Le 29 juin dernier, Coilguns clôturait le Rock in Bourlon avec un show à leur image : à la fois fou, chaotique, agressif mais aussi plein d'émotions, de partage et d'amour pour leur public et la musique. Nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec Jona (guitare) et Louis (chant) avant leur concert pour en savoir plus sur la sortie de leur prochain album en novembre, et sur leur label, Hummus Records, mine d'or pour les amoureux de la musique à la recherche de petites pépites en tout genre.
Depuis la sortie de Millennials vous avez fait un grand nombre de tournées, avec très peu de temps pour vous poser. Vous organisez aussi un grand nombre d’événements, tout en bossant pour votre label Hummus Records et en travaillant sur votre prochain album et vos autres projets. Où trouvez-vous l’énergie pour faire tout ça ?
Jona : Je crois qu’on en est à notre sixième ou septième tournée avec Coilguns, et entre ces tournées on a aussi un label, Louis et moi, avec lequel on sort beaucoup de disques. Par exemple, on a sorti un disque de Louis en solo en début d’année et son backing band c’est Coilguns. Donc, on a aussi tourné avec cette formation. Je crois qu’on a tout parié sur cette même carte, du coup je crois qu’on aime bien faire ça. Après, l’énergie… oui… elle est là… Mais j’avoue que je suis un peu au bout du fart là ! Je dirai que mon humeur ces derniers jours, n’est plus trop la même…
Louis : Oui, en général, quand Jona fait un sound check de guitare, il finit toujours par jouer ‘’Quand l’appétit va, tout va’’ et il ne l’a pas fait ces derniers jours.
Jona : Oui, c’est vrai !
Le weekend dernier, vous avez ouvert les hostilités du samedi au Hellfest en lançant des croissants aux gens venus vous voir. Vous comptez nous lancer quoi ce soir ?
Louis : On n’a rien prévu.
Jona : Oui c’est vrai qu’on n’a rien prévu ce soir… En fait, c’est quand même assez absurde de jouer à 10h du matin. Je crois que c’est Luc qui a amené cette idée de croissants. Il y a une meuf à Rouen qui était venue nous dire qu’elle viendrait nous lancer des croissants. Ce qu’elle n’a pas fait. Peut-être qu’elle était impressionnée par les cent croissants qu’elle a reçu dans le visage en retour, je ne sais pas. Mais on s’est dit que c’était bon enfant. C’est Louis qui disait qu’on avait fait le petit effet du café et céréales du matin. Du coup, on a envoyé quelques croissants, des tartes aussi, un peu. C’était assez super.
Après le Hellfest, où le public était quand même au rendez-vous à 10h du matin, vous avez fait une date en Angleterre où vous n’avez fait qu’une entrée, et ce soir vous faites la clôture du Rock in Bourlon. Vous vivez ça comment ?
Jona : C’est un enchainement de plein de choses. La réalité, c’est qu’un groupe comme Coilguns c’est ça. Jouer au Hellfest devant 4000 personnes, ou devant 500 personnes comme ce soir, ce n’est pas notre réalité. Je pense que Coilguns est dans le calibre des groupes qui font en moyenne entre 50 et 100 personnes peut-être. Donc ce concert en Angleterre, ça nous a fait une petite piqure de rappel à la réalité. Mais ce n’est pas que ça. Il y a aussi le fait qu’il n’y ait pas de promotion du concert. C’était last minute. Même le mec du club nous a dit qu’il savait que ce serait un four. Il a vraiment fait ça pour nous rendre service. Il nous a hébergé pendant deux jours parce qu’on était off. Donc, nous on y trouvait notre compte aussi. Et en plus, le mec qui a payé son entrée, c’est un pote de Nouvelle Zélande qui était là en vacances à Londres. Je crois que ça faisait au moins sept ans qu’on n’avait pas fait un gig avec si peu de gens. On a fait des concerts à 10, 20, 30 personnes.
Louis : Moi, ça me les casse à fond les groupes qui disent qu’ils font des bons concerts quand ils ont un gros public. Et puis, ce soir-là, oui il n’y a eu qu'une entrée payante, mais il y avait aussi d’autres gens dans la salle. Enfin, c’est un long débat. Mais je pense que ce genre de concerts sont des bons moments. Tu apprends beaucoup de choses. J’ai vu des groupes se recroqueviller sur scène dans ce genre de situation. Ils se sentaient bêtes. Alors que pour moi, c’est l’occasion de faire des choses qu’on ne ferait pas d’habitude. C’est une possibilité de pouvoir se mêler aux gens. Tu sais, je me suis aussi créé une sorte de boîte que je peux trimballer partout pour faire des concerts devant un nombre réduit de personnes. Je crois que jouer devant peu de monde c’est hyper intimidant. Mais il faut se donner à fond même s’il n’y a que deux personnes et ça leur laisse aussi tout l’espace de pouvoir s’exprimer aussi. Ce sont des bons moments en général.
