In Theatrum Denonium : Acte IV (02.03.2019)

Tous les ans, le théâtre de Denain accueille des affiches black metal de plus en plus impressionnantes dans son cadre somptueux. Après avoir attiré Septicflesh et Inquisition l’an dernier, l’édition 2019 regroupait les très rares Darkspace et Darkened Nocturn Slaughtercult avec les titans belges d’Amenra. Le tout dans une ambiance de petit festival au cadre unique.

Il faut avouer que lorsqu’on rentre dans le théâtre municipal de Denain, on est assez impressionnés par l’édifice. Une fois les escaliers montés, le public découvre un ancien fumoir avec lustre et fresques au mur où se produit déjà Raphael Verguin pour un concert solo de violoncelle. Le musicien est connu pour faire partie notamment de Spectrale ou Psygnosis. Ici pas encore d’ampli ni de metal, simplement un public curieux observant à la fois le musicien et la beauté du lieu qui l’entoure alors que les portes du théâtre ne sont toujours pas ouvertes.

Finalement, les portes s’ouvrent peu avant 18 heures et on découvre le balcon et la fosse, tout en dorures et en velours. L’ensemble des places sont assises mis à part les cinq ou six premiers rangs où le public peut se mettre debout. On mesure le privilège de voir du black metal dans ce cadre puis les trois coups théâtraux sont tapés et Au Champ des Morts peut monter sur scène pour ouvrir la soirée.

Au Champ des Morts

Monté par Stefan Bayle, ex-Anorexia Nervosa, Au Champ des Morts est le seul groupe français de la journée et livre un black metal lancinant et mélancolique, plutôt réussi sur CD. En live, la formule prend peut-être un peu moins, la faute à un chant pas très convaincant. Restent des compositions de très bonne qualité avec notamment des riffs et des solos plutôt originaux pour le style. Cartouchière et lunettes de soleil, Stefan annonce les morceaux avec une voix tragique, limite larmoyante et clairement, ça tombe un peu à plat. Heureusement que sa musique a suffisamment de qualités pour parler d’elle-même.

au champs des morts, denain, black metal, in theatrum denonium, 2019

La scénographie du théâtre permet un jeu de lumière assez fou. On a le sentiment que même des musiciens sans charisme pourraient nous subjuguer dans ce cadre. Le son est particulièrement bien réglé avec notamment un son de batterie monstrueux. Le batteur n’hésite d’ailleurs pas à en profiter pour en faire des tonnes sans toutefois dénaturer la musique du groupe. La basse de Cécile nous enrobe en permanence et son chant apporte un plus lorsqu’on parvient à l’entendre. Les gradins et les sièges du théâtre se remplissent petit à petit même si la foule est encore loin de se bousculer, des conditions bizarrement confortables pour regarder du black d’habitude plutôt underground mais on ne va pas s’en plaindre !

denain, in theatrum denonium, 2019, au champ des morts

Le groupe défend Dans la Joie, son premier album sorti en 2017 et aura sûrement convaincu une bonne partie du public présent en cinquante minutes avec son black metal somme toute très bien ficelé. Il peine simplement à se sublimer en live par rapport au studio.

In theatrum denonium, au champ des morts, denain, 2019

Darkspace
 

Beaucoup de spectateurs ont fait le déplacement spécialement pour Darkspace, rarissime en France et légende du black metal atmosphérique. En live, ils sont trois, deux guitares et une basse avec une boite à rythme en guise de batterie et un charisme tout simplement impressionnant. L’aura qu’ont les trois membres sur scène est à vous glacer le sang, corpse paint tout sauf cheap et longues tenues noires les faisant ressembler à des créatures venues d’une autre dimension.

Darkspace, Denain, In theatrum denonium

Très vite le déluge sonore démarre entre blasts supersoniques et riffs martiaux. Zorgh, au centre de la scène fixe à tour de rôle des spectateurs avec ses lentilles rendant ses yeux complètement noirs. Derrière elle, une boule de lumière suffit comme décor pour rendre la prestation hypnotique.

Darkspace, denain, in theatrum denonium

Au premier rang, le son manque un peu de précision et il faut prendre du recul dans la salle pour apprécier l’ambiance façon mur de son mise en place par les Suisses. Le cadre du théâtre se prête évidemment très bien à ce genre de titres longs et majestueux. Dommage que les samples ambiants aient du mal à se faire entendre face aux riffs furieux de Wroth et Zhaaral.

Darkspace,denain, in theatrum denonium

Au final, pendant une heure Darkspace déroule sa partition d’une main de maître. Sobrement, les titres de plus de dix minutes s’enchaînent et prouvent que le black metal ambiant peut très bien s’incarner sur scène et même nous donner de quoi remuer la tête ! Le riff d’ouverture de "3.16" ou celui de "4.20" en sont la preuve. Le chant est partagé avec talent par les trois musiciens avec des cris là aussi d’une pureté incroyable. On serait presque déçu de n’avoir qu’une heure de set mais les Suisses ont clairement gâté leurs fans ce soir. L’aspect monolithique et fermé de leur musique a peut-être pu faire fuir quelques spectateurs non préparés mais pour ceux qui sont restés, l’expérience cosmique restera longtemps dans les mémoires.

