A l'occasion de la sortie d'I The Mask le 1er mars 2019, la Grosse Radio a pu s'entretenir avec Anders Friden, le chanteur du groupe de death-mélodique suédois In Flames dans un hôtel parisien. En toute décontraction et sans langue de bois, le Suédois a pu nous parler du treizième album, de l'actualité du groupe, ainsi que de sa vision du metal et de sa vie d'artiste.
Bonjour Anders, merci beaucoup pour nous avoir accordé cette interview. Avant de parler de la prochaine sortie d’In Flames, une petite question à propos de ton apparition sur le single « Raise Your Banners » de Within Temptation, sorti il y’a un mois de cela. Pourquoi une telle collaboration et comment l’as-tu vécue ?
Tout simplement parce qu’ils m’ont demandé de la faire et j’ai dit oui (rires). C’était vraiment très sympa de faire ça. Ils m’ont envoyé la chanson et les paroles et j’ai enregistré ma partie de chant chez moi. Et apparemment ils ont vraiment bien aimé et je suis allé les voir et les rencontrer au tournage du clip. Ce sont vraiment des gens super, on a vraiment passé un bon moment et puis on fait une tournée ensemble en plus. Un très bon groupe avec des très bonnes personnes et très bonne chanson, c’était cool.
D’ailleurs avec quel artiste voudrais-tu collaborer pour une chanson d’In Flames ?
Pour une chanson d’In Flames ? (Anders a l’air surpris NDLR) Mmm, il y’a beaucoup d’artistes qui sont vraiment très bons et avec qui j’aimerais travailler. Et ça dépend aussi si tu choisis un chanteur ou un musicien. Pour le chant, j’aimerais bien faire un morceau avec Dave Gahan de Depeche Mode, ça serait vraiment cool, ou avec une chanteuse comme SIA, elle a vraiment une voix magnifique.
Parlons alors maintenant plus en détail de ton nouvel album, I, the mask qui sortira le 1er mars 2019, je te laisse présenter l’album et nous dire les messages que tu veux faire passer.
Alors, je dirais que c’est une bonne représentation de ce que nous faisons musicalement à l’heure actuelle. Il y a dans cet album tout ce qui nous caractérise et ce qui a fait notre renommée. La mélodie, et les choses les plus importantes qui vont avec, et puis on a essayé de créer quelque chose de sympa autour de ça. Il y a un bel ensemble, un bon rythme, des parties heavy, des parties plus douces, des plus rapides, des plus lentes. Et au niveau des paroles, la raison pour laquelle ça s’appelle I, The Mask (traduire par le masque c’est moi NDLR), c’est que dans la vie nous portons toujours un masque. Différents masques pour des occasions différentes pour pouvoir faire face au monde qui nous entoure et avec les différentes situations auxquelles nous sommes confrontés. Et la plupart du temps, ce n’est pas aussi bien que cela puisse paraitre. Je comprends que c’est un peu comme une sorte de survie et qu’on ne peut pas l’éviter. Mais pour appréhender le passé et la partie sombre de notre humanité, il faut vraiment s’ouvrir et se montrer tel qu’on est au lieu de se cacher derrière quelque chose d’artificiel. C’est comme ça que ça marche. En tout cas, je suis vraiment super satisfait des morceaux, on a passé un super moment à les enregistrer. Et comme d’habitude on les a composés d’abord pour nous, donc on en est toujours satisfaits. Ensuite on les a enregistrés, on les a mixés, masterisés, puis envoyés au label, et maintenant on ne contrôle plus rien sur la musique. C’est entre les mains d’autres personnes et c’est au public de décider ce qu’il pense de notre musique. En tout cas pour moi, c’est un bon album qui rentrera dans l’histoire d’In Flames.
D’ailleurs de la même manière que de dénoncer le fait que l’on porte un masque, te considérerais-tu comme un artiste engagé qui a à cœur de dénoncer les grands problèmes de la société comme le rôle des nouvelles technologies par exemple ?
Et bien, je vis dans ce monde, je vois des choses et j’exprime ce que je ressens, mais pour moi, je ne vois pas ce que je fais tellement comme de la protestation, car qui-suis-je pour juger ? Je suis juste un mec suédois qui a eu de la chance et qui joue dans un groupe d’heavy metal (rires). Ce n’est pas comme si je devais lutter et que j’avais d’énormes difficultés dans la vie. Je dirais que ce que je fais, c’est plus faire penser les gens et leur faire prendre conscience de ce qui se passe dans la société et de leur situation. Pour ce qui est de mon avis sur les technologies, c’est bien, on les utilise tous les jours et on vit plus longtemps grâce à ça. On a pu inventer des tonnes de choses utiles. Mais en même temps ces mêmes technologies nous détruisent. Il y a des scientifiques qui nous disent que le monde va de plus en plus mal à cause de ça. La fonte des glaces s’accélère et n’a jamais été aussi rapide.
