Interview de Sven De Caluwe, chanteur d’Aborted

Quelques semaines après la sortie de leur nouvel album TerrorVision, les Belges d'Aborted se préparent à prendre la route pour une tournée européenne, en headliner, qui passera par la France à l'occasion de sept dates en novembre prochain. Sven De Caluwe, chanteur et membre originel du groupe de death metal, nous a accordé un entretien en toute décontraction, évoquant à la fois le passé du groupe qui fête ses vingt ans d'existence, leur identité musicale et leurs fans, ainsi que la tournée à venir, tout en distillant quelques informations en exclusivité...

[Interview réalisée en octobre 2018, avant la tournée ! ]

Salut Sven, merci de nous répondre. Le nouvel album d'Aborted, TerrorVision, est sorti le 21 septembre. Il a été très bien accueilli et s'est rapidement bien classé dans les charts européens. Vous attendiez-vous à un tel accueil ?

Pour être franc, on ne sait jamais à quoi s'attendre, on ne peut pas contôler ce qui se passe à la sortie d'un disque. Nous sommes très fiers de l'album sur lequel on a passé pas mal de temps à travailler, et bien sûr nous sommes super contents que les gens aiment l'album, mais on n'était pas sûr que ça allait leur plaire. Après, ce n'est pas non plus le but principal quand on fait de la musique.

aborted, death metal, terrorvision

J'ai l'impression que TerrorVision est moins grind que certains albums passés comme Goremageddon, et vraiment death avec des refrains et un travail mélodique impressionnant comme dans les titres « Squalor Opera » ou « Vespertine Decay ». Selon vous, c'est une volonté de sortir un peu du genre brutal, ou plutôt une façon d'explorer le death metal en le faisant évoluer ?

Je vais te répondre en deux parties : d'abord, je trouve ça drôle quand les gens disent que Goremageddon c'est vraiment grind, parce que si on ré-enregistrait aujourd'hui cet album, avec une production meilleure, un peu plus claire, je pense que beaucoup seraient très surpris de découvrir à quel point cet album est mélodique. [Rires]. La production à l'époque a donné un côté vachement sale  et grind, c'est sûr. Evidemment, les compos sont brutales, mais il y a aussi des riffs en majeur et il est beaucoup plus mélodieux que certains albums précédents. Je trouve ça toujours drôle la référence et la comparaison à Gormageddon. Ensuite, pour ce qui est de TerrorVision, on voulait faire quelque chose pour se démarquer des derniers albums. On était déjà super contents avec Retrogore et The Necrotic Manifesto. Je pense aussi qu'avec Retrogore, on avait commencé à paver le chemin pour TerrorVision, en introduisant ces ambiances un peu plus glauques. C'est devenu plus sombre... enfin c'est pas vraiment gai, on va dire ! [Rires]

Oui, c'est très sombre, à la fois niveau de l'atmosphère mais aussi de l'imagerie ou des paroles...

Oui, il y a un certain sentiment d'oppression. Là, on a voulu faire évoluer notre musique dans différentes directions, mais ça reste du death metal. On a essayé de voir jusqu'où on pouvait aller avec cet album.

Quand vous abordez une tournée comme maintenant, au niveau de la setlist, préfèrez-vous jouer en live les nouveaux titres ou les titres plus anciens ? 

Ce qui est important pour nous, c'est surtout d'avoir une bonne setlist qui passe bien en live. Après, ancien ou nouveau, on s'en fout un peu. Bien sûr qu'on aime bien jouer les nouveaux morceaux. Mais le gros challenge, pour une tournée sur un nouvel album, c'est de trouver le « groove » pour que ça rende bien ; généralement, ça prend quelques jours pour y arriver. Etant donné que les membres d'Aborted habitent aux quatre coins du monde, on ne peut pas toujours répéter beaucoup, donc ça n'est pas toujours facile. D'ailleurs, je vais être honnête, les albums Retrogore, The Necrotic Manifesto et TerrorVision ont été enregistrés sans que les membres aient été ensemble en studio. Du coup, pour la tournée qui arrive, on trouve ça vraiment important de préparer les concerts avec des morceaux qui vont bien donner en live. Ça compte beaucoup plus pour nous que le fait de jouer dix nouveaux morceaux sans en avoir rien à foutre du reste. En plus, tu ne peux pas faire tout un concert et ne jouer que des nouveaux trucs. Il y a des gens qui viennent et qui veulent voir les morceaux qu'ils connaissent depuis X années. Donc on essaye de faire un « mix-mash » de tous les albums qu'on aime bien. 

aborted, terrorvision

Le line-up d'Aborted est stable depuis quelques années. Est-ce que les membres du groupe ont participé à l'écriture ou à la composition de ce nouvel album ?

