Dernier jour du festival, après quelque détour sans conséquence, c’est aux portes d’entrées que nous devons attendre avant de nous replonger dans l’atmosphère intense du Tyrant Fest.
C'est la première fois que nous assistons à une randonnée proposée lors d'un festival metal. Certes, les déambulations entre les scènes et à travers le site d'événements comme le Hellfest ressemblent à s'y méprendre à du trekking en haute montagne, mais ici l'équipe organisatrice du Tyrant Fest a eu la bonne idée d'occuper la fin de matinée à travers une petite balade découverte du site du Métaphone. En effet, situé sur un ancien puits minier, le lieu est empli d'histoires. La zone a connu la mine depuis plusieurs siècles. L'animatrice qui fait la visite insiste longuement sur les aspects historiques et même techniques de la vie du mineur, tout en parcourant des paysages très variés: anciens bâtiments, petite forêt enchanteresse avec son étang et remblais aménagés se terminant par une superbe vue sur la région... Personne n'imaginerait une telle profusion de microsites intéressants en à peine une demi-heure de marche. La randonnée, avec les commentaires, a pris environ le triple du temps, mais il faut dire que tous les sujets, jusqu'à la géologie, ont été abordés. Une excellente initiative qui permet de faire découvrir le site patrimonial présent sur la commune d'Oignies.
Dimanche vers 14h, avant que les concerts ne débutent, une rencontre a été organisée par Heretik Magazine à l'Auditorium. "Musiques Extrêmes et Arts Graphiques: lien, inspirations et illustrations". La présence d'artistes graphiques exerçant dans les Arts Noirs était déjà une bonne idée en soi, le fait de les inviter autour d'un dialogue avec le public était une meilleure idée encore. Dehn Sora, William Lacalmontie, Vincent Fouquet/Above Chaos, Infekt 777, Paul Naassan et Arkhoss ont répondu aux questions que se posait le public, abordant notamment la difficulté qu'ont les artistes, même reconnus, à vivre correctement de leur œuvres. Cover, affiches, clips, photos participent pourtant autant à la scène metal que la musique...
Dirge
Les Français de Dirge semblent apprécier encore davantage l'obscurité que Throane la veille. Il faut dire que la petite salle de l'Auditorium a un éclairage certes adapté à des petites représentations, mais ce n'est pas l'idéal pour de véritables concerts. En effet, tous les groupes qui ont pu jouer ici méritaient leur place sur la grande scène. Quoiqu'il en soit, une ambiance intimiste ne peut qu'aller à merveille avec ce style musical qui laisse la part belle au sludge. Au début du concert, le public s'assoit d'ailleurs sagement au sol, prêt à s'envoler dans les dimensions parallèles que ne renieraient pas Cult of Luna ou Neurosis. Dirge captive le public et c'est un excellent moment que nous propose la formation pour débuter musicalement cette seconde journée du Tyrant Fest.
Azziard
Avec la sortie fin 2017 de Metempsychose, Azziard a porté à l’attention du public durant toute l’année chacun des titres de cet opus, premier pan du triptyque Liber Primus consacré au Livre Rouge de Jung. Ce 1er concert de la journée clôture la tournée 2018 où se sont retrouvés une nouvelle fois autour de A.S.A, Seth, Gorgeist et Anderswo. L’atmosphère lourde de leur concert de clôture des Arts Bourrins est ici présente à nouveau et l'on se reconnecte instantanément à cette tension pesante qui introduit le concert et installe le cadre.
Le public observe, chacun tentant de résoudre l’équation de la partition de haute volée proposée de si âpre manière, et reste sur la réserve. A moins que l’impact programmé sur les inconscients collectifs ne soit déjà à l’œuvre. Inconscients aussi de la démarche entamée de longue date par Azziard, et qui nous ramène invariablement au parallèle avec l’œuvre d’une vie, ce Tour du Malheur de Joseph Kessel dont les racines proviennent de la première guerre mondiale. Les morts ? Eh bien, ils sont morts. Nous parlons maintenant des vivants, des survivants, de ceux-là qui n’ont eu d’autre choix que de tenter désespérément de réinventer pour eux seuls le sens du mot Avenir.
