Alors qu'il patauge déjà depuis quelques années pour faire redécoller sa fibre artistique, Rhapsody Of Fire propose un nouvel album avec sa toute nouvelle formation, un seul membre originel aux manettes. C'est une curiosité mêlée d'appréhensions qui nous fait aborder ce dernier.
Contre vents épiques et marées sauvages : c'est le terme idéal pour représenter les obsessions d'Alex Staropoli, qui tente à tout prix de maintenir sa formation à flots alors que tous les éléments se déchaînent contre lui. En quelques courtes années, Rhapsody Of Fire, alors référence dans le metal symphonique, s'est vu amputé de ses membres phares, pour devenir un supergroupe boiteux. Le claviériste, dont la démesure s'égale tant dans l'ambition que dans l'arrogance, se voit donc contraint de s'entourer comme il le peut. Après un Roby de Micheli certes bon technicien mais au jeu peu transcendant si on se doit de le comparer au monstre Luca Turilli, c'est donc un nouveau chanteur, Giacomo Voli, ainsi qu'un nouveau batteur, Manu Lotter, qui rejoignent une formation semblant en bout de course. D'autant qu'avec les frasques du même Turilli dans son Rhapsody respectif, qui a le mérite d'explorer des sentiers plus inédits, ou la participation de Fabio Lione auprès des Brésiliens de Angra (on vous conseille Omni, qui nous avait convaincu l'année dernière), le dernier album en date, Into The Legend, fait pâle figure. L'avantage en abordant ce The Eighth Mountain, c'est que l'on a strictement aucune attente.
On n'est jamais à l'abri d'une bonne surprise, mais ce n'est pas ici qu'on ira la piocher. Défaut inhérent à tous les albums de la formation, mais qui pouvait se dénoter par des mélodies aventureuses et entraînantes, The Eighth Mountain est un calque. La mise en place fait sa petite minute, le deuxième titre va à fond les ballons et débute par un gros solo de guitare, la ballade avec instruments folklo est à la sixième place, le mid tempo avec énormes choeurs fait suite, le dernier flirte avec la dizaine de minutes. Staropoli tente encore une construction d'album classique pour le groupe, essayant alors de rallier ses fans sans les sortir de leur zone de confort. Espérant ainsi atteindre ce qui fait le sel de la formation, du moins en apparence, il en oublie que la matière principale était son mélange de compositeurs. En s'entourant de "faiseurs" (qui font le taf, il n'y a aucun doute, si ce n'est la batterie insupportable de Manu Lotter qui ne fait qu'alourdir chaque titre par une double pédale omniprésente - à sa décharge, c'est souvent le cas dans tout ce qui puise dans le speed / power metal -) et en restant le seul compositeur à bord, le claviériste ne fait qu'en atteindre le son, mais on passe malheureusement bien au travers.
Car évidemment, on reconnaît le style de Rhapsody à chaque amorce, si bien que chaque titre pourrait paraître comme un morceau faible d'un album précédent. Là où un changement de membres aurait pu apporter une totale évolution tout en conservant une certaine identité, on se retrouve avec un ersatz effectué par de nouveaux musiciens qui sont malgré eux de pâles copies. La même chose, en moins bien. Qui a tendance à virer à la parodie. On pense notamment à "Rain Of Fury", son intro ridicule et ses refrains qui le sont tout autant. À "Clash Of Times" (si on avait rien à en redire, on l'aurait mis juste pour le titre), qui est un condensé best-of de tous les titres rapides de Rhapsody à la "Holy Thunderforce". À "March Against The Tyrant", dont les passages instrumentaux et une construction progressive sont gâchés par des choeurs qui se veulent épiques mais ne font que renforcer l'impression d'être devant une galette réalisée par des fan boys de Rhapsody que par le groupe lui-même.
Le plus agaçant dans tout ça, c'est qu'on a envie d'aimer ces nouveaux musiciens. En particulier Giacomo Voli, puissant à souhait, dont la palette vocale n'a rien à envier à son prédécesseur, ce qui n'avait rien d'évident. En témoigne "Tale Of A Hero's Fate", dernier morceau et titre-fleuve de l'album, où son chant est force de proposition tout du long et offre enfin une certaine consistance à l'oreille dans sa variété, à défaut d'un titre une fois encore passe-partout. L'exécution efficace donne envie de s'y plonger, en témoignent les passages instrumentaux de "Master Of Peace", de très loin le morceau le plus appréciable et efficace de l'album.
Alors on pourrait prendre cet album pour ce qu'il semble être : une transition, une démo technique de ces nouveaux musiciens, prouvant qu'ils peuvent s'imprégner des couleurs de Rhapsody (car oui, niveau force d'interprétation et énergie, il n'y a rien à redire) avant de passer à un véritable nouveau chapitre. Mais n'était-ce pas là le travail de Legendary Years, sorti l'année dernière, composé de classiques du groupe réenregistrés pour justement nous présenter cette nouvelle formation? En cela, ce dernier avait une certaine audace, et rassurait ceux inquiets de l'avenir d'un groupe ayant perdu ses membres phares. Il n'était pas nécessaire de remettre le couvert une seconde fois, mais preuve est malheureusement qu'Alex Staropoli a fait le tour de ce qu'il avait à dire. Seul, la tâche est plus ardue, on lui concède au moins cela.
On est face à "l'énième album", celui que beaucoup de groupes redoutent. Celui qui pointe tous les deux ans, sans saveur et qui fait de nombreux émules en attendant celui qui sort de nulle part et relance vraiment la machine. Celui qui plaira malgré tout aux nostalgiques, parce que la machine est huilée et qu'il s'écoute sans embûches, et qui n'incite plus les musiciens à nous challenger auditivement. Cas typique, et on ne compte plus le nombre de formations qui ne proposent plus de compositions savoureuses depuis des années. Espérons que ce ne sera pas le cas de Rhapsody Of Fire.
Sortie le 22 février 2019 chez AFM Records