Darkspace, denain, in theatrum denonium

Setlist:
Dark 1.2
Dark 3.12
Dark 3.15
Dark 3.16
Dark 4.20

Darkened Nocturn Slaughtercult

Pour passer après un groupe aussi culte que Darkspace, il fallait au moins un autre groupe culte : les Allemands de Darkened Nocturn Slaughtercult. Du black metal réduit à sa plus simple essence et une chanteuse possédée, c’est ce que les Allemands livrent depuis 1997 et Denain n’a pas été épargnée. Dès le début, on retrouve tout le décorum classique du true black metal dans la scénographie : cranes d’animaux, pentagrammes, croix inversées... Et effectivement, la musique ne fait pas dans le détail avec un batteur en blast pendant quasi tout le set.

olienar, darkened nocturn slaughtercult, denain, 2019

Autant se le dire, pendant une heure c’est tout de même assez monolithique. A l’image de leurs compatriotes allemands d’Endstille, on est sur du black metal sans la moindre subtilité. Les riffs sont loin d’être techniques et on perd un peu le fil de la prestation malgré quelques titres un peu mid-tempo comme « Das All-Eine ».

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S’il reste quelque chose à admirer dans ce set, c’est la prestation très théâtrale d’Olienar au chant et à la guitare. La chanteuse habillée en robe de mariée tâchée de sang attire tous les regards et livre une performance bluffante niveau riffs et hurlements. Les spectateurs qui ont osé se mettre au premier rang en auront pour leur argent en se prenant de jolis crachats de sang en pleine tête. On ne peut pas reprocher à la chanteuse de ne pas être à fond dans son personnage et son attitude diabolique est largement convaincante, renforcée par l’ambiance naturelle dans le théâtre de Denain.

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Le théâtre n’est d’ailleurs toujours pas rempli, il est étonnant de constater que la plupart des sièges restent vides alors que le festival affiche sold-out. Probablement car la production vend des places en prenant en compte uniquement les places assises mais dommage pour tous ceux n’ayant pas pu obtenir le précieux sésame. Pour DNS, l’affluence est l’une des plus fortes de la journée et nul doute que les Allemands étaient attendus. Ils n’ont pas déçu avec une performance théâtrale et violente, sans (trop) rentrer dans le cliché.

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Setlist:
Wicher Za Gorami
Beneath the Moon Scars Above
Coronated Spheres of Adversity
A Beseechment Twofold
Spectral Runlets of Tulwod
Das All-Eine
Exaudi Domine
In the Land of the Mountains of Trees
In The Hue Of Night
Thanatos
Nocturnal March

Amenra

Petite particularité d’Amenra, c’est le seul groupe se produisant aujourd’hui qui ne compte pas de membre féminin. Les Belges ne sont qu’à une heure de chez eux et jouent presque à domicile dans le théâtre de Denain où ont été déployées pour l’occasion d’énormes bannières à leur effigie. Tout le monde n’a pas été emballé par leur présence en tête d’affiche au milieu d’autant de groupes de black metal plus « true ». Le public est donc un peu différent et une partie des spectateurs ne reste même pas voir la prestation. Quelle grossière erreur.

amenra, denain, in theatrum denonium

Le groupe rentre sur scène sur « De Dodenakker » et dès la première note de distorsion balancée par Lennart Bossu on sent que l’on va assister à un moment mémorable. Le son est réglé au millimètre et chaque note, la plus étouffée soit-elle, est audible. Lorsque le groupe lâche les chevaux, c’est un véritable mur de son qui nous atterrit dessus où que l’on soit placé dans le théâtre. La basse de Levy Seynaeve nous vrombit au plus profond des tripes, tout comme les cris de Colin van Eeckhout tournant comme d’habitude le dos à son public.

amenra, denain, in theatrum denonium

Derrière la batterie, une projection de visuels monochromes durera tout le set et nous plonge dans le monde mélancolique des Belges. On pourrait décrire le concert comme ça, un parpaing de mélancolie assené en pleine poire par Colin et sa troupe. Jusqu’à totalement oublier que trois autres groupes ont foulé les planches du théâtre ce soir-là.

Pas une fausse note ne sort des guitares de Lennart et Matthieu Vandekerckhove, chacun explorant à sa manière les mélodies si personnelles d’Amenra. Tour à tour, l’ambiance se veut calme et presque religieuse, puis déchainée avec ce son doom gras proche de formations comme Cult of Luna.

Amenra, in theatrum denonium, denain, 2019

Rares sont les moments où l’on sort du monolithe. Sur « Boden », Colin et le batteur Bjorn Lebon se répondent en frappant des tubes de métal. On entend quelques échos de discussions au fond de la salle mais globalement le public est plutôt respectueux, ce qui n’est jamais gagné dans ce genre de moments. Puis viens la tant attendue « A Solitary Reign » chanson la plus connue et accessible des Belges qu’ils se refusaient pourtant à faire en live jusqu’alors. On s’attendait à un moment de pure émotion mais la mélodie de Lennart et le chant clair de Colin nous emportent bien plus loin que ça. Amenra touche au sublime et enchaîne directement sur le riff de « Am Kreuz », seul moment du set où le tempo s’accélère significativement.

Pour finir le set, on retourne sur Mass IIII, album le plus représenté ce soir avec "Silver Needle. Golden Nail" et Colin désormais torse nu nous offre une dernière fois la démonstration de ses cris déchirants.

amenra, denain, in theatrum denonium

Même en scrutant chaque détail, il n’y a absolument rien qu’Amenra aurait pu améliorer ce soir. Les Belges ont littéralement délivré un concert parfait à tous les niveaux et surtout dans l’intensité hallucinante mise de bout en bout. Leur départ de scène est si soudain qu’on met quelques minutes à réaliser que c’est bien terminé. On quitte le théâtre avec toujours ces vibrations plein le ventre.

amenra, in theatrum denonium, denain, 2019

Setlist:
De dodenakker
Razoreater
Boden
Plus près de toi (Closer to You)
Diaken
A Solitary Reign
Terziele
Am Kreuz
Silver Needle. Golden Nail 

Photos : Arnaud Dionisio / © 2019
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.

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