Au départ du "Meurtre du Hero", Psycho (Antilife) rejoint la scène comme Julien Truchan aux Arts Bourrins, tous deux ayant participé à Metempsychose. Nous ne sommes ni témoins, ni invités. Nous sommes concernés, personne dans cette salle ne peut y échapper. Azziard met tout en œuvre pour que, sur une trame de black metal, teinté d’un death mélodique fracassant, comme ce flamboyant aux fleurs rouges, provocation au milieu du désert, son message soit reçu sans distorsion. Le son est satisfaisant et l’auditeur pressent que le sens est à venir, que l’esthétique est ici au service d’une démarche dans laquelle il est interpellé. A.S.A est tendu, déambule d’un bord à l’autre de la scène, l’investissement est profond, vital. Ici aussi l’on vous convie à accompagner, voire investir, le parcours initiatique d’un véritable travail, accompli dans la douleur atroce de se savoir vécu sous le feu des projecteurs. Sans filet.
Nous retrouvons plus tard les musiciens au merch, soulagés, la décompression a déjà commencé car la première phase du processus de réincarnation accomplie, le groupe va maintenant se consacrer à reprendre l’exploration des profondeurs de l’inconscient collectif.
Setlist Azziard:
Intro
Psyché
Unus Mundus
Le Meurtre du Hero
Interlude - Le Second Jour
L’Enfer
L’Anachorete, Dies
Le Sacrifice
Auðn
Avec seulement deux albums à son actif, Auðn s’est très rapidement fait connaitre sur la scène internationale. Remportant notamment la traditionnelle Metal Battle au Wacken en 2016, le groupe a ensuite participé à de nombreux festivals partout en Europe dont le Motocultor l’été dernier.
Issue de la prolifique scène islandaise, la formation nous propose un voyage intérieur de toute beauté dans un black metal moderne et mélodique. A la fois sobre et aérien, l’univers atmosphérique du groupe dépeint dans la langue maternelle, est cependant composé de désolation et de noirceur.
Autrefois était la lumière, lentement les ténèbres ont envahi les âmes, brouillé les souvenirs. Et pourtant. Sans masque ni grimage, le regard perdu dans le public, ne cherchant plus d’appel et insensible encore aux miroirs salvateurs, Hjalti Sveinsson témoigne sobrement de la sourde violence quand se tarit le sens.
Un rai de lumière contrasté sur la basse blanche de Hjálmar Gylfason suggère discrètement que l’appel de la mort omniprésent sur le premier album, s’éloigne, laissant place au désert glacé de Farvegir Fyrndar. Alors, debout encore sur cette Terre sans Vie, et la tête haute, ne reste qu’à avancer et cette progression aux accents soudainement épiques, ouvre tous les horizons des possibles.
Setlist Auðn:
Veröld Hulin
Lífvana Jörð
Haldreipi Hugans
Prísund
Feigð
Landvættur
Í Hálmstráið Held
Þjáning Heillar Þjóðar
The Great Old Ones
Il faut avoir vécu un festival dédié au black metal pour prendre la mesure de la richesse illimitée de ce genre musical perçu souvent de façon erronée par un public non averti. Et quand, de surcroit, la formation est ou a été estampillée par Les Acteurs de L’Ombre, alors la qualité, l’originalité sont assurées sans aucune exception, promettant au groupe un brillant avenir.
C’est le cas de The Great Old Ones. TGOO pour les nombreux fidèles du groupe, nous vient de la région bordelaise et s’est fait connaître au-delà nos frontières avec un black metal ici aussi atmosphérique. Et ici aussi, l’imaginaire prend sa source dans la littérature avec l’univers de H.P. Lovecraft.
