Michel “Away” Langevin, batteur de Voivod

" Lemmy c'est la fondation ! "

Trente-cinq ans de carrière et un nouvel album qui fera date dans l'histoire de Voivod, il n'en fallait pas plus pour que nous décidions de poser quelques questions à Michel "Away" Angevin, membre fondateur du groupe et batteur de la formation. Quelques heures avant un concert dantesque donné par les Québécois, nous avons pu nous poser sur le pont du Petit Bain, face à la Seine pour discuter avec Away. Un cadre parfait pour parler de Voivod, d'art, et de l'histoire du groupe avec un vrai gentleman.

Bonjour Michel et merci de nous accorder cette interview pour la Grosse Radio.

Merci beaucoup !

Nous sommes ici pour parler de The Wake votre nouvel album, mais avant cela, je voudrais revenir sur l'EP Post-Society. Etait-ce une façon de souder votre nouveau line-up avec Rocky (basse) en studio ?

Oui, d'une certaine façon. Mais c'était aussi une compilation de singles 7'' que l'on avait sortis avec At the Gates, Napalm Death et Entombed A.D. Ensuite, on est rentré en studio pour enregistrer le titre "Post Society" afin de faire un EP de quatre chansons. Pendant l'enregistrement de cet EP, il y avait beaucoup de "cancellation" (sic, Away parle bien sûr d'annulations NDLR) de la tournée de Motörhead et on a décidé de rendre hommage à Lemmy en faisant "Silver Machine". On l'a faite très rapidement car Snake (chant) et moi étions très familiers avec la pièce (sic). Chewy (guitare) et Rocky ne la connaissaient pas, ils l'ont donc regardée sur Youtube et ils l'ont apprise. Cela nous a permis de faire cet EP, comme une introduction à The Wake. En fait, la première pièce de The Wake, "Obsolete Beings", c'est une transition entre Post-Society et The Wake.

Dans ce cas, pourquoi les titres de l'EP n'ont pas été intégrés officiellement à l'album alors qu'ils se trouvent sur un cd bonus?

En fait, on voulait que l'EP soit le début d'un album. Mais Century Media nous a demandé de faire un album à partir de rien après la sortie de l'EP. A ce moment là, Snake a décidé d'écrire une longue histoire. Et Chewy a décidé de faire revenir des thèmes et de les réarranger, comme nous l'avions fait avec Dimension Hatröss et Phobos. Donc c'est devenu un travail assez important qui nous a occupé pendant trois ans. C'était un casse-tête assez incroyable. Mais on a trouvé une façon de travailler sur la route avec un ordinateur qui nous permettait de faire des maquettes dans l'autobus et à l'arrière-scène (sic). 

Voivod, Michel Away Langevin, interview

Justement, sur "Sonic Mycelium" il y a plusieurs thèmes de l'album qui sont repris, comme un album concept. En est-ce un réellement pour toi ?

Oui, si on veut car c'est une longue histoire qui se déroule, donc il fallait que la musique et les paroles se construisent en même temps. C'est devenu un album concept par nécessité. Puis on voulait faire un final instrumental de deux-trois minutes, qui a fini par faire une chanson de treize minutes ! (rires) Mais on a pioché dans les différentes parties de l'album pour refaire un grand final. C'était vraiment compliqué car nous avons composé ce final pendant l'enregistrement de l'album, c'était la dernière ligne droite de la phase de studio. Mais on est vraiment fier, on a réussi et de justesse !

Sur ce final, il y a un passage joué par un quatuor à cordes, tout comme sur "Iconspiracy". Comment avez-vous eu cette idée ?

C'est Chewy, qui est prof de musique, qui a décidé d'écrire une partition pour quatuor à cordes pour "Iconspiracy". Ensuite, il en a ajouté un peu partout, puis surtout dans le final de la dernière pièce. Il y a des gens qui pensent que c'est un mellotron, mais c'est vraiment un quatuor à cordes avec une partition écrite et dirigé par Chewy (rires). Moi je trouve que cela évoque les premières expériences sonores avec les Beatles et j'adore ça !

Tu parlais du travail de Chewy en terme d'orchestration, mais il a également réalisé un travail de dingue en terme de composition sur cet album, une fois de plus. Il respecte le son de Piggy mais il garde tout de même sa patte et sa façon de composer. Comment vois-tu l'évolution de son jeu depuis Target Earth ?

Je pense que sur Target Earth il y avait un effort pour garder l'esprit de Voivod et de Piggy vivant et intact, bien que Chewy ait son propre style depuis Martyr, son groupe de jeunesse. Je pense que maintenant, il a trouvé sa voie, vers quelque chose de plus metal et plus fusion. Rocky aussi est très fusion. Ils ont une sorte de jeu question/réponse entre la basse et la guitare et je trouve cela super intéressant. Moi, ça me fait jouer différemment, de façon plus progressive, plus jazz. Je sais que c'est motivant pour moi. C'est toujours comme ça, comme avec Jason Newsted, où nous avions plus une tournure punk, qui me faisait travailler différemment. Et Jason est aussi un grand fan de Geezer Butler, donc c'est un autre genre, Black Sabbath, Metallica... J'adore ce genre de défis. Il faut que je m'adapte un peu.