Oui, Ken (Bendene) notre batteur, a écrit une bonne partie de la musique de TerrorVision. Mendel (Bij de Leij) et Ian (Jekelis), les guitaristes, ont écrit des morceaux ; Stefano (Francheschini), le bassiste, a aussi écrit des riffs et des morceaux. On a même écrit encore plus de morceaux que ce qui est dans l'album. On a des morceaux en stocks, qu'on va sortir plus tard. Quand on a enregistré, il y avait en tout 60 ou 65 minutes de musique. Le label nous a dit que ça faisait un peu trop long pour un album aussi extrême, alors on a écouté tout et on a été bien d'accord avec eux, c'était impossible ! [Rires] On a fait un tri avec d'un côté les titres qui feraient un bon album, et de l'autre ce qu'on gardait pour faire un bon EP. On a 4 morceaux prêts et mixés, qu'on va sortir sur un EP, peut-être l'année prochaine. Vu que 2019 sera aussi l'année du vingtième anniversaire du premier album, The Purity Of Perversion, on envisage aussi de réenregistrer un ou deux vieux morceaux à intégrer à cet EP. On a aussi l'idée de faire quelque chose de sympa pour les fans, pour s'amuser un peu et sortir avec l'EP des gadgets rigolos et des trucs qui nous rappellent notre enfance.

Sven, c'est ton dizième album avec Aborted. Vous vous connaissez tous depuis plusieurs années maintenant, et vous connaissez également le producteur Kristian Kohlmannslehner qui a déjà travaillé avec vous sur les précédents albums. Est-ce que cette expérience et cette maturité ont changé votre façon de travailler pour la conception de ce nouvel opus ? 

Oui, absolument. On a carrément changé notre façon de bosser. Avec TerrorVision, pour la première fois, on a fait des pré-productions de tous les morceaux.  L'écriture a commencé au début de l'année dernière, puis on a commencé à enregistrer, d'abord la batterie, puis la basse, j'ai fait les chants sur presque tous les morceaux... en fait, avant de rentrer en studio on savait déjà bien à quoi allait ressembler l'album. Kristian Kohlmannslehner, le producteur, nous avait donné son avis à l'avance aussi. C'est grâce à cette façon totalement différente de travailler qu'on a pu faire l'enregistrement en seulement deux semaines et demie.  On était vraiment bien préparés, et en studio on a pu se concentrer sur la prestation et sur des détails créatifs.

Vous cultivez une image de groupe geek, vous incitez le public à venir vous voir en concerts pour vous payer des jeux videos, vous aimez bien les blagues, tout cela est en contraste avec l'imagerie noire, sanglante et terrifiante de vos chansons et des illustrations des albums.  Tu penses que c'est important de contrebalancer le contenu sombre de votre musique avec des choses plus légères ? Vous pensez que sinon, des gens vont croire que vous faites vraiment des cérémonies de messes noires, comme dans votre dernier clip ?

Et bien c'est un peu ça.  Tout ce qu'on a pu faire sur les derniers albums depuis The Necrotic Manifesto, c'est vraiment nous : on est des geeks, des fans de films d'horreur et de jeux videos. Il y a plein de références, même dans les artworks des albums, à des choses comme les jeux vidéo, ou même à Musclor... partout il y a des petits indices ou des clins d'oeil à ce qu'on aime personnellement. Alors, oui, c'est un univers sombre, brutal et glauque, mais on y laisse des références qui donnent un côté humoristique. Disons que nous prenons notre musique, les albums et les artworks très au sérieux, mais d'un autre côté on est là pour s'amuser, et la musique c'est un divertissement. On n'est pas là pour mettre les gens en dépression, on est là parce qu'on aime la musique. On n'en a rien à foutre de ta religion, de ta couleur, de ta race ou de ce en quoi tu crois, on est juste tous là pour s'amuser avec la musique.

Justement, pour continuer sur le fait de se prendre (ou pas) au sérieux, tu dirais que les chansons d'Aborted parlent uniquement de choses imaginaires, ou faut-il voir un message plus profond, un peu plus militant, dans tes paroles ?