Je pense qu’on ne peut pas apprécier toute la liberté que l’on a. Et quand de terribles catastrophes arrivent, nous ne sommes pas prêts à les appréhender. On a eu des guerres comme la Seconde Guerre mondiale et tant d’autres avec tellement de souffrance et de désastres. Et dans le monde occidental, l’Europe occidentale surtout n’a pas apprécié la liberté qu’elle avait. Tout le monde pointe du doigt les autres en leur disant ce qu’ils doivent faire, les réseaux sociaux multiplient les fake-news et les gens passent leur temps à juger, si bien qu’on peut ruiner la vie d’une personne aujourd’hui en dix secondes… Donc c’est très dur de prendre position, c’est parfois pour le meilleur comme pour le pire.
Dans de nombreux morceaux tels que « I am above », « Voices », ou « Burn », on retrouve un côté un peu plus heavy qui fait un peu penser au In Flames de la fin des années 1990 (Whoracle) ou du début des années 2000 (Clayman), comment décrire In Flames dans ce nouvel opus ?
Et bien je le décrirai comme In Flames ! (rires) C’est tout ce que nous sommes. Comme je le disais on fait un album qu’on a trouvé génial et si tu le trouves comme ça c’est super, mais si quelqu’un le trouve autrement, on le respecte également. On essaye d’être aussi bon que possible, on sort un album, on fait une tournée, et puis on en refait un autre. Mais on a toujours cette même mentalité. Et c’est pour ça que nos albums sont toujours aussi bons qu’ils peuvent l’être dans ce sens. Au passage on apprend de nouvelles choses, on écrit mieux, on utilise une meilleure technologie, on gagne de l’expérience. Je pourrais passer mon temps à faire album ou je ne chanterais qu’en « scream », mais ce n’est pas ce que je veux. Je peux encore utiliser mon « growl » profond mais je n’en ai pas envie.
D’ailleurs, en parlant de ta voix, tu as dit avoir pris des cours de chant pour pouvoir chanter des notes plus hautes. Peux-tu nous en dire plus ?
Non ce n’était pas tant pour aller plus haut, que de pouvoir en apprendre plus sur mon instrument et le comprendre. Et c’était aussi pour pouvoir mieux appréhender les phases d’enregistrement afin de savoir ce dont j’étais véritablement capable. Lorsque nous écrivons les chansons Björn et moi, c’est bien de savoir ce que je peux chanter, mes possibilités, avec quelles clés je chante le mieux etc... Ces cours ont commencé sur Battles, avec Howard Benson le producteur. C’est lui qui m’a demandé de prendre des leçons. Je lui ai répondu «Haaa (avec un air réticent), je sais pas », puis j’ai hésité mais j’ai finalement accepté et je pense que c’est une des meilleures décisions que j’ai prise dans mon intérêt. J’ai rencontré Mark, le coach vocal. Il m’a dit comment utiliser ma voix. C’était plus que du chant, mais également apprendre à respirer, à savoir ce qu’on doit faire ou ne pas faire avec sa voix, comment se préparer mentalement à faire certaines tâches lorsque qu’on chante. Je ne prétends pas vouloir être le meilleur chanteur du monde, mais connaitre mes limites.
Une petite question sur le line-up, vu qu’il a récemment changé, avec toi, Björn (guitare) et Niclas (guitare), il y a maintenant Tanner Wayne à la batterie qui remplace Joe Rickard et Bryce Paul à la basse. Est-ce exact ?
Oui ce sont les membres qui sont maintenant dans le groupe.
Et sont-ils partis pour rester ou sont-ils juste là provisoirement ?
Je l’espère, tout comme j’ai espéré que les membres avec qui j’ai commencé à jouer en 1995 resteraient. Mais tu sais dans la vie, il y a des merdes qui peuvent arriver et chacun peut prendre des chemins différents. Mais oui, du coup Tanner est le dernier arrivant. Joe Rickard qui jouait de la batterie sur cet album (à part sur deux morceaux), a eu de sévères problèmes au dos et il a dû se retirer. Et si Tanner est dans le groupe, c’est d’ailleurs parce que Joe l’a suggéré. On a appris à le connaitre lorsqu’il jouait avec Of Mice and Men sur une des tournées précédentes (celle avec Five Fingers Death punch NDLR) et c’était vraiment un très bon gars et un batteur génial surtout. Et Bryce il est là depuis que Peter est parti depuis la tournée de Battles, voilà.
