Nous sommes sur la fin de l’automne. Il fait froid, les températures sont négatives mais, en ce 12 décembre, nos cœurs sont chauds. Chauds comme la fosse de La Cigale qui accueille ce soir Zeal & Ardor. En moins de deux ans, le groupe de Manuel Gagneux est passé du statut de curiosité à écouter à celui d’un nom capable de remplir La Cigale et chacune de ses dates, ainsi que de jouer en tête d’affiche au Hellfest.
Hangman's Chair
Quoi de mieux pour ouvrir cette soirée que Hangman’s Chair, dont la popularité a explosé avec leur magnifique Banlieue Triste, sorti au début de l’année 2018. Car, mine de rien, même si les Franciliens ont une carrière bien plus longue que Zeal & Ardor, leur trajectoire suite à la sortie de leur dernier album est rectiligne. Rectiligne vers les sommets du stoner et du sludge metal. Et c’est devant un parterre qui vient aussi pour la première partie que Hangman’s Chair ouvre le bal à 19h45.
Bien que la musique de la bande n’ait rien à voir en surface avec celle de Zeal & Ardor, le choix se révèle ultra cohérent. En effet, les compositions des Franciliens depuis This Is Not Supposed To Be Positive sont de plus en plus lourdes, de plus en plus cinématographiques. Il suffit de fermer les yeux pour se laisser emporter dans un déluge d’images froides, sombres, dans lesquelles la voix de Cedric Toufouti résonne telle un ange déchu.
Les guitares déversent des riffs d’une lourdeur à pleurer, portées par une basse qui fait trembler le sol de La Cigale et la batterie embaume le tout de sa reverb et d’une odeur mortifère. On ne ressent que désolation, solitude et dépravation dans cet océan de notes d’apparence si basiques mais dont les enchaînements sont des uppercuts de tristesse.
Le groupe mérite réellement son gain de popularité et dès l’intro de "Banlieue Triste" suivi de "Naïve", le public est happé par les émotions de Hangman’s Chair. Et la montée va être crescendo durant le concert, les morceaux des deux derniers albums joués ce soir étant de plus en plus sombres, de plus en plus lourds et profond. Il est rare de voir un set aussi dense, carré et cohérent, sortir de différents albums, et on arrive, pour des fans de longues dates, à ne pas regretter que les anciens disques soient mis de côté sur la scène de La Cigale.
Et là où on pourrait croire cette voix sibylline en trop, la dichotomie de ces éléments ne fait que donner une puissance rare à l’ensemble, à l’instar de certains groupes comme Alice in Chains ou encore Type O Negative. Il n’y a guère besoin de hurler pour parler de mal être et les quarante-cinq minutes de Hangman’s Chair en sont ce soir la preuve. Et quand arrivent les dernières notes de la sublime "Full Ashtray", le public finit le concert scotché au sol de La Cigale, sonné par la beauté triste des compositions, mais applaudissant à tout rompre. Tout ce que l’on peut espérer, c’est revoir le groupe en tête d’affiche dans une telle salle. Et cela ne serait que pur mérite.
Setlist :
Banlieue triste
Naive
Sleep juice
04 09 16
Requiem
Dripping Low
Cut Up Kids
Full ashtray
Zeal & Ardor
Après trente petites minutes de mise en place, ce qui laisse le temps de respirer après une telle première partie, place maintenant à Zeal & Ardor. Le Sigil de Satan légèrement remanié pour laisser apparaître les initiales du groupe est imposant derrière la scène, et quand les lumières s’éteignent et que retentit "Sacilegium I", nous sommes déjà dans le bain.
Une fois l’introduction terminée, place à "In Ashes" et rien ne nous a préparé à ça. La musique du groupe, déjà si forte sur CD, prend en live une puissance ahurissante. Là où certains crient (à raison ou à défaut, là n’est la question) à un patchwork sans sens, sur scène, les émotions explosent. Les parties gospel et blues créent une communion noire avec le public, de laquelle semble se délecter Manuel Gagneux. En maître de cérémonie possédé, celui-ci observe les dégâts laissés par sa musique sur un public qui se donne totalement dans ses compositions. La partie avant de la fosse se transformant en pit de plus en plus grand au fur et à mesure que le concert avance.
