour le reste bien brutales, mêlant habilement parties ultra rapides et mid-tempo. Le chanteur Kenny est très à l’aise sur scène et fait parler sa grande expérience avec Infernal Chaos en prenant des poses tordues, pantin désarticulé et sinistre avec son corpsepaint du meilleur effet. Très efficace et visiblement attendu, le groupe n’a aucun mal à lancer quelques pogos, malgré le faible nombre de spectateurs (la salle n’est pas pleine). On attend désormais un premier enregistrement pour voir si le groupe parvient à faire preuve d’une réelle personnalité qui, associée à son efficacité, en ferait une formation à suivre.
Goatzack - Crédit Photo : Jimmy T's photography
Monarch!
C’est finalement au tour de Monarch! de s’installer, formation de doom/drone bien de chez nous, qui après quelques dates en Corée et maintenant à Taiwan se rendra au Japon. Le décor du groupe installe une ambiance particulière, avec une table qui prend une partie du devant de la scène, sur laquelle sont disposées des bougies, mais aussi des mixettes diverses et variées, domaine de la chanteuse Emilie Bresson qui distillera des effets tout au long de la prestation du groupe. Un groupe qui vit intensément sa musique, lentes boucles répétitives qui tentent d’instaurer un climat de transe hypnotique.
Les musiciens sont très impliqués dans leur musique, à l’image du batteur, dont la performance mérite le coup d’œil tant ces tempos ultra lourds requièrent de la précision. L’atmosphère se fait étouffante tandis que le public, qui découvre, est partagé entre ceux qui rentrent dans l’ambiance étouffante de ces lentes mélopées, et les autres qui restent de marbre devant des compositions qui se rapprochent plus de jams hippies que de titres structurés. C’est ce qui fait l’essence du genre, son attrait ainsi que ses limites. Mais du fait de musiciens impliqués et d’un public bienveillant, le bilan est plutôt positif. De là à dire que tout le monde a été pleinement convaincu… Bah, après tout, le style est par nature destiné à diviser. Bravo à Monarch! Pour cette tournée asiatique en tous cas, il fallait oser. Et bravo aux organisateurs de se bouger pour faire vivre la scène dans un pays qui ne jure que par le metalcore et la K-pop, deux genres peut-être moins éloignés qu'on pourrait le penser.
Monarch - crédit photo 劉芷洋 (Liu Zhi Yang)
Monarch - crédit photo 劉芷洋 (Liu Zhi Yang)
Monarch - crédit photo 劉芷洋 (Liu Zhi Yang)