Très bien, une autre question maintenant sur la pochette de l’album, très sombre et qui rappelle également les pochettes des premiers In Flames. Comment l’avez-vous élaborée ?
Nous avons à nouveau travaillé avec Blake Armstrong pour créer le visuel, à la fois pour la couverture de l’album, mais aussi pour ce qu’il y a à l’intérieur, ce que tu n’as sûrement pas encore vu. Il était déjà là pour Battles et Siren Charms , et il est devenu un ami très proche, il est venu à la maison là où on écrit les chansons, on a bu une bière, parlé du concept et il a fait son analyse. Puis il a écouté les chansons, lu les paroles et il a tiré son inspiration de ça. Puis il est revenu avec plus d’idées et plus d’enthousiasme. On a parlé avec lui depuis le tout début de l’enregistrement et de l’écriture. On a vraiment beaucoup creusé le concept. Oui, le visuel est vraiment cool et très obscur. Je ne vais pas raconter toute l’histoire, mais les fans comprendront quand ils verront le livret du CD et les paroles.
Pour revenir à Howard Benson, et la production de l’album. Son rôle a-t-il beaucoup changé depuis le dernier album où vous avez commencé à travailler avec lui ?
Je dirais que peu de choses ont changé. Pour Battles, on ne le connaissait pas trop. On ne connaissait que son travail. Mais Björn et moi étions d’accord sur le fait qu’il faille déléguer le contrôle que nous avions sur nos productions. Sinon ça ne servirait à rien d’embaucher un producteur comme Howard. Il coûte beaucoup d’argent, donc ne pas écouter une telle personne avec un tel CV, ça ne serait pas très intelligent. Mis à part son travail, on l’a rencontré cette fois-ci de manière beaucoup plus détendue. En tant qu’humain et professionnellement, il est vraiment génial. Il voit tout de suite ce qui est nécessaire, et ce qui ne l’est pas, ce qui n’a pas de sens. On fait nos démos, il les écoute et nous dit franchement ce qu’il pense, ce qu’il faut retirer et ce sur quoi il faut insister. Cela a été un très bonne de décision de choisir de travailler avec lui.
Vous avez enregistré une nouvelle fois votre album à Los Angeles dans le même studio que pour Battles, qu’est ce qui a changé par rapport à l’enregistrement de Siren Charms en Allemagne ?
C’est juste le climat ! (rires) En Allemagne, on porte des manteaux, alors qu’à Los Angeles on est en shorts et T-shirts. C’est juste l’environnement qui t’entoure et l’atmosphère qui changent. Ici on se sent à la maison, on s’est fait plein d’amis et on peut se concentrer sur ce qui importe. Qui sait ce qui se passera dans le futur ? Mais pour le moment, Los Angeles est une bonne formule.
Passons à un tout autre sujet, l’année dernière, vous avez organisé la première édition de votre festival « Borgholm Brinner » chez toi en Suède ? Quelle expérience en avez-vous en avez tiré ? Et comment l’avez-vous vécu ?
C’était vraiment une expérience incroyable ! Il y a eu beaucoup de travail pour en arriver là, car j’ai été impliqué dans toutes les étapes. Même si ce sont évidemment d’autres personnes très cools qui se sont occupées de la partie plus difficile du travail. Mais on a bien bossé pour l’organisation générale, le planning, la programmation et ce genre de choses. Je trouve qu’on apprécie vraiment plus à cette occasion les personnes des festivals qui travaillent dans l’ombre derrière la scène. On apprécie vraiment de comprendre le fonctionnement général. Ce n’est pas comme lorsqu’on va dans un autre festival, qu’on fait notre set et qu’on part juste après. En plus de cela, le lieu est vraiment magique, c’est un château du début du premier millénaire à Göteborg. Et c’est également un endroit très intime avec quelques milliers de spectateur dans la cour de ce château et il y avait même des effets de lumière vraiment impressionnant sur les murs. Bref, c’était une expérience fantastique. Ma première idée, ce n’était pas d’avoir plusieurs scènes avec plein des groupes qui joueraient tout le temps, mais vraiment quelque chose de plus intime où tous les groupes qui joueraient auraient vraiment toute l’attention du public. Et puis cette année, on ne peut pas rêver mieux que d’avoir une édition comme celle de l’année dernière.