J'essaie de faire passer des messages dans les chansons depuis déjà plusieurs albums, mais c'est toujours bien caché, pas super visible à la surface. Ça reste subtil, parce que le message principal c'est que l'on veut se divertir.  Après, les messages plus profonds sont là pour ceux qui veulent les découvrir, mais on ne veut pas être un groupe qui va faire du « preaching » au public.

On vous appelle parfois « les géants du death » ou « les maîtres belges du genre ». Vous réalisez que vous êtes une sorte de référence dans le death metal ? Et vous, êtes-vous encore fans d'autres groupes ?

Franchement, on n'est pas hyper conscient de ça. On reste qui on est, et on découvre de nouveaux groupes tout le temps. À nos débuts, on n'a pas toujours reçu un super traitement de la part d'autres, et nous aujourd'hui on ne veut pas être comme ça par rapport à des groupes plus jeunes. Tu sais jamais de quoi est fait l'avenir, et ça ne vaut pas le coup de se faire des coups de pute. On est tous là pour les mêmes raisons, parce qu'on aime la musique. Nous on est là pour s'amuser, et c'est aussi pour ça qu'on fait la tournée avec Cryptopsy, Benighted et Cytotoxin, qu'on a consciemment choisis car on voulait vraiment passer six semaines avec des potes et ne pas avoir d'histoires. Ça ne nous empêche pas du tout d'être fans d'autres groupes : je suis en contact avec plein de jeunes groupes récents. On poste des liens des groupes qu'on aime bien si ça peut les aider.  Il y a juste une chose que je peux te dire, c'est qu'avec l'expérience, c'est dur  d'écouter un album purement comme un fan. Quand tu connais tout du processus de production, tu écoutes les morceaux d'une façon spéciale : par exemple, s'il y a une production particulièrement pourrie, tu l'entends ! Et quelquefois, ça t'empêche un peu d'écouter des artistes à côté. On peut « pardonner » plus facilement à quelqu'un qui n'est pas passé en studio. 

aborted, benighted, hell over europe, 2018

Vous revenez d'Australie et dans quelques semaines va commencer une tournée en Europe et au Royaume Uni. Depuis deux ans et les concerts pour Retrogore, vous êtes plus sélectifs pour les tournées, avec des dates moins nombreuses. C'est fini pour vous les tournées intensives avec des multitudes de concerts ?

Ça dépend.  On est plus sélectifs, c'est vrai, et on veut surtout s'amuser. Pour Retrogore on a fait la tournée avec Kreator, ce qui était vraiment énorme, ils étaient super cool et les dates qu'on a faites avec eux étaient géniales. On essaie surtout d'éviter de faire un « Blitzkrieg » qui pourrait lasser les gens.

D'ailleurs, la dernière fois que vous vous êtes produits en France, les autres groupes (Kreator et Sepultura) étaient les têtes d'affiche. Là, c'est vous qui êtes headliners pour la tournée à venir. Abordez-vous la tournée différemment ? 

Ah oui, quand on passe en dernier c'est beaucoup plus chiant ! [Rires] Il faut motiver les gens pour ne pas partir ! Bon, j'en rigole un peu, mais tu sais, là, on vient de faire une tournée headliner aux Etats Unis où il y avait sept ou huit groupes, et c'est vrai que pour les gens qui sont là depuis le début d'après- midi, au huitième groupe, ça devient lourd. Là, pour la tournée europééenne qui arrive, il n'y a que quatre groupes, ça va aller … mais je pense que le nombre de « blastbeat » dans la soirée va être bien rempli !

Il ne faudra surtout pas oublier les bouchons d'oreilles !

Voilà ! [Rires]

En tout cas nous avons hâte de vous retrouver en novembre pour sept dates en France (Mulhouse, Saint Brieuc, Paris, Bordeaux, Nantes, Biarritz et Lyon). Peux-tu nous donner quelques infos sur la setlist ou sur d'éventuelles surprises pour ces concerts ?

Des surprises, oui : on va jouer pas mal de nouveaux morceaux. On a prévu un set d'une heure environ. Pendant les quatre jours de répétitions prévus juste avant la tournée, on va d'abord jouer ensemble tout l'album avant de décider ce qu'on jouera en concert. Il y aura aussi des morceaux qu'on n'a encore jamais joué en live, issus des autres albums, donc il va y avoir pas mal d'exclusivités. Enfin, étant donné qu'on a aussi Julien Truchan (de Benighted ) et Grimo (chanteur de Cytotoxin) avec nous sur la tournée, il y a de fortes chances qu'il y ait des guests ! 

Inerview réalisée via skype, en octobre 2018. 



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