Un samedi soir à Saint-Germain-en-Laye. Dans la ville calme, aux rues désertées, La Clef reçoit ce soir Napalm Death, actuellement en tournée comme à son habitude. Et même si le groupe tourne beaucoup, la salle est pleine et prête à recevoir avec force et plaisir les pionniers du grindcore.
Widespread Disease
L’un des challenges qui jonchent le chemin ardu des groupes est de se retrouver à jouer en première partie d’une tête d’affiche qui éclipse tout sur son passage. Sauf que ce soir, Widespread Disease joue à domicile et l’atmosphère surchauffée de la salle comble indique que le public n’est pas venu que pour Barney. On espère toujours quand on découvre un groupe sur scène qu’une impression générale va se dégager rapidement après seulement quelques minutes et c’est bien ce qui se produit ici, les mots d’ordre sont : Cohésion, Energie et Communication.
Cohésion des deux guitaristes Sylvain Valette et Pierre Morcrette (qui officie également comme batteur du groupe Straight Lane). Ces deux-là se connaissent depuis le tout début, en 2011. Avec Antoine Manteau à la basse et Théo Gendron à la batterie (qui succède depuis peu à Felix Loizeau), WD donne le ton dès le départ avec le titre "Chaos" issu de l’album du même nom sorti en 2017. Sur une lame de fond qui s’élève puissamment de la scène surfe la voix protéiforme de Rémy Sibéril, passant tour à tour du death-growl lourd à un chant hurlé, puis parlé et même des passages en voix claire et comme si ce n’était assez, les autres musiciens viennent eux aussi compléter les voix.
Energie aussi, dégagée par cet ensemble vocal et musical attentif à ne laisser aucune brèche susciter l’ennui. Le plaisir de jouer est sur tous les visages, le son est excellent et les titres extrêmement efficaces sont balancés avec précision. Le public réagit très rapidement. Entre ceux qui ne connaissent pas Widespread Disease et sont venus pour Napalm Death, et leurs fans visiblement déjà nombreux, le constat est unanime : ça le fait ! Cette énergie brute avait été déjà remarquée lors du concours The Voice of Hell à l'occasion du Hellfest en début d'année et avait propulsé le groupe aux portes de la finale.
Communication surtout, directe avec le public de ce death-grind efficace tout en rythme en en nervosité et néanmoins mélodique et accrocheur. Cette pandémie se répand comme une trainée de poudre jusqu’aux spectateurs assis confortablement sur les hauteurs de la salle et l'atmosphère est détendue. Le partage fait partie de l’ADN de WD, on est capté rapidement et dans tous les cas, les membres du groupe viennent vous chercher, rompus déjà à la scène après deux tournées durant lesquelles ils ont partagé l'affiche avec The Black Dalhia Murder ou Whitechapel entre autres.
On reste sur une très bonne impression d'un groupe ayant un fort potentiel, ayant démontré, au-delà d'une production riche et complexe, la capacité d'emporter un public pas forcément acquis au départ.
Setlist Widespread Disease:
Intro
Chaos
Through Flames and Carnage
Flight to the Great Unknown
The Wrench
The End
Unnatural Object
The Walk
#Jointhecrew
Napalm Death
Dès l’entame le slogan épuré de "Multinational Corporations" imprime dans les esprits la marque ND : la volonté obsessionnelle de transmettre, répéter, ancrer son discours de dénonciation à coups de marteau secs et entêtants. Dans les starting-blocks, la salle entre en résonnance et l’assaut est donné avec "Instinct of Survival", trop court instant de brutalité primitive, tant ce riff punk à tout casser avec enfin un bon son, demande à être prolongé, répété avec délectation dans la boucle de l’addiction. L’état d’urgence est déclaré et dans un long cri désespéré "When All Is Said and Done" témoigne violemment de la permanence de l’engagement des pionniers du grindcore.
La setlist se promène sans surprise d’un bout à l’autre de l’histoire du groupe et embarque la salle surchauffée dans le chaos avec "Unchallenged Hate". Ça blaste à tout-va et ça commence à tanguer aux avant-postes, contraste avec les nombreux spectateurs assis dans les gradins, décidés à vivre cette explosion de violence de l’intérieur.
