Lorsqu'on se construit une passion pour la guitare, on passe par plusieurs étapes. Ado, ce sont les vidéos YouTube où Malmsteen déblatère ses déluges de notes qui forcent notre admiration. Puis on grandit, les goûts évoluent, et on commence à rechercher des saveurs plus construites, moins clinquantes et alors axées sur la vitesse plus que la virtuosité.
On découvre alors les Satriani, les Mike Stern, Eric Johnson et autres Jeff Beck, des guitaristes plus économes dans leurs débits mais qui concentrent leurs aspirations sur les mélodies. Des titres uniquement instrumentaux mais ayant suffisamment de lectures pour ne pas que la voix devienne un manque. Plus on recherche de véritables virtuoses et plus les horizons se délitent, surtout si l'on souhaite rester dans les carcans du rock et du metal (à ce titre, le jazz est bien plus fourni). Et en affinant bien ses découvertes, on ne peut que finir par se heurter au mur Christophe Godin, élément indispensable pour tout amateur qui se respecte.
Celui que l'on ne murmure que trop peu, connu et admiré essentiellement par un public de niche, n'en est pas pour autant un Paul Personne du pauvre, bien au contraire. Et il suffit de poser notre oreille quelques secondes sur un titre de son projet Mörglbl pour entrevoir les contours de la bête. Trio atypique qui puise ses sources autant dans le jazz que dans le metal, Mörglbl se plaît à s'aventurer dans n'importe quel registre tant qu'il y trouve une mélodie à exploiter. Uniquement instrumental, la formation ne nous met jamais en manque de repères vocaux tant les trois compères nous gratifient d'un jeu riche et inspiré. Il y a toujours quelque chose à écouter, que ce soient les lignes de basses d'Ivan Rougny ou le groove implacable d'Aurélien Ouzoulias derrière les fûts.
Et pour groover, on ne peut dire que ça y va pas de main morte. Après l'introduction "boîte à musique" de l'album, il ne suffit que de quelques secondes pour que le riff d'introduction mêlé à la caisse claire soutenue de "2 Flics Amis Amish" entre en tête. Les pieds battent la cadence, suivant la progression crescendo, et après l'explosion, les nuques suivent. Par son jeu varié et toujours virtuose, Godin rend aussi hommage à ses références dans ses gimmicks. On avait mentionné Jeff Beck ? On le ressent dans "Döner Dörgazm". On retrouve également les influences progressives, dans "Crime Minister" par exemple où les rythmiques jouent constamment avec le temps. Les plaques d'accords sont lourdes, conférant l'aspect metal de Mörglbl, et on s'amuse à décortiquer dans nos têtes chaque structure, chaque solo.
À la fin, on en redemande encore. The Story Of Scott Rötti passe d'ailleurs aisément le challenge des multiples écoutes. Là où il y a cependant un réel aspect de manque, c'est dans l'aspect "délirant" de la formation. Si les compositions n'hésitent pas à partir dans de nombreux sens, et que l'on sent bien que certains passages ne sont pas sortis d'un esprit sain, le caractère "déconnant", que l'on voit dans les clips et surtout dans les titres se ressent moins lors de l'écoute. Avec des "Lèpre à Élise", "Dark Vädim" ou autre "Prog Töllog", on s'attend plus à quelque chose qui ira plus lorgner vers Zimmers Hole que vers des mélodies plus concrètes, construites. Mörglbl est avant tout un groupe de live, qui dévoile toute sa folie, tant par les mimiques de ses membres que par leur nombreux jams. Un véritable trio dont on sent la constante alchimie et complicité et qui ne peut que dévoiler sa véritable force qu'en forçant l'impro à tout va. Un nouvel album du trio représente donc une accroche, un point de repère pour venir prendre la véritable baffe, celle de la scène, où le plaisir est alors décuplé. Et clairement, pour y avoir été, on vous souhaite d'aller en faire l'expérience.
Tracklist :
2 Flics Amis Amish
Anarchytektür
Dark Vädim
Döner Dörgazm
La Lèpre À Élise
Crime Minister
Panzer Kökötier
Prog Töllog
The Story Of Scott Rötti
Cor À Cor
Sorti le 1er février 2019 chez Free Electric Sound