A propos des bassistes, tu as toujours eu avec toi des musiciens qui avaient un son à eux, bien mis en avant, qu'il s'agisse de Blacky et maintenant Rocky. Il a d'ailleurs un son de basse qui claque bien sur l'album. Cela te semble nécessaire pour garder une vraie cohésion basse/batterie ?

Je pense que c'est l'école Motörhead qui nous a donné ça. Cela fait partie de nos racines, du son Voivod, mais ça vient de Lemmy selon moi. Et ça va toujours rester. Tous les bassistes de Voivod aimaient Lemmy. Lemmy c'est la "fondation" ! (sic)

Tu as une nouvelle fois réalisé l'artwork de l'album. On y distingue quatre silhouettes dans ton style habituel. Représentent-elles les quatre membres du groupe et est-ce un moyen de montrer que l'album est un travail collectif ?

C'est un peu tout cela, dans le sens où au fur et à mesure que l'album évoluait, j'essayais de faire en sorte que le visuel soit cohérent car les paroles étaient vraiment connectées à la musique (et vice versa). J'ai parlé du contenu avec Snake et il a beaucoup évoqué le thème du lendemain d'une catastrophe mondiale. Il y avait une thématique très post-apocalyptique qui est très Voivodienne. Et avec le titre The Wake, j'ai eu l'idée de nous quatre en Voivod, comme si nous étions des sortes de vigiles d'une planète qui se meurt. Je voulais retrouver également l'intensité des premières pochettes où j'utilisais de l'acrylique. Au contraire, au cours des dernières décennies, j'ai beaucoup utilisé l'outil "Airbrush" de Photoshop. Je savais que je ne pourrais pas obtenir le résultat escompté si je procédais de la même manière. J'étais obligé d'expérimenter avec le pinceau digital du logiciel. Ça m'a donné beaucoup de travail mais je pense que c'est une nouvelle direction pour moi et ça me sert de révélation. Je ne comprends même pas pourquoi je n'ai pas utilisé cela avant, j'étais comme obsédé par le "Airbrush". Maintenant, je pense que je vais m'orienter plus vers cela. Souvent, les dessins viennent d'esquisses que je réalise en tournée. J'en fait dans chaque ville et j'essaye de représenter chaque lieu en dessin. Souvent, ça me sert beaucoup car je n'ai plus qu'à le digitaliser et rajouter des couleurs.

Du coup, pour le prochain album, tu utilises les esquisses de la ville de Paris ? (rires)

(rires) On verra ! (rires). Mais c'est sûr que je dessinerai après ma soirée de concert ! Ça sera probablement un bateau... (rires) (Pour rappel, l'interview a été réalisée sur le pont du Petit Bain, péniche qui accueille le concert du soir, NDLR).

Depuis Post Society votre logo a changé. Est-ce une façon de marquer une nouvelle ère avec l'arrivée de Rocky ?

Pas forcément, je change de logo assez fréquemment. D'ailleurs, je me le suis fait reprocher par plusieurs maisons de disques et membres du groupe ! (rires). Mais, c'est toujours en évolution, la musique...le visuel...J'aspire à faire un jour un logo plus proche du logo classique de Killing Technology mais en le modernisant. J'essaye de le visualiser avant de faire les esquisses. Mais j'aimerais beaucoup faire cette nouvelle version du logo classique.

Cette tournée célèbre les 35 ans de Voivod. Si tu devais résumer en un mot cette carrière exceptionnelle, lequel serait-il ?

Persévérance ! (rires). Parce que j'ai tellement eu d'obstacles, je suis le seul à avoir été présent tout du long. Il y a vraiment eu d'énormes obstacles. Et à chaque fois, c'est difficile de surmonter des épreuves comme le malheureux décès de Piggy ou l'accident en Allemagne en 1998. Souvent, ça peut prendre un an et demi ou deux ans avant de revenir. Plus fort? Je ne peux pas vraiment le dire à 100% mais en général, plus matures et plus motivés ! Et ça fonctionne comme un renouveau. Il y a d'ailleurs quelque chose qui se passe en ce moment pour Voivod et on en profite (sourire).

Après 35 ans sur scène, t'arrive-t-il encore d'avoir le trac avant un concert, puisque tu joues à la fois dans des lieux intimistes mais également sur des scènes de gros festivals comme au Hellfest en 2013 ?

Cela peut m'arriver une fois de temps en temps, même si c'est moins fréquent qu'aux débuts. L'an passé, on a joué avec Metallica à Quebec et il y avait 100 000 personnes. C'est une assez grosse masse de gens ! (rires) Et j'étais très nerveux. Mais le plus surprenant, c'est que le lendemain on a fait un show surprise dans la rue, et ça m'a encore plus intimidé car j'ai vu les gens directement. Ça m'a pris deux chansons avant de pouvoir regarder les gens dans les yeux (rires). J'avais plus le trac dans la rue avec les punks que la veille avec 100 000 personnes. Mais la fois où j'ai le plus eu le trac, c'est quand on a ouvert pour Rush, lors de la sortie de Nothingface. On jouait dans l'est du Canada et c'était assez stressant car j'avais vu des premières parties de Rush se faire huer. Mais ça s'est vraiment bien passé. On a joué la chanson "Astronomy Domine" de Pink Floyd et on entendait les gens par-dessus la musique dans les amphithéâtres, cela devenait vraiment impressionnant !

