A l’occasion de la sortie du nouvel album de Sabaton le 19 juillet prochain et d’un week-end de promotion exceptionnel, La Grosse Radio a eu le privilège de rencontrer le groupe dans la ville de Verdun, un lieu chargé d’histoire. Son prochain opus intitulé The Great War sera un album concept avec un dizaine de chansons autour de la Première Guerre mondiale. En toute décontraction, le bassiste et le guitariste du groupe nous ont donc parlé avec passion non seulement de heavy metal, mais aussi d'histoire…
Bonjour à vous deux et merci de nous recevoir. Tout d’abord comment-vous sentez-vous depuis votre arrivée ? Pouvez-vous nous raconter ce que vous êtes venus faire à Verdun depuis quelques jours ?
Pär : Nous sommes arrivés ici il y a trois jours, le mardi 9 avril donc. On s’est levé très tôt tous les matins, vers 6h30, pour pouvoir voir autant de lieux que possible, ici, sur les traces de la Première Guerre mondiale. Les paroles de nos chansons sur cet album faisant directement référence à ce qui s’est passé ici, dans ce lieu chargé d’histoire, nous voulions en apprendre le plus possible. Et d’ailleurs on ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, puisque nous n’étions jamais venus. L’équipe de la chaine Youtube Sabaton History est également venue nous accompagner pour prendre autant de photos et de vidéos que possible, ainsi que pour expliquer et développer le contexte historique de nos chansons.
A chaque fois que l’on arrivait dans différents endroits (un cimetière, un champ de bataille, un fort…), on a vraiment beaucoup réfléchi à ce qu’on allait en dire, ou même à ce qu’on allait filmer. Cela a effectivement bouleversé nos idées reçues de voir ces lieux en vrai. Les journées étaient donc très longues et on avait vraiment besoin de beaucoup de temps. Cela a parfois duré jusqu’au bout de la nuit ! Et évidemment, on a dû se préparer pour l’arrivée des journalistes aujourd’hui. Des journées intenses, mais incroyables… (rires) !
Le 1er avril, La Grosse Radio a annoncé en exclusivité la sortie d’un nouvel album de Sabaton, un album de musique country. Pouvez-vous confirmer aux fans français cette information et ce changement soudain de style ?
Chris : Ah oui la musique country (rires) ! On en est vraiment fan et on en jouait déjà depuis un moment.
Pär : On a vraiment été influencé par nos tournées aux Etats-Unis et on a pensé que nous devions changer quelque chose ! Vous verrez bien… (clin d’œil et rires des deux artistes)
Trêve de plaisanterie ! Cet album de metal porte donc, comme son nom l’indique, sur la Première Guerre mondiale, pourquoi avoir choisi un tel concept pour The Great War ?
Chris : Nous avions déjà fait des chansons sur ce thème plusieurs fois dans le passé, six fois précisément, et nous avons toujours trouvé cette guerre extrêmement intéressante à couvrir. On s’est aperçu que la Seconde Guerre mondiale était beaucoup plus mise en avant dans les médias, les livres et même les jeux vidéo que la Grande Guerre. C’est pour cela qu’on traitait d’ailleurs plus de la Seconde Guerre mondiale dans nos chansons. La Première Guerre mondiale était une zone grise pour nous d’une certaine manière.
Pär : Pourtant, cet événement est même plus intéressant à traiter, car ses conséquences mondiales sont plus importantes que la Seconde Guerre mondiale. La carte du monde n’a pas changé du tout après 1945 par exemple. Alors qu’après 1918, les empires se sont effondrés, et n’oublions pas les changements politiques et sociaux à l’époque. De même la violence et la brutalité de cette guerre est beaucoup plus marquante et glaçante que l’autre. En 1939-1945, c’était vraiment plus organisé et structuré, plus une guerre politique en quelque sorte, malgré le nombre très important de morts. C’est pour cela que je pense que ce thème rend l’album très puissant. On a vraiment accentué la représentation des événements dans cet album pour pouvoir rendre compte de la réalité de l’époque.
Nous avons toujours eu un thème majeur pour chaque album. Pour Heroes, on parlait de l’histoire de Witold Pilecki, alors que pour The Last Stand, cela traitait du hussard volant, un cavalier militaire, qui servait à donner une trame puissante à l’album. Et ici, on a voulu prendre pour thème Verdun, car il n’y a pas de meilleur lieu pour représenter la Première Guerre mondiale. D’ailleurs, on a toujours eu en tête de faire une chanson sur Verdun dès le début. Plus important encore, toutes nos autres chansons sur cet album sont d’une manière ou d’une autre connectées à ce qui s’est passé durant cette bataille en 1916.
