C'est dans le cadre somptueux et iconique des Rocheuses que les Suédois d'Opeth ont choisi de capter leur dernier album live, Garden of the Titans : Live At Red Rocks Amphitheatre, sorti le 2 novembre chez Nuclear Blast. Est-ce la magnificence du cadre et de l'acoustique ? Est-ce l'expérience et la maîtrise du quintette mené par le génie créatif Mikael Akerfeldt ? Ou encore la production et le mix soigné ? Toujours est-il que cet album réussit l'inimaginable pour un groupe à la carrière marquée par autant de virages artistiques : Garden of the Titans est indéniablement un témoignage parfait et cohérent de ce que le groupe a pu faire de mieux, en balayant plusieurs albums mémorables de leur parcours presque trentenaire. Une évidence : La musique d'Opeth, pour ceux qui en doutaient encore, est culte. Et les Suédois l'affirment, tranquillement, en venant s'imposer aux Etats-Unis, comme véritables Titans du prog / métal / rock psychédélique.
Presque aussi passionnés que la querelle des Anciens et des Modernes, les désaccords entre les fans du « old Opeth » et les amoureux du « new Opeth » font rage, du moins sur les réseaux sociaux, depuis l'album-charnière Heritage sorti en 2011. C'est que la direction musicale, et l'identité artistique du groupe a muté, passant d'un metal progressif bien orienté death, à un prog plus psychédélique, avec l'abandon dans les derniers albums des growls légendaires de Mikael Akerfeldt pour un chant clair et une ligne plus mélodique... Les nostalgiques de la première heure pourront pleurer autant qu'ils le souhaitent, ils doivent se rendre à l'évidence : c'est cette direction qu'Opeth a choisie, a même embrassée depuis trois albums déjà, le retour au death semblant impossible... mais pour les lives, ceux qui ont vu Opeth en concert savent que le groupe joue toujours de nombreux titres de son répertoire, de l'ancien comme du récent, et Garden of the Titans n'échappe pas à la règle. Encore mieux, les Suédois nous offrent ici une setlist que l'on peut qualifier de parfaite : trois titres issus du dernier opus Sorceress, et sept autres morceaux tirés d'autres albums aussi variés que Ghost Reveries (2005), Watershed (2008) ou même My Arms, Your Hearse datant de 1998, pour un magnifique mélange de moderne et d'ancien.
La production, somptueuse, met en valeur chaque mot chanté, chaque instrument joué, toutes les nuances de ce concert. On est vraiment en immersion grâce au mixage de David Castillo (Bloodbath, Katatonia), qui nous fait ressentir la voix, le phrasé et le timbre de Mikael. Sur la ballade sombre et mélancolique "In My Time Of Need", par exemple, sa voix chaude et profonde s'adapte parfaitement au son prog très seventies du morceau. L'excellent "The Devil's Orchard" (issu de l'album Heritage) nous plonge dans une ambiance film d'horreur des années 1970, conclue par une dernière partie exceptionnelle marquée par les ruptures de rythme notamment avec la batterie magistrale tenue par Martin “Axe” Axenrot, un solo de guitare épique et du chant plus haut. Est-il possible d'être charismatique uniquement par le son ? Clairement oui, comme à l 'écoute du titre d'ouverture, le récent "Sorceress", où la présence vocale de Mikael Akerfeldt est indéniable, son phrasé précis. Les harmonies, les riffs lourds des guitares et l'utilisation habile de la basse de Martín Mendez et des claviers de Joakim Svalberg font de ce titre un hymne à la fois heavy et psychédélique.
L'une des épreuves parfois périlleuses dans un album live : plaire aux fans en jouant les « classiques » attendus par le plus grand nombre, si possible pas comme sur l'album à proprement parler, mais pas trop différemment de l'album quand même... Là aussi, Opeth réussit le coup de maître de jouer des titres historiques, emblématiques et grandioses, en démontrant la maîtrise des musiciens, mais surtout en nous donnant à voir et à entendre la force du génie créatif de Mikael. On peut évoquer l'énorme "Heir Apparent", un des titres les plus agressifs du groupe, ponctué de riffs sinistres de Mikael et Fredrik Åkesson, et de growls puissants (certes, un peu moins puissants qu'avant, probablement légèrement modifiés en post-prod mais... admettons que les borborygmes du passé ne sont plus, voilà ! Ceux qui restent sont tout à fait honorables) … et quel voyage épique avec une belle outro heavy et mélodique à souhait.
Ce qui fait l'identité d'Opeth depuis le début ce sont ces compositions complexes, riches et subtiles, qui font (re)découvrir des détails, des instruments, des harmonies dans certains passages que l'on croyait connaître. C'est le cas pour les deux chefs d'oeuvre "Ghost Of Perdition" et "Demons Of The Fall". Titres très différents, certes ; le premier sonne d'un groove très prog avec des passages acoustiques très intéressants, alors que le second est très marqué par le contraste entre les growls et l'instrumentation très mélodique. Mais ce qui est impressionnant dans ces deux titres, c'est réellement les compositions prog, ambitieuses, mélodiques et épiques, mises en valeur dans l'écrin de Red Rocks Amphitheatre.
Le concert se conclut de la plus belle des manières, avec les 14 minutes de "Deliverance" (de l'album éponyme sorti en 2002). Rien à dire, tout est là : un morceau très rythmé, un voyage dans différents univers, une belle alternance entre growls et voix claire. Quand on entend le public les acclamer, il est clair qu'Opeth n'a plus rien à prouver. C'est une histoire d'amour entre les fans et le groupe, qui dure depuis plus de 25 ans, qu'on ne peut renier quand on entend le public reprendre en choeur les paroles de titres vieux de plus de quinze ans - quel magnifique moment dans "In My Time Of Need" ! Tout est ici, cette ambiance formidable, cet échange artistique mais aussi humain avec un groupe qui sait rester simple, et Mikael qui utilise entre les morceaux ses traditionnels traits d'humour ou d'autodérision. Après tout, il annonce en riant que toutes les erreurs que le public va entendre vont disparaître comme par magie de l'album live … mais quelques minutes plus tard, le problème technique en plein milieu de "Demon Of The Fall" n'est pas coupé au montage !
Ce n'est pas le premier album live des Suédois d'Opeth, loin de là. On se souvient notamment de l'album Lamentations : Live At Shepherd Bush's Empire (2003). Mais avec Garden of the Titans : Live At Red Rocks Amphitheatre, Opeth accède à une nouvelle étape : celle d'un groupe de référence, qui exprime toute sa maturité, son expérience et son excellence. Une superbe soirée, un « rock'n'roll show » de haut vol. Monumental !
Liste des titres :
01. Sorceress
02. Ghost Of Perdition
03. Demon Of The Fall
04. The Wilde Flowers
05. In My Time Of Need
06. The Devil's Orchard
07. Cusp Of Eternity
08. Heir Apparent
09. Era
10. Deliverance
Opeth - Garden of the Titans : Live at Red Rocks Amphitheatre - sorti le 02/11/18 chez Nuclear Blast