Voivod, metal,

Avec ton emploi du temps chargé, as-tu le temps d'écouter de la musique et si oui, quel album récent t'as marqué ?

C'est un peu étrange car je suis vraiment old school. J'aime acheter les nouveaux albums de vieux groupes. J'aime beaucoup Gojira, c'est vrai, mais je vais plutôt écouter le Firepower de Judas Priest ou le dernier Van Der Graf Generator. Je me tiens au courant de l'actualité de mes vieux héros (rires). Avant de venir en Europe, pour cette tournée, on a joué au festival Heavy Montréal. L'une des têtes d'affiches c'était Gojira. Et j'étais comme époustouflé. J'ai voulu écouter une ou deux chansons par curiosité car tout le monde m'en parlait ces dernières années, d'autant plus qu'ils partagent la même admiration que nous pour Killing Joke. Mais ils le font dans un contexte tellement moderne que ça m'a vraiment inspiré. Le prochain album que je veux m'acheter, c'est le nouveau Gojira. Sinon, j'attends d'être de retour en Angleterre dans un couple de jours (sic) pour trouver le nouveau Damned

L'an passé, Noise Records a réédité plusieurs de vos albums, sortis chez eux (Rrroooaaar, Killing Technology, Dimension Hatröss). Est-il prévu que vous rééditiez les albums sortis chez d'autres labels, et si oui, as-tu encore des bonus/archives en stock ?

Oui. En fait, pour les rééditions de BMG/Noise records, j'avais commencé à digitaliser les archives de Voivod en 2007 quand j'avais été contacté par Century Media pour faire ces rééditions. Puis Century a été racheté par Universal. Là, tout est parti dans les limbes alors que tout était prêt. Mais par la suite BMG m'a contacté car ils avaient récupéré le catalogue de Noise et c'est reparti de plus belle. En plus, ça m'avait presque pris dix ans de travail pour digitaliser toutes ces archives de Voivod. Avec la rééditions de nos premières démos et les nouvelles éditions de War and Pain chez Metal Blade, je pense que tout est disponible maintenant. Mais il reste une partie du catalogue difficile à trouver avec Nothingface, Angel Rats et Outer Limits. C'est notre prochaine étape car Sony et Century Media aimeraient les sortir. Et ça fait des années que j'essaye de les rééditer car ils ne sont plus disponibles. Surtout qu'Angel Rats est devenu culte. Il était controversé dans le temps mais maintenant les gens l'aiment beaucoup, il a été redécouvert en quelque sorte. Je pense que vu l'interêt de Sony et Century Media, il y a beaucoup de chances que ça sorte. Et j'ai encore beaucoup de matériel de bonus pour ces albums là aussi.

Voivod est en quelque sorte l'un des pionniers du metal au Quebec, une scène florissante avec des groupes comme Martyr, Gorguts, Cryptopsy, Quo Vadis et plus récemment Beyond Creation. Comment expliques-tu une telle créativité ?

C'est vraiment difficile à expliquer. Quoique je pense qu'on a dû ouvrir quelques portes. Et le rock progressif était vraiment populaire au Quebec dans les années 70. Il y avait beaucoup de groupes québécois qui s'inspiraient des groupes européens. C'est certain que Rush a influencé beaucoup de monde au Canada. Pour nous, ça a été une énorme influence évidemment. Donc je pense que le côté technique québécois est aussi présent au Canada avec des groupes comme Anvil, Exciter, des artistes qui faisaient des vraies performances. Ça nous a beaucoup influencés aussi. Je ne peux pas expliquer pourquoi, mais à Montréal et Quebec il y a un son qui est extrêmement précis, chez Kataklysm par exemple. C'est peut-être dû au rock prog qui était omniprésent dans les 70's. Même des groupes obscurs comme Van Der Graf, ou des artistes de Krautrock ont été très connus au Canada et sont à l'origine d'une certaine créativité.

Merci beaucoup pour cette interview. As-tu un dernier mot pour nos lecteurs ?

Oui, merci beaucoup à vous de supporter Voivod depuis 35 ans. On trouve incroyable l'aventure que l'on vit chaque année. On revoit les mêmes amis et ça nous permet de continuer à vivre de notre musique, d'en composer et d'en enregistrer. On ne prend pas cela pour acquis.

On se retrouve dans 35 ans ?

(éclat de rires) Dans 35 ans, ça sera peut-être des hologrammes mais bon ! (rires). Merci à toi !

Entretien réalisé le 29 septembre 2018 à Paris.
Merci à Valérie de Century Media et à Michel Angevin pour sa gentillesse et sa disponibilité.
Photographie live : © Regis Peylet 2018
Toute reproduction interdite sans autorisation du photographe
Photographie promo : DR Century Media



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