Pour ceux qui ne vous connaitraient pas encore, d’où vient donc cette passion pour l’histoire dont vous parlez tant dans vos chansons ?
Pär : Je pense que depuis mon enfance, j’ai toujours plus été attiré par les faits et les histoires réellement vécues que par la fiction. Et quand on a commencé à écrire des chansons pour Sabaton, cela coulait plutôt de source et tout s’est fait plutôt naturellement avec Joakim. Nous avions envie de parler de thèmes qui parlent aux gens. Tous les individus sont reliés d’une façon ou d’une autre par l’histoire. Nous avons tous un lien avec les guerres, même quand on vient d’un pays neutre comme la Suède, car ce sont ces dernières qui bouleversent la société et qui apportent du changement dans nos vies.
Après l’écoute de l’album, on se rend compte que vous avez d’ailleurs eu une approche très pédagogique en ayant introduit des voix off qui explique le contexte historique de chaque chanson avant écoute. C’est une nouveauté n’est-ce pas ?
Pär : Oui c’est une nouveauté, mais l’album que tu as écouté correspondait en fait à la version historique, qui permet grâce aux voix d’avoir la meilleure expérience. Cela donne en effet plus de profondeur et d’atmosphère aux chansons. Il existera aussi une version standard sans les voix- off introductives pour ceux qui ne veulent écouter que notre musique heavy-metal, ou simplement deux ou trois chansons sur les plateformes de streaming.
En fait pour bien comprendre l’histoire des morceaux de Sabaton, il y a trois niveaux différents d'approche. Le premier c’est par la musique : des chansons de hard rock qui traitent de l’histoire dans leurs paroles. Le deuxième, c’est d’aller récupérer des informations sur la Sabaton History Channel sur Youtube pour avoir des informations supplémentaires sur le contexte historique des chansons. Et le troisième niveau, c’est de continuer à en savoir plus, mais là on ne contrôle plus rien, et c’est un niveau réservé à des historiens. On ne sait pas où ils peuvent s’arrêter... Donc nous, on s’arrête à la chaine Youtube (rires).
Il y aura donc deux versions de l’album (standard et historique) c’est bien ça ?
Pär : En fait il y en aura même une troisième. C’est une version que nous n’avons pas encore révélée à l’heure où je parle et qui s’appelle Soundtracks to the Great War. C’est une version plus épique et plus instrumentale de l’album avec d’autres musiciens et d’autres instruments qui permettent de rendre à l’album une atmosphère différente.
En parlant d’instruments, et de musiciens, il est indiqué que vous avez collaboré avec plus d’une dizaine de chanteurs et chanteuses pour faire notamment les chœurs. Floor Jansen, la chanteuse de Nightwish a également participé. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pär : En fait, ce n’est pas vraiment nouveau, car on a toujours travaillé plus ou moins avec ces mêmes chanteurs. Les voix féminines de cet album sont exactement les même que celle de notre album d’il y a quinze ans, Primo Victoria. Les chœurs ont un peu changé entre temps, mais depuis 2012, on a gardé les mêmes voix. Et en plus, on essaye aussi d’ajouter nos propres voix. Et à chaque fois, le traitement du chant est différent pour chaque chanson. Parfois on n’a besoin que des membres du groupe. Cela dépend vraiment.
Dans cet album, vous évoquez des histoires très factuelles comme la bataille de Verdun, ou encore celle du Baron Rouge. Mais vous accordez également une importance très grande à la psychologie des soldats : leur ressenti, leurs émotions, leurs questionnements etc. Est-ce que pouvoir parler de ces deux aspects était quelque chose de très important pour vous ?
Pär : Oui l'aspect psychologique était quelque chose de très intéressant à aborder. C’était une des choses les plus difficiles à trouver, les réflexions personnelles. C’était beaucoup plus dur que les faits. Ce n’est pas forcément quelque chose qu’on publie ou qu’on diffuse, car c’était très dur d’en parler. Mais je pense qu’on a fait le nécessaire pour essayer de retranscrire toutes ces émotions vécues pendant la guerre.
Quels ont été pour vous à titre personnel les événements qui vous ont le plus marqué pendant cette guerre ?
Pär : Je pense que Verdun est pour moi l’événement le plus représentatif, car il y a tellement de choses à en tirer. Mais j’ai aussi beaucoup d’intérêt pour l’histoire liée à la chanson "The Attack Of The Dead Men" qui traite de la défense russe de la forteresse d’Osowiec.