D’entrée, le public est plus réactif, les remous de la salle, bien remplie à cette heure, témoignent des attentes diverses à mesure que la journée progresse. Un concert de TGOO est une immersion qui vous capte rapidement et sans effort. Embarqué dans l’univers lourd et Cthulhuien, on devine au fond de la scène, les ombres de la scénographie de Watain et qui confère à ce concert une étrangeté supplémentaire. On peut mesurer la qualité sonore quand on sait ce qu’il en coûte comme travail et comme risques de faire le choix d’avoir trois guitares sur scène.
Aux premières loges durant leur prestation aux Vingt ans de Garmonbozia à Rennes, nous avions vécu le concert, suspendus au visuel et à l’hyper-présence du groupe et notamment de Benjamin Guerry malgré la scène plongée dans les ténèbres. Ici, en s’éloignant un peu, et déambulant tout autour de cette superbe salle qu’est le Metaphone, l'on se plait à vivre l’univers doomesque de l’intérieur, révélant les multiples facettes de ce post metal extrême, à la fois agressif et fluide.
Setlist The Great Old Ones:
The Shadow Over Innsmouth
When the Stars Align
Antarctica
Dreams of the Nuclear Chaos
Mare Infinitum
Profanatica
Partis manger en toute quiétude, nombreux sont ceux qui ont trouvé porte close au concert de Monolithe. Il faut dire que la petite salle n'est pas en mesure d'accueillir tout le monde. De plus, ce concert était mal placé, à l'heure du repas et en débordant des deux côtés sur les concerts de TGOO et Profanatica.
Profanatica est probablement le seul groupe de cette journée que beaucoup voient pour la première fois, étonnamment car les Américains sont parmi les précurseurs du black metal de l’autre coté de l’Atlantique aux cotés de Possessed entre autres. Installés confortablement au balcon - c’est toujours étrange de vivre ces concerts assis - les festivaliers observent les allées et venues sur la scène en préparation avec curiosité.
Les trois musiciens se font attendre quelque peu et font une entrée théatrale, dans de longs tabards noirs et rouges, et contrastant avec une scène paraissant vide. Pas pour longtemps.
C’est alors un enchaînement de titres du black au blackened death, rompant avec l’atmosphère laissée par les groupes précédents, qui déferle efficacement et sans fioritures sur le public qui ne reste pas longtemps dubitatif et est acquis à une énergie défoulatoire tombant à point nommé. Les trois musiciens sont en parfaite symbiose. Paul Ledney, membre fondateur (et ex-Incantation), le blasteur-chanteur, fait le service minimum à la batterie, dans un style épuré dirons-nous, mais sa voix elle, semble sortie des entrailles de la terre.
Pas d’introspection ici, de textes ciselés, mais un déferlement de propos blasphématoires et sarcastiques, qui accompagnant les riffs dissonants et efficaces, faussement simples mais directement gravés dans la tête. Le public est emballé. Par instant, le batteur suspend son jeu, levant sa baguette, comme un chef d'orchestre et dans la lumière blanche, l'effet visuel est magique. On croit voir apparaître alors la version perverse de Merlin. A la fin du concert, fidèle à sa réputation, Paul salue à sa façon en soulevant sa toge, découvrant sa jambe nue ...
Setlist Profanatica:
Ordained in Bile
Jehovah Fading
Unto Us He Is Born
Mocked Scourged and Spit Upon
Sickened by Holy Host
Conceived in Sin
Broken Jew
Once Removed Savior
Spilling Holy Blood
Final Hour of Christ
Heavenly Father
Weeping in Heaven
I Arose
Outro
Arkhon Infaustus
Les concerts de la journée avaient débuté avec un peu de retard, chacun ayant dû repasser le contrôle au portique, malgré les bracelets apposés la veille, et miraculeusement le groupe commence à l’heure.
Après une longue période de split, en 2017, le groupe emmené par DK Deviant, le seul membre d’origine, renait de ses cendres et sort un EP, Passing the Nekromanteion. Il se produit au Hellfest, point de départ d’une tournée de concerts européenne.
Surplombant la scène, l’œil dans le viseur, dès le départ on se prend le mur du son d’un assaut de sifflements d’un black metal morbide. La voix empoigne brutalement l’espace, haranguant le public peu réactif au départ, et installe le chaos.