Ca permet de pouvoir partager les choses différemment.
Jona : Oui, pis tout dépend de comment ça se passe. Mais ce qui est sûr c’est qu’il est hors de question d’annuler un show s’il y a très peu de gens. Puis de toute façon on est là. On a conduit pour venir, on est content, alors autant en mettre plein la gueule aux gens.
Louis : Bon, heureusement que ce n’est pas la normalité, sinon on se serait peut-être posé des questions sur nous et aussi des questions administratives.
On parlait de ton projet solo avant qui est très différent de Coilguns musicalement parlant. Ton attitude est différente aussi. Est-ce que tu ressens les mêmes choses sur scène par rapport à ces deux projets ou l’un est plus un exutoire que l’autre ?
Louis : Pour moi, c’est exactement la même chose. La musique n’est pas la même. On ne joue pas au même volume. Mais pour moi, c’est exactement la même chose. J’ai le même rapport au public sauf que je suis assis avec une guitare et que je dois jouer des arpèges pour mon projet solo, donc c’est un peu plus difficile de sauter partout et la musique ne me donne pas cette envie-là, mais j’y mets la même intention.
Pour vos EP et Commuters vous aviez pas mal composé sur les routes en tournée, pour Millennials vous vous étiez isolés pour pouvoir enregistrer. Pour votre prochain album qui va sortir, comment avez-vous travaillé ?
Jona : C’est surtout pour nos EP qu’on avait pas mal écrit à droite et à gauche. Pour Commuters, on avait écrit pendant l’été avec Luc. Pour Millennials, on avait loué une petite baraque en Allemagne. On s’était vachement isolé pour en discuter. Et là, pour le nouveau disque qu’on a fait, qui va sortir en octobre, on l’a fait de la même manière, mais dans un vrai studio cette fois. On est arrivé dans le studio au 7 janvier. On n’avait pas de chanson, rien. Et on est ressorti avec un disque après un mois.
Donc, vous avez quand même réussi à produire tout un album en peu de temps entre toutes vos tournées.
Jona : Oui, oui. On a un album qui est prêt !
Louis [en chantant] : Quand l’appétit va, tout va !
Si je comprends bien, cet album est un album de reprises de chansons des films d’Astérix et Obélix ?
Jona : Oui tout à fait, c’est essentiellement ça ! Et tu sais quoi ?! Sur Discogs, la bande originale en vinyle elle est à 3€ !
Votre label, Hummus Records, c’est un peu votre histoire d’amour avec la musique et une belle histoire d’amitié. Vous produisez aussi vos projets parallèles et plein d’autres groupes et projets super intéressants. Par exemple, dernièrement j’ai écouté Celle que je suis, le projet de Vera et Charlotte Nordin. C’est un projet super touchant et assez hors du commun.
Jona : Je crois qu’on ne pouvait pas définir ce projet de label par un style musical, parce que ça aurait tué le projet dans l’œuf. On vient d’un petit pays. Tout le monde se connait. On a un peu envie de fédérer un truc. De toute façon, il fallait qu’on ouvre les vannes. Le but, c’était de faire partie d’une scène. On voulait produire de la musique au sens large, même si ce n’est pas avec des grosses guitares. C’est vrai que Louis a plus un pied dans tout ce qui est arts de la scène, un côté un peu plus performatif. Je ne sais pas comment dire. Un peu plus ‘’artsy’’. Du coup, c’est une frange du label aussi. Et puis, quand Charlotte m’a contacté… en fait, elle est plus dans les performances en argile dans des musées … avec sa fille, elle fait aussi des peintures et autres performances. Elle m’a dit ‘’Voilà, j’ai fait un disque et je ne vois pas d’autre label que vous pour sortir ce truc, donc c’est soit vous, soit personne.’’ Moi, j’ai trouvé ça hyper bien. Mais il fallait aussi trouver un moyen de communiquer ça aux gens qui nous suivent. Pour les gens proches c’est ok, mais pour les gens qui nous suivent de plus loin qui sont plus des fans de musique et peut-être moins de tout le manifeste qu’on fait, ben fallait trouver un lien avec la musique. En fait, il fout tellement les jetons ce disque…
Je ne trouve pas. Je l’ai trouvé super intéressant et touchant.