Chris : Oui cette histoire de la défense de la forteresse était vraiment très intéressante. Nous avons pu retranscrire les émotions des soldats russes alors qu’ils subissaient l’attaque de plein fouet. Ils l’ont d’ailleurs perdue à la fin. A un moment ils ont été empoisonnés par le gaz, mais ils ont quand même continué à se battre malgré la douleur. Et c’est vraiment un événement très marquant que l’on évoque dans cette chanson. C’est une histoire très forte, qui glace le sang. Et même la musique que l’on a composée pour en parler est aussi très forte de sens. Parler d'une guerre chimique est une première pour nous.
Vous avez d’ailleurs utilisé des éléments de musique électronique pour renforcer cet aspect que vous venez d’évoquer.
Chris : Oui tout à fait, ça rendait vraiment bien pour évoquer la sensation de douleur liée à l’utilisation de ces armes chimiques. Tu sais quelque chose de viscéral qui s’infiltre petit à petit. Du coup quand on écoute, il y a cette sensation de dégoût, mais c’est aussi un son très cool. C’est ces deux côtés qui permettent d’interpréter les paroles de la chanson à mon sens.
Sabaton a toujours été vu comme un groupe très loyal envers ses fans avec une composition musicale toujours très efficace et qui repose toujours sur la même recette. En quoi ce nouvel album se distinguerait-il des précédents ?
Pär : Il y a toujours des différences entre chaque album. Mais je ne dirais pas qu’un album est fait pour être différent à chaque fois. Sabaton est vraiment un groupe qui reste très près de sa sonorité d’origine. Et c’est ce que les fans attendent. Pour cet album, les fans ne doivent pas s’inquiéter. Nous n’avons changé ni notre style ni notre son. Ils ne peuvent que s’attendre à un grand album de Sabaton avec la meilleure écriture musicale possible. Je ne dirais pas qu’il y a vraiment de grandes différences par rapport aux albums, si ce n’est quelques éléments un peu innovants (ndlr : la musique un peu électronique notamment, un peu plus de riffs de guitare...).
Le plus grand changement notable ça serait l’enregistrement que nous avons fait dans un nouveau studio. Enfin on y avait déjà enregistré des singles, mais si on l’a fait c’est surtout que beaucoup de fans ont trouvé le son vraiment meilleur avec ce studio par exemple avec le cover de Manowar, "Kingdom Come". Donc on verra bien la réaction des fans pour savoir si c’est mieux que les précédents albums.
Cette connexion à l’histoire est peut-être encore plus présente dans certains pays en Europe comme la Pologne. Comment expliquez-vous ce lien très proche que vous entretenez avec les fans de ce pays ?
Pär : Ha la Pologne ! Oui ce qu’il faut savoir sur ce pays, c’est que l’histoire de ce pays est véritablement ancrée dans la mentalité des Polonais. Et lorsque l’on a chanté des chansons sur l’histoire de la Pologne, je pense que les gens les ont écoutées et interprétées d’une manière encore plus personnelle que n’importe quel autre pays du monde. C’est un pays qui souvent été oublié par le reste du monde. Mais eux, ils sont très attachés à leur histoire. Et le fait que des étrangers s’intéressent à leur pays et leur rendent hommage a vraiment été quelque chose de très fort. Maintenant on est même considéré presque comme un groupe polonais (rires) !
Ce n’est pas comme en Suède, où personne ne s’intéresse à l’histoire suédoise. Les gens chez nous viennent majoritairement pour le metal, pas vraiment pour l’histoire, ce qui est complètement différent en Pologne. Là-bas, certains fans vont venir seulement pour les thèmes que l’on évoque, ce qui fait que l’on a aussi beaucoup de fans polonais qui ne sont pas du tout des fans de heavy metal. Enfin, je dirais même que les Polonais sont très intéressés par l’histoire en général, et pas seulement par l’histoire de leur pays. C’est pour toutes ces raisons que nous avons une connexion très forte avec ces fans.
Dans le groupe, Joakim Brodén a pour réputation d’être le compositeur principal, dans quelle mesure les autres membres du groupe ont-ils eu de l’influence dans l’écriture de The Great War ?
Pär : Il faut savoir que sur cet album, les membres du groupe ont été extrêmement impliqués dans l’écriture. Chris aussi d’ailleurs ! On essaye d’impliquer de plus en plus de personnes dans ce processus d’écriture depuis les derniers albums et ça a l’air de bien marcher comme ça.
Chris : Oui par exemple moi, j’ai écrit trois chansons. Tommy aussi a écrit, ainsi que Thorbjörn Englund, notre ancien guitariste. D’ailleurs c’est lui qui a co-écrit "Fields of Verdun" avec notre chanteur. Joakim et Tommy ont fait "A Ghost In The Trenches". Pour ma part, j’ai écrit "Seven Pillars of Wisdom", "82nd all the Way" et "The Attack of the Dead Men". Et il y a aussi un ami guitariste qui joue dans un autre groupe en Suède qui a co-écrit avec Joakim "The Great War", le titre éponyme de l’album.