Les albums plus récents ayant bénéficié d’une production plus sophistiquée, on en viendrait presque à ressentir un peu de frustration quand le rendu sonore sur "Smash a Single Digit" ou "The Wolf I Feed", reste assez neutre. A moins que les interventions systématiques de Barney entre chaque titre ne fasse un peu tomber le soufflé. C’est d’ailleurs assez amusant cette dichotomie entre l’état d’extrême agitation de Barney quand il chante et le ton, très engagé certes, mais très posé aussi qui accompagne son discours. A chaque phrase, les cris et interpellations du public s’arrêtent un instant, clairement Barney est un orateur que tout le monde écoute avec respect et une très grande affection.
Le grindcore c’est le cri du corps n’est-ce-pas, Shane Embury aussi persifle dans un registre dissonant et les deux voix dénoncent l’uniformisation, le nivellement par la médiocrité. Dans "Standardization", Barney se désespère d’un monde sans saveur, où toute velléité de réflexion serait devenue vaine face au rouleau compresseur sociétal. Alors, au bord de l’apocalypse, il se prend la tête dans les mains, mimant le refus, l’incrédulité devant toute cette absurdité. L’injustice est insupportable, et même l’atmosphère plus lente et plus fusionnelle de "Everyday Pox" ne déroge pas à la ligne de conduite : dénoncer, toujours, implacablement déverser la pourriture existentielle dans l’océan du vide, ce trou béant laissé à ciel ouvert quand l’imaginaire a déserté les âmes, broyées par la propagande.
Scum ou l’Ecume des Jours, où les aboiements de Barney trouvent un écho dans un pit clairsemé mais déjanté. Quelques ultra-fans persistent à vouloir mettre une pagaille façon puzzle bien sympathique en réponse au questionnement : sommes-nous vivants ?
"You Suffer" vient enfoncer le clou de la vanité de toute chose. Napalm Death rappelle à ceux qui tenteraient d’emprunter le chemin du déni que non, il n’est point de repère, d’assurance à quoi se raccrocher. Pas de temps à perdre, la vie ça dure une seconde, une éternité de souffrance.
Barney prononce le mot "Cover" et le public s’écrie "Nazi Punks" ! Pas encore les amis, mais le moment de saluer l’influence du hardcore suédois avec "Victims of a Bomb Raid". Puis, sans transition, Barney hurle le titre "Suffer the Children" à la face des tirants et dictateurs divins au nom de tous les non-croyants, les héritiers de la terre des hommes. Les titres se succèdent et avec eux leur questionnement : l’option nucléaire … vraiment une option ? Barney pointe son doigt vers la foule : chaque être humain a le droit au bonheur et à la dignité, et donne au passage quelques consignes de vote avant d’entamer le très attendu "Nazi Punks Fuck Off", hymne antifasciste de la première heure, dans un esprit d’amitié et de solidarité.
"Cesspits" et "Inside the Torn Apart" ne seront pas joués, peut-être il se fait tard et le concert se termine sur le très bon "Siege of Power". Tous les membres du groupe viennent au-devant de la foule, serrer les mains et échanger quelques mots simples emplis d’émotion. De cette soirée où Napalm Death nous a délivré comme d’habitude une longue liste de titres très courts aux propos à peine compréhensibles, nous repartons la tête remplie d’énergie, de pensées, de questions et de revendications, nous sommes réveillés, vivants.
Setlist Napalm Death:
Multinational Corporations
Instinct of Survival
When All Is Said and Done
Unchallenged Hate
Smash a Single Digit
The Wolf I Feed
Practice What You Preach
Standardization
Everyday Pox
Scum
Life?
Control
You Suffer
Dead
Narcoleptic
Victims of a Bomb Raid (Anti Cimex cover)
Suffer the Children
Breed to Breathe
Silence Is Deafening
Call That an Option?
How the Years Condemn
Nazi Punks Fuck Off (Dead Kennedys cover)
Siege of Power
Textes : SAMM
Photos : © 2018 Lionel / Born 666
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