Jona : Ah ouais. Moi je trouve que ça fait peur du chant monocorde d’une petite fille polyhandicapée avec sa mère qui chante en mode chant chamanique par-dessus… Moi ça me fait peur ! Ça me fait penser à Sunn O))) plus qu’autre chose.
C’est sûr que ce disque a un côté très expérimental, mais c’est ça qui est intéressant. C’est aussi donner la parole à des gens différents, qui ne font pas forcément de musique mais qui s’en servent comme un moyen de communiquer. La musique reste un moyen de s’exprimer.
Jona : C’est ça ! Là, elle est vraiment très active dans tout ce qui est art inclusif. Et puis, nous, ça nous met le pied dans ces trucs-là et ça nous va bien parce que ce qu’on veut partager c’est vraiment plus large que de la musique. C’est comme ça qu’on le vit du moins.
(Vous pouvez écouter Celle que je suis de Vera et Charlotte Nordin ici. N'ayez pas peur! Soyez curieux)
D’ailleurs, comment ça se passe sur la scène musicale suisse pour mettre en place ce genre de projet ? Vous êtes aussi hyper actifs au niveau de l’événementiel. Vous organisez des festivals. D’ailleurs il y aura le Hummus Fest le 23 novembre. J’ai l’impression que c’est plus facile de mettre des choses en place pour promouvoir la culture en Suisse qu’en France.
Louis : Notre label permet aussi d’être un peu plus communautaires. Cela nous permet d’organiser certains événements dans l’année qui permettent de réunir tous nos projets. C’est là que ça devient une belle autarcie. Nous on organise le truc avec un projet qui brasse pas mal de monde, et d’autres artistes du label qui commencent à bien percer. Ça nous permet de remplir des petites salles et aussi de réunir plein d’autres artistes qui sont essentiellement des copains à nous, mais qui n’ont pas forcément le temps de faire tous les concerts qu’on fait, qui n’ont pas le public qu’on a. Cela nous permet, de renvoyer l’ascenseur à tous ces gens-là, qui nous soutiennent. Ça nous permet vraiment de réunir tout le monde dans une même pièce. Et nous, ça nous est favorable parce qu’on a une bonne place au niveau de l’affiche, vue qu’on organise le truc. En fait, c’est un truc qui est bien donnant-donnant. C’est rentable pour tout le monde. Autant pour la progression artistique que juste l’émotion sur le moment. Ce sont des trucs qu’on aime bien faire. Après, une fois que tu mets le pied là-dedans, ça fait un effet boule de neige. Plus on organise d’événement dans ce genre, plus on a de demandes de les organiser. La semaine prochaine, juste à notre retour de tournée, on participe à un festival. Là, on est en train d’envoyer des tonnes d’emails pour organiser une carte blanche dans un festival gratuit à Lausanne, en Suisse. Pendant une semaine, on aura un jardin avec une toute petite scène où on peut programmer ce qu’on veut, dans le cadre de ce festival très populaire où tout le monde vient. Heureusement, le programmateur est hyper éclairé et il programme que des trucs supers. Et nous, pendant une semaine, il nous a proposé d’animer une scène comme ça. On essaye d’organiser des débats, des écoutes de disques, des performances, des siestes sonores, plein de trucs comme ça. C’est vraiment un truc que le label veut faire, parce qu’aujourd’hui, si un label ne servait qu’à sortir des disques, on pourrait sortir un disque par année, d’un pote à nous, et puis tous les autres on devrait leur dire ‘’Non, ça ne sert à rien, personne ne va acheter ton disque.’’ On ne travaille pas juste autour de l’objet. Nous ce qu’on veut c’est pouvoir communiquer. Et c’est une chance qu’on a.
Jona : La facilité vient aussi du fait qu’en plus la Suisse est toute petite et t’as vite fait de connaître tout le monde. On connaît très bien les programmateurs de clubs, les administrateurs de clubs. C’est hyper facile d’organiser des trucs. Après, par rapport à la France… Du moins, ce que nous on a retenu de la France, parce que c’est vrai que ce n’est pas la première fois qu’on nous fait remarquer que ça a l’air plus facile d’organiser des événements en Suisse… c’est qu’il y peut-être moins de collectifs associatifs, ou du moins, qu’ils sont moins combatifs ou moins soutenus.