Pär : Mais c’est sûr que Joakim est toujours celui qui assemble les différentes parties et qui connait le mieux le son et la musique de Sabaton.
Chris : C’est le pilier du groupe, c’est sûr !
Petite question amusante : Pourquoi Tommy veut-il toujours jouer "Swedish Pagans" ?
Chris : Parce qu’il aime cette chanson tout simplement (rires) ! C’est une réponse assez simple désolé. Mais surtout, c’est aussi une des chansons que les fans préfèrent, elle est tellement différente des autres, elle donne le sourire et elle est très dansante. Ce n’est pas vraiment une chanson guerrière, plus une chanson viking. Donc on ne peut pas l’enlever de la setlist, sinon ça le rendrait fou, et les fans aussi (rires) !
Revenons à une question plus sérieuse, pouvez-vous nous parler de la création de votre chaine historique Sabaton History avec Indy Neidell qui explique plus en détail l’histoire que vous racontez à travers vos chansons ?
Pär : A vrai dire, c’est une chaîne que nous voulions lancer il y a quinze ans. Dès qu’on a commencé à écrire nos chansons en rapport avec l’histoire, on s’est toujours dit que ça serait bien de pouvoir raconter toute l’histoire car les chansons ne peuvent pas tout raconter. Dans le livret de notre premier album, Primo Victoria, nous avions rajouté des notes historiques pour permettre d’en savoir plus. Mais on voulait en faire plus, faire des documentaires. Or, c’était aussi un gros projet, et on avait aussi besoin d’une équipe pour tout filmer, la production, le contenu ect.
Et je crois qu’en 2014 ou en 2015, je suis allé à Berlin rencontrer Indiana, le futur présentateur, et c’était son projet de couvrir la Première Guerre mondiale sur sa propre chaine Youtube. On a fait une interview sur ce thème vu qu’on l'avait déjà traité plusieurs fois dans nos chansons et nous sommes restés en contact et devenus amis par la suite. Et c’est un peu une bonne coïncidence, puisqu’il a couvert ce sujet sur sa chaine jusqu’en novembre de l’année dernière, pour les cent ans de la fin de la guerre. Comme il cherchait un nouveau projet, on a pris son équipe Time Ghost avec nous pour créer la Sabaton History Chanel, une chaine qui se devait vraiment d'être professionnelle. On a produit plusieurs épisodes, et on va continuer à travailler, vu qu’on a pour projet de couvrir toutes nos chansons. D’ailleurs, on va sûrement en faire encore une sur "Fields of Verdun", car vu le voyage qu’on a fait ici, je pense que je pourrais t’en parler pendant des heures de cette bataille !
Chris : Oui ça fait du boulot cette chaine ! (rires)
Quelles sont vos chansons préférées sur cet album ?
Chris : Ta question elle est difficile, elles sont toutes très bonnes nos chansons ! Sinon je dirais "The Great War", "Fields of Verdun" et "Seven Pillars Of Wisdom" vu que c’est la mienne.
Pär : Pour moi ça serait "The Great War", je l’aime vraiment bien. Elle dégage une puissance que beaucoup d’autres chansons n’ont pas. Elle te fait prendre une sacré claque je trouve.
Chris : Oui et les paroles sont aussi très fortes, et puis le solo de guitare est aussi incroyable, c’est comme Speedy Gonzales ! (rires).
Pour finir, comment ne pas parler de votre prochaine date en France ! Vous jouerez en ouverture du Hellfest au Knotfest à Clisson d’ici la fin du mois de juin. A quoi peut-on s’attendre et dans quelle mesure attendez-vous cette date ?
Pär : Cela va être super de jouer là-bas. Ce sera un de nos plus grands show, puisque c’est une de nos plus grosses dates. Cela va être quelque chose d’assez spécial. Nous avons toujours été très impressionnés par l’accueil du public là-bas. Je me rappelle en 2014, même après Iron Maiden, la foule était restée très tard le soir, et l’atmosphère était incroyable. Mais cette fois-ci, on aura encore plus de moyens pour ce concert et on pourra faire un spectacle encore plus grandiose avec quelques surprises. Et il faut savoir que même si ne nous l’avons pas encore révélé à ce jour, nous amènerons un chœur pour la tournée, le chœur de The Great War.
Chris : Oui, ça sera un Great Chœur (rires) !
Un grand merci à Sabaton, Nuclear Blast et Replica Promotions pour cette « Great » interview !
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