La performance est impressionnante, tant de la part du chanteur guitariste que de ses musiciens. Tous semblent vivre ensemble leur premier et dernier live, comme si tout ceci n’était qu’un unique et dernier récital. Les choristes sont habités par le démon et se déchaînent, dansent tels des damnés, quand ils n’ont pas à chanter. Le son est parfait, à la fois clair et sombre, et laisse une énorme porte d’expression à Manuel Gagneux.
Celui-ci semble ne faire qu’un avec le sigil trônant à l’arrière-plan et paraît être dans une transe démoniaque. Les deux micros ne sont pas de trop pour transmettre ce déluge d’émotions, où les hurlements se succèdent à un blues sombre sans aucune fausses notes. Encore une fois, la rage insufflée par Manuel Gagneux ce soir transcende les compositions et leur donne un réel impact sur scène. Tantôt tristes et solennelles, comme sur "Gravedigger’s Chant" ou "Come On Down", les chansons savent créer aussi une violence sans pareille, noire et sans échappatoire, comme sur "Row Row" ou "Fire of Motion". La répétition des riffs, des chœurs et des paroles, empruntés du gospel et du blues, ne font que créer une emphase de plus en plus grande avec le public.
Qui récite, de plus en plus fort, de plus en plus violemment, les chœurs et paroles des chansons de Zeal & Ardor. Le concert est bien entendu fortement axé sur Stranger Fruit, mais n’oublie pas le premier disque dont ressortent "Blood in the River", "Children’s Summon" et bien entendu la déjà culte "Devil is Fine". Et la setlist est juste parfaite. Là où Stranger Fruit pouvait sembler raconter une histoire sur disque, en live, il était nécessaire d’écrémer de certains morceaux et c’est ce que fait brillamment Manuel Gagneux. Quant aux deux nouveaux morceaux présentés, ceux-ci laissent entrevoir une intéressante évolution des compositions, ajoutant des sonorités indus et death-mélodique à un ensemble déjà riche... Et qui montre, au contraire de ce que pouvait dire les mauvaises langues, que Zeal & Ardor est un projet cohérent qui peut encore avoir de grandes choses à conter.
Alors quand résonnent "We Can’t Be Found", on ne peut être que déçu qu’il s’agisse du dernier morceau de la soirée… Mais le groupe revient pour un rappel endiablé, où la foule tente un calamiteux wall of death sur "Don’t You Dare" (s’il vous plaît, arrêtez de partir avec les accélérations, cela peut déconcentrer les musiciens sur scène tant d’échec) avant de laisser place à "Devil Is Fine" puis "Baphomet". “Right hand up, left hand down, Flame on the top and a moon around” nous impose Manuel Gagneux, qui se permet d’orner un sourire devant le public qui s’exécute.
Le groupe quitte la scène après de grands remerciements, et paraît visiblement heureux de sa prestation et de son impact sur le public. Et le peu que l’on puisse dire c’est que les absents ont toujours tort, tant il s’agissait de l’un des plus beaux concerts donnés en 2018. Un magnifique show pour clôturer de la plus belle des manières cette année 2018 riche en concerts, en aventures et en émotions.
Setlist :
Sacrilegium I
In Ashes
Servants
Come On Down
Blood in the River
Row Row
You Ain't Coming Back
We Never Fall
Waste
Fire of Motion
Ship on Fire
Stranger Fruit
Cut Me
Gravedigger's Chant
Children's Summon
Built on Ashes
We Can't Be Found
Rappel :
Sacrilegium III
Don't You Dare
Devil Is Fine
Baphomet
Photographies : © Arnaud Dionisio 2018
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