Je ne sais pas s’il y en a moins. Il y a plein d’asso en France qui organisent des festivals ou qui essayent de le faire, mais c’est très difficile de trouver les fonds pour nous aider à les organiser.
Jona : Oui, c’est ça. A l’inverse, en Suisse il y a du financement pour les projets culturels et artistiques. Du coup, en France c’est plus difficile car les gens vont organiser les choses que s’il y a l’argent nécessaire. Alors qu’en Suisse même s’il y a moins de profils de groupes, d’artistes, on a quand même l’argent qui va nous permettre de faire de grosses résidences et de monter des projets assez conséquents. Nous on a décider de faire avec s’il y en a, sans s’il n’y en a pas. Puis, je crois que d’avoir tourné en France et vu des mecs qui se battaient à fond dans le milieu associatif, c’est quelque chose qui m’a assez marqué. Je trouve ça super bien et je trouve ça dommage que ce soit si difficile pour eux. Et ça nous a aussi rappelé que pour nous c’était moins difficile et ça nous a donné envie de faire encore plus.
J’ai une question à vous poser, que j’avais déjà posé à Jona à la sortie de Millennials. Je suis assez curieuse de voir si ta réponse a changé. Si vous deviez choisir un mot pour définir ce que Coilguns et Hummus Records représentent pour vous personnellement et musicalement parlant, ce serait lequel ? Et pourquoi ?
Jona : Je vais essayer de te répondre la même chose que la dernière fois. C’était sans doute un truc du style : la PASSION ou la SINCERITE ou l’HONNÊTETE, l’AUTHENTICITE… j’en sais rien, un truc comme ça. Voilà, ça fait quatre mots mais tu peux en choisir un.
Louis : Moi je choisirai le mot TRIBU. J’aime bien TRIBU. Ça me fait marrer. FAMILLE c’est génétique, donc c’est chiant. TRIBU, c’est plus un truc que tu peux choisir. Puis à partir de là, tu plantes ta tente et tu te balades et tu te retrouves dans des endroits où tu ne sais pas trop pourquoi tu y es arrivé. Nous ça fait bien quinze ans qu’on fait de la musique ensemble, maintenant. On a tellement de projets, dans plein de trucs, mais Coilguns c’est un peu un résultat auto-généré de ce que ça représente de passer du temps ensemble et d’avancer là-dedans. C’est surtout ça qui nous détermine, plus qu’une envie particulière d’une musique ou un besoin de je ne sais pas quoi. Ce genre de gens ensemble, ça donne ça et c’est ça qui importe. Ça me paraît difficile comme ça, par rapport à la dynamique dans laquelle on est de substituer des gens. On n’a jamais eu de remplaçant de Coilguns. Ça n’a jamais existé.
Vous avez ajouté des personnes, par contre.
Louis : Oui, on a fait des ajouts. Et une fois de plus, ça s’est fait de manière logique. Et je ne vois pas comment des choses pourraient être remplacées maintenant.
Et par rapport à Hummus Records, ce sont des artistes qui vous contactent pour travailler avec vous ou c’est vous qui allez les chercher le plus souvent ?
Jona : Pour les groupes, c’est plutôt nous qui allons les chercher. Mais ça se passe plutôt naturellement. Au début, Louis a produit beaucoup de disques où il jouait dans le groupe, ou moi, ou Luc. Et là ça fait à peu près un an et demi qu’on est hyper sollicité de toutes parts. C’est vrai qu’on a tendance à bosser avec des groupes suisses et surtout des copains et puis on n’a pas les ressources pour faire plus. Puis rien qu’avec les copains on a déjà tellement de choses à sortir. Et ce n’est pas pour nous lancer des fleurs, mais en Suisse, on a des copains qui ont monté des labels, parce qu’ils voulaient qu’on sorte leurs disques, mais on leur a dit : ‘’Vous venez d’une autre région. On ne peut pas s’occuper de votre disque. On va vous dire comment nous on a fait les choses. Vous éviterez toutes les erreurs qu’on a faites.’’ Et puis voilà. Ça a donné naissance à des label supers avec qui on bosse des fois. Mais c’est vrai qu’on a bien assez avec les groupes qu’on approche. Si on veut se laisser un peu de place pour le petit coup de cœur pas prévu, on ne peut pas sortir tout ce qu’on reçoit.
(Pour les curieux, vous pouvez jeter un oeil et une oreille attentive aux artistes produits par Hummus Records ici)
Photos et interview: Eloïse Morisse