Est-ce que c’est important pour toi de jouer à la maison à Göteborg ?
Bien sûr que c’est important ! D’avoir joué dans un stade comme le Scandinavium à Göteborg devant plus de dix mille spectateurs, c’est vraiment incroyable. Quand j’étais plus jeune, c’était un lieu dans lequel j’allais en concert voir des groupes de heavy metal, et y retourner en tant que groupe, c’est forcément quelque chose de très fort. Donc oui c’est important.
Dans une interview d’Avatar l’année dernière et d’une question sur le succès de grands groupes suédois, il est évoqué la place que joue le metal dans la culture suédoise. Comment expliquerais-tu le fait qu’en Suède la musique metal soit peut être plus développée qu’en France?
A l’heure d’internet, c’est surprenant, tout le monde a accès très facilement à ce type de musique. Ce qui est sûr c’est que ce n’est pas une musique populaire et que pour aimer le metal il faut être curieux et décider qu’on aime cette musique ou pas. J’ai grandi dans une époque sans streaming et où je devais tout chercher par moi-même. Il y avait des envois postaux (tape trading) qui permettaient de se renseigner sur les sorties et d’écouter des extraits. J’allais chez le vendeur de disques avec mon ami. Maintenant, c’est complètement différent avec le streaming, car on écoute des chansons en 30 secondes et on décide si on aime ou pas et juste après et on passe à la suivante. Et quand j’ai grandi, le gouvernement nous a aussi beaucoup aidé sur pas mal de points. On pouvait même avoir de l’argent pour louer un espace de répétition musicale ou prendre des leçons de guitare et de batterie. Je ne sais pas comment c’est aujourd’hui, mais le metal est vraiment accessible en Suède aujourd’hui. Nous avons vraiment une histoire aussi. Il y’a eu des groupes comme Europe, qui ont eu énormément de succès au niveau mondial et d’autres groupes sont arrivés après avec du plus « heavy » comme Candlemass. Et puis les groupes de Göteborg (en référence à la question précédente), ça a vraiment été très inspirant.
Tu as vraiment réussi à accomplir beaucoup de choses avec ton groupe, à créer une vraie communauté, à créer ton festival etc. As-tu encore des objectifs concrets, des rêves ou fais-tu ton travail juste parce que tu aimes ça ?
Je fais forcément mon travail parce que j’aime ça (rires). Personne ne me force à travailler ! Ce qui est important pour moi, c’est de pouvoir continuer à atteindre nos fans via notre musique. Peut-être que c’est grâce à In Flames que tu vas te faire des amis et que ta vie sera un peu meilleure. Rien que d’y penser c’est génial. Si je continue à faire des shows, c’est parce que j’aime ça et encore une fois personne ne me force à le faire.
Mais tu n’es donc jamais fatigué de faire tout le temps la même chose, un nouvel album, une tournée et ainsi de suite ?
Non, bien sûr tu as des journées plus difficiles, mais c’est comme ça pour tout le monde. Mais à la fin de la journée, je me dis que mon hobby c’est aussi mon travail. Et en plus de ça j’ai pu faire le tour du monde avec mes amis, créer de la musique pour les gens. Donc je suis vraiment chanceux. J’adore ça ! Et le fait qu’un Français comme toi me pose des questions sur le treizième album, sur cette « shit » (rires), je dois reconnaitre que j’apprécie énormément. Bien sûr passer son temps à répondre aux mêmes questions, c’est fatiguant, mais ça fait partie du job ! Mais j’aime mon travail.
Pour la dernière question, peux-tu nous parler d’un des tes meilleurs moments en France ?
Question difficile parce qu’il y en a eu beaucoup et jouer ici a toujours été incroyable. On a joué avec les mecs de Gojira qui sont incroyables et fait une tournée avec eux. C’est difficile d’en choisir un. Il y a aussi la tuerie du Bataclan qui nous a marqués pour toujours. D’autant plus qu’on était en France à ce moment-là et que je connais personnellement l'une des victimes. C’était vraiment horrible. D’une certaine façon, cela fait de l’ombre sur tout le bien. Ça a été vraiment très fort de revenir au Bataclan et de rejouer dans cette petite salle. On avait la sensation d’être tous unis, les fans et le groupe, c’était vraiment une très belle soirée.