L’aura controversée autour du groupe ne saute pas aux yeux, voire n’apparaît pas du tout, à l’affût du travail artistique, de l’intention conductrice et de la qualité du son, qui sont bien ici au rendez-vous. Le niveau technique et la restitution de ce son dérangeant sont remarquables. Et même si le public semble souvent réfractaire à un univers hostile déversé sans ambages, c’est à prendre ou à laisser, sans concession. Et le parfait fil conducteur pour le concert qui va suivre.
Setlist Arkhon Infaustus:
Dead Cunt Maniac
When They Have Called
Ravaging the Nine Pillars
The Ominous Circle
The Silent Voices of Perversion
M33 Constellation
Trigrammaton
Whirlwind Journey
Watain
Dès les premières notes de "Behold The Bridegroom Comes", la ferveur est totale. Le groupe suédois fait son apparition, Erik Danielsson tend au-dessus des premiers rangs une torche que quelques-uns se risquent à effleurer selon un rituel bien rodé. S’ensuit la traditionnelle litanie, les bras levés face aux tridents enflammés … on aimerait tant savoir le contenu de cette incantation … Maintenant. La Messe Satanique peut commencer.
Commence "Storm of the Antichrist", chaque cellule de notre corps déclare forfait et vient se briser sur l’autel de l’adoration. Immédiatement. "Malfeitor", comment ? mais comment rendre compte ? Erik tend les mains vers la foule comme une invitation à l’accompagner dans sa méditation, véritable expérience mystique conclue dans une transe émotionnelle collective. La salle est en apnée, on peut sentir l’émotion de son voisin, la communion est totale. La musique est impérieuse venant à bout de toute résistance tandis que les imposants musiciens, Pelle Forsberg, et Alvaro Lillo à la basse vérifient avec bienveillance que le lien établi ne souffre aucune désaffection.
De l'album The Wild Hunt, pour lequel l'accueil fut plus mitigé, seul le titre "The Child Must Die" sera joué ce soir, la setlist renoue avec les grands classiques où les derniers titres se mêlent très logiquement. Au fur et à mesure, l'impact progressif sonore et visuel est grandiose, la scène est sublime. Comme à chaque fois. Bien sur, il n'y a pas de grandes surprises, le scénario se répête inexorablement mais avec tant d'investissement et de justesse que, loin de se lasser, le public en redemande encore et encore.
L’on ne réalise qu’après coup que près de la moitié des titres proviennent du dernier album Trident Wolf Eclipse, signe que l’œuvre du groupe se consolide chaque fois qu’une nouvelle pierre est portée à l’édifice. Le long rituel de fin vient au secours du spectateur comme un atterrissage en douceur, on voudrait arrêter le temps. Mais Watain est appelé à poursuivre le Trydent’s Curse Tour. Sans nous.
Setlist Watain:
Storm of the Antichrist
Nuclear Alchemy
The Child Must Die
Agony Fires
Furor Diabolicus
Sacred Damnation
The Golden Horns of Darash
Malfeitor
Towards the Sanctuary
Sworn to the Dark
The Serpent's Chalice
Voilà. Le Tyrant Fest 2018 est terminé. Pas pour nous, car un festival c'est aussi une occasion de retrouver les potes alors nous rejoignons les véhicules en silence, encore remplis d'émotion, chacun se repassant les moments forts pour mieux les mémoriser. Tout à l'heure, pendant l'after, on va débriefer, évoquer rapidement les quelques ratés d'organisation pour ne retenir que ces deux jours, un week-end pour une fois, dans un cadre imposant et superbe, une salle au top où l'on était bien installés partout, et où chaque concert aura été à lui seul un moment fort de cette magnifique affiche. Rendez-vous à l'année prochaine et Merci.
Rédacteurs : SAMM (Métaphone) et Thomas Orlanth (visite et Auditorium)
Photos : © 2018 Thomas Orlanth / Facebook / Instagram
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